Kari Faux, le talent dont l’Arkansas avait besoin

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Kari Faux, le talent dont l’Arkansas avait besoin

Talent qui nous vient de Little Rock (Arizona), collaboratrice de Childish Gambino, Kari Faux a tout pour faire parler d’elle dans les mois (et années ?) à venir. Portrait.

La scène hip-hop féminine US se remplit à vue d’oeil. De Cardi B à Little Simz, en passant par Princess Nokia et Chynna, chacune apporte, par son individualité créative, quelque chose de nouveau dans un genre qui s’est longtemps voulu par les hommes, pour les hommes. De plus en plus, rappeurs et rappeuses ne se limitent plus à des beats hip-hop énervés et n’hésitent pas à se ramener avec un flow qui mélange rap, soul, électronique et musique alternative. Néanmoins, là où Kari Faux diffère de ses pairs, c’est qu’en plus d’être le fruit de cette hybridation rap’n’soul, elle balance ses rimes sur un ton nonchalant et assuré qui fait sa signature.

©Brad Ogbonna

De Little Rock aux studios californiens

Kari Faux est née et a grandi à Little Rock dans l’Arkansas. C’est chez ses parents qu’elle enregistre les premiers morceaux de sa mixtape Laugh Now, Die Later sortie en 2014. Le projet retient très vite l’attention des internautes, notamment sur Twitter où la rappeuse-chanteuse fédère très rapidement une communauté de fans. LNDL est un savant mélange d’instrus minimalistes, de refrains répétitifs qui entrent vite dans la tête et d’un flow extraterrestre jamais vu (ni entendu) auparavant. Dans le monde du hip-hop, la rappeuse-chanteuse apparaît comme une sorte d’OVNI qu’on a du mal à identifier. Ce premier projet est porté par une homogénéité soignée qui rend indispensable l’écoute de tous les titres dans l’ordre pour en saisir le message principal : la volonté d’une jeune femme noire à être prise au sérieux dans le monde de la musique.

Mais, quand on y pense, où sont les rappeurs de Little Rock ? Il semble que Kari Faux soit la seule MC de sa ville et a du, de ce fait, se construire une identité musicale propre, éloignée de toute mouvance hip-hop. Elle n’est ni de Los Angeles, ni d’Atlanta, de Chicago ou encore de New York, et, de fait, elle a eu la liberté de construire un rap excentrique et nerd qui lui ressemble. C’est pourquoi il est difficile de caractériser Laugh Now, Die Later et d’avoir un avis tranché dessus, même quatre ans après sa sortie.

Comme le reste des titres du projet, « Gahdamn », brille par un flow conversationnel cru et honnête. Les paroles vacillent entre egotrip parodique et métaphores intellos d’une jeune millenial en quête de reconnaissance et de racks. Porte parole officieuse de l’internet rap (caractérisé par des refrains répétitifs, des productions minimalistes et une emphase sur des jeux de mots intelligents), Kari Faux se démarque moins par les thèmes qu’elle aborde (musique, succès, sexe) que par ses talents de storyteller qu’elle développera surtout dans son premier LP sorti en 2016, Lost En Los Angeles.

Kari Faux s’attire le regard de Donald Glover (Childish Gambino) après la parution de « No Small Talk », qui la convie à Los Angeles pour enregistrer dans son studio privé. Les deux artistes sortent le remix du titre qui paraît dans la mixtape du rappeur-acteur-réalisateur-qu’on-a-plus-besoin-de-présenter. Il l’invite d’ailleurs à faire les backgrounds vocaux de « Zombie » et fait ensuite une apparition dans le clip de « Gahdamn ». « No Small Talk » retient également l’attention d’Issa Rae, actrice et créatrice du show Insecure, qui décide de l’insérer dans la bande originale de la série. Hollywood est un petit milieu et, très vite, Kari Faux est propulsée au rang des espoirs d’un hip-hop de plus en plus ouvert à l’extravagance.

Néanmoins, dans la cité des anges, la jeune femme peine à trouver ses marques. On ressent ce mal du pays tout au long de Lost En Los Angeles, un projet expérimental dans lequel sont relatés ses premiers pas dans une ville qu’elle ne connaît pas mais qui, mine de rien, commence à la connaître. La chanteuse a beau avoir perdu ses repères quelques temps, son talent a continué à la suivre dans les chemins les plus tortueux de la célébrité.

Lost En Los Angeles, un LP pour la postérité

Dès les premières secondes de Lost En Los Angeles, Kari Faux prend de court les fans et la presse spécialisée : premièrement, elle n’aime pas Los Angeles, secondement, le rythme s’éloigne de l’univers (délicieusement) simpliste de Laugh Now, Die Later. L’instru du titre éponyme aurait facilement pu sortir d’un vieil album de Missy Elliott ou d’une production de Timbaland. Déroutant, imprévu, étonnant… mais où est passée Kari Faux ?

Elle est toujours là, mais à mesure que le temps passe, elle évolue et sa musique aussi. Ce projet lui permet de se renouveler sans fragiliser sa réputation de diva nerd à l’imagination débordante qui ose switcher d’un genre à l’autre dans un même morceau sans perdre l’auditeur. Ses extravagances musicales sont saluées par la critique, Pitchfork et Noisey applaudissent les prises de risque assumées.

Lost En Los Angeles dépeint l’expérience de Kari Faux à Los Angeles comme une fantaisie déceptive, un voyage irréel imprégné de jazz, de funk et de psychédélisme, signature de son collaborateur de la première heure, Black Party (avec qui elle a produit et composé Laugh Now, Die Later). Les instrus de ce nouveau projet gravitent autour d’une house downtempo et de pop alternative. Lost in Los Angeles est un entrecroisement de rap, de dance, de musique ambiante et de jazz. Kari Faux oscille entre chant, rap et monologues réflexifs empreints d’un pragmatisme qui lui est propre.

La chanteuse attaque frontalement des sujets comme le succès professionnel, le fait de vouloir vivre de sa passion, mais aussi son potentiel de sex-appeal — dans « Fantasy », elle s’érige contre l’idée d’être le fantasme d’un homme pour exister. Dans le monde de la musique, Kari Faux se révèle être une voix honnête qui n’hésite pas à se revendiquer comme femme désirée et hood diva, mais refuse toute dépendance émotionnelle car trop occupée à se produire sur scène aux quatre coins des Etats-Unis.

Avec Lost En Los Angeles, Kari Faux a pris le risque d’offrir un patchwork musical qui aurait pu paraître maladroit. Mais de façon surprenante, elle arrive à fusionner les genres avec justesse et précision. L’un des titres les plus mémorables du projet est sans aucun doute « Nothing 2 Lose ». Dès les premières secondes, le neuvième titre de l’album transporte l’auditeur dans un autre univers. Elle balance punchlines après punchlines sur un beat hypnotique et intime à celui qui l’écoute de monter en voiture (« hop in a car »). Au final, la voiture paraître être le lieu idéal pour écouter le morceau, durant une ballade nocturne.

La storyteller qu’est Kari Faux a le don de retenir l’auditeur grâce à des paroles auxquelles chacun s’identifie facilement. De la crise de la vingtaine à celle du porte-feuille, la chanteuse s’adresse à une jeunesse qui essaie tant bien que mal de résister aux pressions sociales et à l’idéal de la famille nucléaire. À 26 ans, Kari Faux aspire plus à s’amuser dans une boîte de West Hollywood, un joint à la main, qu’à trouver l’homme de sa vie. C’est dans cette optique qu’elle entame l’enregistrement de Primary, opus où elle explore davantage son potentiel de chanteuse, peu exploité jusque là.

Primary, le retour au bercail

Un an après Lost En Los Angeles qui lui a valu la reconnaissance de la scène hip-hop alternative, Kari Faux revient avec le très funky Primary, EP dans lequel elle fait preuve d’une allégresse qu’on ne lui connaissait pas. Enregistré à Little Rock, ce projet a été écrit et produit par la chanteuse elle-même dans sa chambre d’enfance, cocon protecteur éloigné des projecteurs hollywoodiens qui lui a permis de se recentrer autour de son Moi — et qui fait ressortir ses espoirs de gosse passionnée de musique. C’est pourquoi l’EP est plus personnel que ses deux premières réalisations musicales.

Primary, qu’on suppose enregistré derrière des volets fermés, est un journal intime dont les bouts les plus intéressants ont été rendus publics. On y retrouve son assurance légendaire dans « Facetious », une discrétion inédite avec « Lowkey » et son désir d’indépendance dans « New Thang » (produit par Matt Martians de The Internet dont on retrouve également la patte dans « Color Wheel »).

La structure des morceaux est assez différente de ce à quoi nous a habitué Kari Faux depuis le début : les instrumentales tournent autour des paroles et non l’inverse, ce qui n’était pas le cas dans Laugh Now, Die Later et Lost En Los Angeles. La chanteuse s’est éloignée de l’Internet rap qui l’a fait connaître pour muter en une artiste difficilement définissable. Elle entre dans certaines cases du hip-hop, du jazz, de la musique électronique sans en épouser tous les contours. Sa musique est chill et ne cherche pas à s’inscrire dans un mouvement particulier. La rappeuse-chanteuse s’est construite toute seule et cette indépendance se ressent tout particulièrement dans Primary.

Exit l’Internet rap et les productions homogènes des débuts, Kari Faux joue dans sa propre cour et invite celui qui veut à la rejoindre. Sa musique caresse aussi bien qu’elle évite les tendances actuelles. Il est difficile de ne pas la comparer au groupe The Internet, avec qui elle a partagé quelques scènes, ou encore Childish Gambino, influence considérable sur Lost En Los Angeles. Kari Faux s’approprie tout ce qu’elle touche, brouille les frontières entre les genres et se définit comme une artiste à part entière qui n’a pas fini de faire parler d’elle. Son prochain opus devrait, quant à lui, sortir dans les mois à venir.


Ce dossier est une contribution libre d’Anas Daif que nous avons choisi de publier sur BACKPACKERZ. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.