Ovrkast : la volonté d’y croire dur comme fer
À l’heure où les réseaux sociaux parviennent à rendre des artistes célèbres de plus en plus rapidement quitte à modifier notre réflexion sur la construction pérenne d’une carrière, Ovrkast est à contre-courant de cette vague et nous prouve que les itinéraires sont loin d’être tous catapultés par les algorithmes.
Zoom sur un jeune artiste qui a déjà tout d’un ancien.
Silas Wilson est un artiste de 27 ans originaire d’Oakland en Californie. Son alias, Ovrkast (à ne pas confondre avec le duo d’Atlanta) s’inspire du climat de la Bay Area qui impose un certain style vestimentaire.
Dès son plus jeune âge, Silas a développé son amour pour la musique, d’abord sur les bancs de l’église qui lui ont permis de comprendre la théorie musicale avant de passer à la pratique sur les bancs du lycée avec l’un de ses professeurs. Cet appétit insatiable quasi contagieux lui a donné l’envie de créer un groupe nommé Kinfolk avec ses camarades de classe Demahjiae et Kayvon.
En qualité de beatmaker, il était aux manettes de l’ADN du groupe à l’instar d’un J Dilla avec Slum Village en son temps. La mention de Jay Dee n’est pas un hasard puisqu’il figure dans le panthéon de ses influences les plus importantes aux côtés de Knxwledge, Flying Lotus ou encore Madlib.
Son intérêt pour la composition, outre la volonté d’imiter ses idoles, s’explique en partie par une stratégie née d’une étude accentuée de l’industrie. Comme il le constate volontiers, au moins 50 à 60% d’artistes créent leurs propres sons, il faut donc se démarquer pour exister dans un terrain musical de plus en plus concurrentiel.
Toutefois, cette concurrence s’arrête là où commence l’amitié.
MAVI de rookie
Par le biais de plusieurs amis en commun, Ovrkast a croisé le chemin de MAVI, une autre pépite du paysage musical américain qui à l’époque n’était encore qu’un simple amateur en Caroline du Nord.
Pourtant leur premier contact s’est fait dans les règles de l’art du XXIème siècle, à savoir sur Internet : « On s’est rencontrés sur un groupe Kik. J’avais genre 17 ans et je composais des beats pour la première fois. Ça fait deux mois que je compose des beats et ce mec rappait. Il n’avait jamais enregistré un seul morceau. Ce Mavi avait de l’argent. Tout le monde essayait d’acheter des beats, mais personne n’en avait. Ce Mavi m’a dit : « T’en veux combien ? » J’ai répondu : « 100 $. » Il a dit : « Ok mec. » Il a payé le beat, il a rappé dessus et depuis, il a toujours eu une connexion avec ma musique, et la sienne aussi. On n’a jamais rompu ce lien. » [Source : Rolling Stone, 2025]
De fil en aiguille, l’éclosion artistique de son client qui a réussi à taper dans l’œil d’autres MC lui a également apporté son premier grand contact qui n’était nul autre qu’Earl Sweatshirt alors en pleine préparation de son album FEET OF CLAY. C’est sur le morceau “EL TORO COMBO MEAL” que la magie a opéré.
Ovrkast leur a offert un beat somptueux, soulful et poussiéreux qui convoque naturellement les influences citées précédemment. Plus qu’une composition, il s’agissait d’un signal fort envoyé aux artistes : il était d’ores et déjà capable de créer un univers fort, solide et cohérent autant auprès d’artistes embryonnaires que ceux déjà bien établis.
Ce premier pas concret n’était pas anodin puisqu’il lui a donné l’impulsion nécessaire pour se plonger plus sérieusement dans sa carrière et dévoiler son premier projet.
Un simple coup d’essai ?
Pour celui qui ne faisait que des beat tapes durant son adolescence, cet album représentait une première étape on ne peut plus importante dans la démonstration de ses différentes facettes artistiques.
Bien qu’aujourd’hui entendre un producteur derrière le micro ne soit plus considéré comme opportuniste grâce à des Kanye West, Timbaland, Pharrell Williams ou The Alchemist, cela reste tout de même un pas vertigineux pour quiconque désire se dévoiler au public sans artifices.
C’est donc en 2020 qu’il a décidé de dévoiler Try Again tandis que le monde était plongé dans une pandémie; un timing parfait puisque les auditeur·ices pouvaient alors accorder un temps plus précieux qu’à l’accoutumée.
Sur ce premier opus, Ovrkast ne fait pas les choses à moitié en exploitant le champ introspectif sur ses craintes (“Face”, “Church”, “Love Somebody”…) et en accentuant ce dont il est capable derrière les machines, le tout guidé par ses inspirations majeures.
De plus, quelques invités désormais connus de son entourage ont répondu à l’appel, qu’il s’agisse de son vieil ami Demahjiae, de son frère d’armes MAVI ou du très respecté Navy Blue. Ainsi, tous ces éléments faisaient de cet album une évidence pour le début de sa carrière qui s’établit sur des bases cohérentes et significatives.
Si un autre album nommé CLOSURE devait voir le jour dans la foulée, celui-ci a finalement été annulé avant de laisser place à un EP à l’été 2023. Cette année sera charnière pour lui puisqu’un autre événement a apporté son lot de surprises bienvenues.
L’effet Drake : un coup de pouce assez chouette
Aussi surprenant que cela puisse paraître mais toujours dans les bons coups, Lil Yachty a également voulu s’attirer les faveurs du rookie d’Oakland en lui demandant ses faveurs. Bien que cet échange ait eu lieu au début de la décennie et qu’aucun signe de collaboration fructueuse ne semblait voir le jour, le destin en a décidé autrement.
Alors en pleine réflexion autour de son album For All The Dogs sorti en 2023, Drake (proche collaborateur de Yachty) a sélectionné deux compositions d’Ovrkast pour les morceaux “Red Button” et “The Shoe Fits”.
Ce n’est évidemment pas tous les jours que l’auto proclamé 6 God fait appel à de nouveaux contributeurs puisqu’il a pour habitude de conserver sa fine équipe made in OVO lorsqu’il construit ses projets. (Noah “40” Shebib, Boi-1-Da, Noel Cadastre, Sevn Thomas…)
Ainsi, via cette exposition cinq étoiles, il a pu bénéficier d’un changement de statut considérable en devenant officiellement un producteur à suivre de très près auprès d’un public plus large. Mieux encore, il a prouvé qu’il est capable de tutoyer les plus hauts sommets du mainstream tout en restant fidèle à sa vision initiale.
Sans se reposer sur ses lauriers, la pépite californienne a poursuivi cette effervescence en sortant un album en collaboration avec un autre poids lourd du rap : le producteur Cardo Got Wings. Certes, ce duo peut paraître étonnant sur le papier mais il illustre par-dessus tout un respect de la part d’une des plus grosses figures du milieu envers lui.
Leur collaboration appelée KAST GOT WINGS sortie en 2024 mêle les qualités d’Ovrkast avec l’aspect plus moderne et énergique de Cardo afin d’apporter une véritable bouffée d’air frais à son art. On retient notamment les sons “PAYMEAGRIP” ou encore “CUT UP”.
Cependant, s’il jouissait de cette nouvelle entrée de prestige dans son CV, une autre idée se manifestait dans son esprit bien avant que le tandem avec Cardo soit concret : il s’agissait de son deuxième album dont le nom est on ne peut plus évocateur, While The Iron Is Hot.
Forger sa carrière
Comme suggéré par l’idée du nom, il aurait pu battre le fer tant qu’il était encore chaud après ses deux placements pour Drake en poursuivant son aventure en solo. En revanche, sa maturité l’a emporté sur l’épiphanie en jugeant qu’il fallait prendre son temps tout en s’appuyant sur ses expériences afin de donner le plus de poids possible à sa future œuvre.
Pour ce faire, il s’est esseulé à New-York loin du beau temps de la West Coast pour mieux se laisser frapper par l’éclair créatif propice à la réalisation de grands travaux. En résulte un album sorti début 2025 composé de treize pistes dont certaines sont partagées avec plusieurs invités de haut vol qui ajoutent leurs couleurs à une palette déjà bien fournie. (MAVI, Samara Cyn, Vince Staples, Saba…)
L’album dure un peu moins de trente minutes mais possède tout de même une grande richesse qui s’articule sur plusieurs facteurs. Le premier, et sans doute le plus attendu, réside dans la qualité de ses productions qui synthétisent Try Again et KAST GOT WINGS avec une touche de fraîcheur permettant d’apporter de la nouveauté dans sa proposition. (“truth?”, “SPIKE LEE”, “On TIME!”)
Enfin, le second facteur s’appuie sur de meilleures prestations de la part de l’artiste qui est poussé par les autres MC pour donner le meilleur de lui-même. (mention spéciale à “Small Talk”, “MAVKAST!”, “Dog Days”)
Ainsi, il oscille entre l’égotrip bien senti :
“They want me to fall, but I can’t give up
They wanted my all, I gave ’em that shit
They wanted my swag, I gave ’em a kit
They wanted to brag, I gave them a Drake beat”
ou l’introspection teintée de doutes :
“Life crazy, yo, especially when you’s a young man
One hand on my dark days, other one cramped in my plans
I get lost chasin’ my dreams
Gotta call moms back, I been away”
qui font la somme des thématiques abordées dans ce projet plus que prometteur pour la suite de sa carrière.
Fort de cet arsenal d’expérience, il fait aujourd’hui partie des profils émergents les plus intéressants de la scène hip hop. Pour l’heure, il prend le temps de bâtir la suite étape par étape loin d’un business mainstream qui façonne les stars à la chaîne.
Une trajectoire on ne peut plus saine pour un avenir qui s’annonce radieux.
