On a parlé ‘Redemption’ et TDE avec Jay Rock

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Redemption

Jay Rock

On a parlé ‘Redemption’ et TDE avec Jay Rock

Le membre historique de Top Dawg Entertainment était de passage à Paris pour promouvoir son nouvel album Redemption, on a donc profité de cette belle opportunité pour le rencontrer.

Après un sérieux accident et une longue convalescence, Jay Rock est de retour en plein forme cette année avec la sortie de Redemption, son troisième album studio. Un projet plus que réussi qui figure déjà en bonne position parmi les meilleurs albums rap US de 2018. Il faut dire que le rappeur de 33 ans a pris tout son temps, avec pour objectif en tête de rendre le bouton skip quasiment inutile. Très abordable et souvent touchant, le grand frère de la famille TDE nous a donc reçu dans un très chic hôtel de l’avenue Wagram, pour évoquer la création de son dernier opus bien sûr, mais aussi son parcours douloureux, ses liens avec les autres membres du label ou encore ses ambitions retrouvées.

Tout d’abord, félicitations pour ton nouvel album, c’est du bon boulot ! Peux-tu nous parler de la signification qui se cache derrière ce titre, Redemption ?

Il y a trois ans, j’ai subi un grave accident de moto, et ça a vraiment été un coup dur pour moi : je venais de sortir mon album 90059, j’allais partir en tournée, je me sentais au top, je devais même être aux Grammy Awards le soir même… C’était donc une situation très compliquée pour moi. Quand je me suis retrouvé allongé sur mon lit d’hôpital, j’étais assez découragé, je remettais beaucoup de choses en question. Mais mon équipe, ma famille, mes amis et mes fans m’ont tellement soutenu que je me suis dit que je ne pouvais pas les laisser tomber, et que tout arrive pour une raison. Pour moi, Dieu m’offrait une seconde chance de mieux faire. C’était ça, ma rédemption : revenir plus fort. Et c’est ce que je fais aujourd’hui.

Quel était donc ton état d’esprit au moment où tu t’es remis au travail ?

J’ai toujours été motivé par la passion de la musique, et cet événement malheureux n’a finalement fait que la renforcer. J’avais juste envie de frapper encore plus fort qu’avant. J’ai commencé à voir les choses autrement, en sachant que tout peut arriver en une fraction de seconde, donc il faut absolument exploiter au maximum le temps dont tu disposes. Voilà ce que j’ai appris. J’étais à 1 000 %.

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© Antoine Monégier

On sent qu’avec ce nouvel album, tu avais aussi peut-être envie de toucher un public un peu plus large, avec des hits comme « WIN » par exemple. Était-ce une vraie volonté ?

Pour cet album, j’avais davantage envie de me connecter aux gens. Tout le monde sait que je sais rapper, je n’ai plus rien à prouver de ce côté-là. Je n’essaie pas de me battre pour la place de meilleur lyricist. Avec Redemption, je veux juste que tout le monde sache qui est Jay Rock, “Eastside Johnny” (le surnom donné par ses proches, ndlr), d’où il vient. Je voulais davantage m’ouvrir à mon public, pour qu’il comprenne mon histoire.

Tu as travaillé avec un paquet de producteurs différents sur ce projet (Boi-1da, Sounwave, Teddy Walton, Mike Will Made-It, Cardo…) : comment t’y es-tu pris pour obtenir malgré tout un ensemble cohérent ?

Sounwave est là depuis le début, Boi-1da aussi, Teddy Walton est très fort… L’avantage, c’est que chacun amène quelque chose de différent. J’écoutais tout ce qu’on m’envoyait et je me disais juste qu’il fallait que je prenne mon temps. Je ne voulais rien presser, car mon but était d’améliorer mon travail, d’offrir le meilleur contenu possible. Je ne voulais pas qu’on écoute mon album une seule fois puis qu’on l’oublie. Et heureusement, j’ai beaucoup de feedbacks de gens qui me disent : “Je n’ai besoin de passer aucune chanson” ou “je peux écouter ton album toute la journée sans m’en lasser”, ce qui m’a encore plus motivé. Tout ce qu’il faut, c’est prendre son temps pour faire les choses correctement.

Tu as dû être encore plus exigeant avec toi-même ?

Oui, j’ai été plus exigeant que jamais, en essayant de remettre en question le moindre détail. Je demandais à tout le monde de ne pas me ménager, de me donner leur plus honnête opinion et de ne pas hésiter à me dire si quelque chose était en dessous. “Si c’est naze, c’est naze ! Dis-le moi !”

Tout ce qu’il faut, c’est prendre son temps pour faire les choses correctement

Combien d’enregistrements as-tu laissés de coté ?

J’ai enregistré tellement de morceaux ! Il y a quelques tracks que je voulais intégrer à l’album, mais à cause de problèmes de clearing avec certains samples, je n’ai pas pas pu les livrer à temps pour la sortie. J’espère pouvoir vous faire écouter tout ça dans mon prochain projet, pourquoi pas l’année prochaine !

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© Antoine Monégier

As-tu un titre préféré dans ce Redemption ?

Je les aime tous bien sûr, mais si je devais choisir, je dirais “OSOM” avec J. Cole, “WIN”, qui est le highlight de ce projet, et “King’s Dead”, car c’est le morceau qui m’a permis de me replacer sur la carte du rap. Big up à Kendrick et Future. Mais je les adore tous, il s’agit clairement de mon projet le plus abouti.

En parlant de « King’s Dead », comment as-tu vécu l’exposition formidable que ce single t’a offert ?

L’accueil de ce morceau était incroyable, c’était fou ! J’ai essayé de faire quelque chose de différent. Quand j’ai entendu le beat de Mike Will Made-It, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose que les gens n’allaient pas attendre de moi, donc j’ai totalement switché mon flow. Bon… le meilleur cette fois-ci, ça a vraiment été Future ! C’est lui qui a le couplet le plus chaud.

Savais-tu dès le début que ce titre serait aussi sur la soundtrack de Black Panther ?

En fait, quand Kendrick était en studio pour bosser sur Black Panther, j’étais à côté pour taffer mon album, et c’est là qu’il m’a demandé de prendre part au projet. Il m’a alors joué l’instru de « King’s Dead » et j’étais là : “Ok, j’aime bien ça !”. J’ai donc fait ce que j’avais à faire ! Après, Future a envoyé sa partie, puis Kendrick m’a dit qu’il allait l’ajouter à la soundtrack du film. À la fin, on s’est dit : “Tu sais quoi ? On n’a qu’à la mettre aussi dans mon album !”. Et voilà, the rest is history.

Quel rôle Top Dawg et Kendrick ont-ils joué dans la création de Redemption ?

Ils étaient à mes côtés pour me donner leurs critiques constructives et me pousser à atteindre ce niveau supérieur. Au moment de l’accident, ils étaient parmi les premiers à venir me voir à l’hôpital. Ils me motivaient à me remettre sur pied au plus vite. Peu importe ce que j’enregistre, je leur envoie toujours pour avoir leur avis. Parce que je sais qu’ils me donneront toujours leur opinion de façon honnête, et c’est ce dont j’ai besoin. Si tu es un vrai pote, tu dois me dire la vérité. Comme dans la vie de tous les jours, je ne suis pas un réel ami si je ne te le dis pas quand tu as un truc collé sur le visage, par exemple. Pas vrai ? Je ne peux pas te laisser sortir comme ça ! C’est la même chose pour la musique : “Tu pourrais améliorer ceci, essayer cela…”

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© Antoine Monégier

Quel est ton processus habituel pour écrire ?

Parfois je peux avoir un truc dans la tête et je vais enregistrer des notes vocales sur mon iPhone. Heureusement que ce truc existe ! Ça me permet de me rappeler de toutes les inspirations ou énergies que j’ai eues à certains moments. Je peux aussi avoir des idées que je soumets à des producteurs, du style : “Tu penses que tu pourrais me faire quelque chose dans ce genre, avec ce tempo-là, etc”. Généralement, c’est comme ça que je commence à créer une chanson.

Es-tu aussi impliqué dans la partie production, du coup ?

Oui, bien sûr ! Parfois je vais entendre quelque chose et demander à l’intégrer, mais au final, les producteurs avec lesquels je travaille ont déjà une idée de ce que je cherche. Il y a comme une alchimie entre nous tu vois ? Souvent, ils étudient plus ce que je fais que moi-même, c’est dingue. Ils savent déjà tout.

Ton album précédent, 90059, est sorti en 2015. Comment as-tu géré cette longue attente, avec tous les autres membres de TDE qui ont explosé entre temps ?

C’est sûr que ça avait un côté frustrant. J’étais un peu comme un lion en cage, tu vois ? Mais ça m’a donné la patience nécessaire pour me remettre au boulot. Et puis, j’aime sincèrement voir mes potes tout déchirer, c’est toujours ultra inspirant et motivant. Tout le monde sait que je suis le grand frère du crew. J’ai été le premier à sortir me battre, et même quand j’étais à l’hôpital, j’ai toujours été là pour protéger mes potes. Mais maintenant, le big bro est guéri et il est de retour.

Tout le monde sait que je suis le grand frère du crew

Justement, comment décrirais-tu l’émulation qui existe au sein de TDE ?

Il n’y a aucune guerre d’égos ou ce genre de conneries chez nous, on est une famille. Mais il y une sorte de concurrence amicale, bien sûr. On va par exemple tomber sur une chanson de Kendrick et se dire : “Putain, comment je vais pouvoir faire mieux que ça ?” Chacun de nous sait qu’il faut rester alerte et ne pas se reposer sur ses lauriers, avec tous ces talents autour ! À tout moment, on n’est jamais sûr de ce que l’un ou l’autre peut nous sortir. Par contre, il n’y a aucune haine ou jalousie, ce n’est qu’une source de motivation supplémentaire. C’est très sain.

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© Antoine Monégier

Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre façon de faire de la musique, comparé aux débuts du label ?

La principale chose qui a changé, c’est qu’au début, on était tout le temps tous ensemble en studio. C’est notamment pour ça que tout le monde kiffait Black Hippy : on avait cette connexion qui venait de la proximité. Mais aujourd’hui, c’est différent : chacun peut être dans son propre studio, bosser sur ses trucs… Et quand on se retrouve, c’est comme si on ne s’était jamais quittés !

Vous arrivez toujours à vous réunir ?

Bien sûr ! Si certains sont ailleurs, on va s’envoyer les trucs par e-mail, mais si on est dans le coin, on a juste à débarquer chez l’un ou chez l’autre, à l’ancienne !

Tu vas bientôt commencer une grande tournée aux États-Unis : The Big Redemption Tour. Comment te sens-tu ?

Je suis hyper excité ! C’est la première veritable tournée officielle de ma carrière, c’est magnifique. Une opportunité pour être plus proche de mes fans, rencontrer tous ceux qui ont longtemps attendu de me voir, ceux qui me suivent depuis le début. Ça va être une super expérience. J’ai déjà participé à plusieurs tournées avec TDE, mais cette fois-ci c’est ma tournée. Je suis prêt, et j’espère pouvoir venir en Europe l’année prochaine ! Vous en saurez plus bientôt… [UPDATE : il sera en concert à La Bellevilloise le 15 février prochain]

On a hâte aussi ! Et côté sorties, de quel projet de TDE devrait-on attendre le plus ? 

Le prochain, ce devrait être ScHoolboy, mon gars sûr ! De ce que j’ai pu entendre, c’est une sacrée tuerie… Mais c’était déjà il y a quelques mois. Donc s’il faut, il a tout changé. Il pourrait bien avoir un tas de nouveaux sons encore plus fous. Peut-être qu’en rentrant, j’aurai le droit à un petit aperçu. Sinon, Isaiah (Rashad, ndlr) travaille aussi sur de belles choses, gros big up à lui. Ça va être un sacré foutoir, quand il va sortir, lui aussi…

Un mot sur Reason, la dernière signature de Top Dawg ?

C’est un gars super talentueux de Carson, en Californie. Je l’ai rencontré quand il est venu en studio. À l’époque, je ne savais même pas qu’il était rappeur. Un de mes potes me l’a présenté, il nous a joué quelques morceaux et je me suis dit : “Wow, il est ouf ce mec”. Surveillez-le de près !

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