Haristone, cinq ans de silence pour mieux renaître
Cinq ans de silence, puis un retour en force. Avec ‘Hyper Love’, Haristone signe un projet aussi introspectif que musicalement audacieux. Entre influences R’n’B et ADN rap, l’artiste revient transformé, mûri, mais fidèle à lui-même. Dans cette interview, il revient sur ses années d’absence, son processus créatif, les choix artistiques derrière son projet, et cette obstination qui lui a permis de ne pas tout lâcher. Une conversation sincère sur l’amour, la musique, et la quête d’intemporalité.
Merci de répondre à nos questions et d’avoir accepté l’invitation. On se retrouve aujourd’hui dans le cadre de la sortie de ton projet, paru vendredi. Tu reviens après cinq ans d’absence. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce qui s’est passé pendant ce temps ?
Après la sortie de La Vie en Stone, j’ai décidé de me recentrer sur ma vie personnelle. Je suis un peu sorti de la musique sans que ce soit vraiment calculé. J’ai continué à aller en studio de temps en temps, mais j’avais moins de motivation. J’avais besoin de vivre, de ressentir des choses, que ce soit dans mes relations, mes amitiés… Il me fallait de la matière, des émotions avant de pouvoir retourner vraiment en studio. Quand je me suis senti prêt, il a fallu reconstruire toute une équipe, et ça, ça a pris du temps aussi.
À quel moment tu t’es dit “il faut que je sorte un nouveau projet” ? Parce que si je me trompe pas, tu n’avais pas sorti de single en amont.
Oui, c’est vrai. À la base, je voulais faire deux EPs de six titres chacun. Chaque EP avait sa propre vibe, mais au fur et à mesure de la création, on s’est rendu compte qu’il y avait une vraie cohérence entre la majorité des morceaux. Certains morceaux sortaient un peu du lot, mais c’était volontaire. Et quand j’ai fait “Ex Machina” et “Juste une danse”, qui sont l’intro et l’outro du projet, j’ai compris que j’avais une ouverture et une clôture. À partir de là, tout s’est accéléré.
Tu reviens avec une identité très marquée, que tu n’avais pas forcément à l’époque. Est-ce que ça vient de cette nouvelle équipe ou d’un nouveau processus créatif ?
En vrai, ça remonte même à mon tout premier projet Bates Motel. Il y avait déjà pas mal de sons inspirés de la vibe Toronto — comme “Bonnie & Clyde”, “Appel en absence” ou “Croqueuse de diamant”. Ensuite, sur OFF, c’était plus rap, plus centré sur les histoires de vie, parfois même un peu pop. J’aime bien me challenger, garder mon identité tout en explorant de nouvelles choses. Pour moi, c’est important de proposer quelque chose de frais, de nouveau. Et je pense avoir réussi ça sur ce projet.
Le titre du projet, Hyper Love, évoque quelque chose de démesuré, d’extrême. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce concept ?
Hyper Love, pour moi, c’est vraiment l’idée de l’excès. Je suis quelqu’un d’assez excessif, et forcément, dans mes relations perso, ça n’a pas toujours été bien vécu. Sur le projet, il y a cette dualité : beaucoup d’amour, mais aussi beaucoup de destruction. Ce paradoxe est au cœur du projet. Et puis dans les sonorités, je trouve qu’on a quelque chose de frais. Ça colle bien avec ce titre, il y a ce côté “hyper”, presque “nouveau”. Pas new wave dans le fond, mais nouveau dans la forme.
Globalement, le projet parle beaucoup d’amour et de relations. Est-ce que ces thèmes ont nourri ton écriture, ou est-ce la création de l’album elle-même qui t’a permis d’en apprendre plus sur toi ou sur les autres ?
Je dirais que j’ai surtout appris des choses sur moi. Dans mon processus créatif, j’aime bien mêler le vrai, le romancé, et un peu d’imagination. Il y a toujours une part de réalité, mais je ne fais jamais quelque chose de 100 % autobiographique. Et au-delà du contenu, ce projet m’a appris à rester obstiné, à ne pas lâcher. Franchement, j’aurais pu abandonner. Mais c’est grâce à mes gars, comme Skaam (mon manager et producteur associé), que j’ai repris goût à la musique. Ils m’ont poussé, alors que moi j’étais bien dans ma procrastination, à jouer à FIFA. Donc ouais, ce projet m’a permis de mieux comprendre mon côté obstiné, mon envie de ne pas laisser tomber.
Dans un de tes morceaux, tu dis que tu reviens après longtemps. Il y avait sans doute des attentes autour de ton retour. Comment t’as géré ce stress et cette pression d’arriver avec quelque chose de fort et bien construit ?
Comme tout le projet s’est fait de façon assez instinctive, je ne me suis pas trop mis la pression au début. Mais c’est vrai que plus l’échéance approchait, plus le stress montait. Cela dit, je me mettais surtout une pression sur la qualité des retours. Je voulais que les gens qui écoutent soient touché·es, qu’une majorité accroche vraiment au projet. J’ai aussi pensé aux personnes qui m’avaient découvert avec Bates Motel, je voulais leur faire plaisir sans me trahir.
Quand tu es dans ton processus d’écriture, est-ce que tu écris pour te soulager ou est-ce que tu as aussi la volonté de soulager les autres et les aider grâce à ta musique ?
Pour moi, il y a les deux aspects ! Il y a l’aspect ou c’est thérapeutique pour moi mais j’ai aussi beaucoup reçu de message. C’est pour ça que je n’hésite pas à romancer et à prendre du recul. Par exemple si je veux écrire sur une relation, je vais devoir digérer l’épisode et prendre quelques années pour avoir le recul nécessaire pour ne pas être trop mauvais et déplacé.
Est-ce que tu peux nous parler un peu des invités sur le projet et de comment se sont faits ces featurings ?
Bien sûr. En vérité, tout s’est fait très naturellement. Tuerie, c’est quelqu’un avec qui j’échangeais déjà beaucoup depuis 2019, à peu près. On s’envoyait des messages, on se soutenait mutuellement, il y avait déjà un lien fort. Avec Némir, c’est à peu près à la même période que j’ai commencé à bosser avec lui. Au départ, j’écrivais pas mal pour lui. Et puis, petit à petit, c’est devenu un vrai frère. On s’appelait quasiment tous les jours. Du coup, pour ces featurings, on ne s’est même pas dit explicitement : “Il faut que tu sois sur mon projet.” C’était plus simple que ça. On s’est croisés en studio, ils ont écouté ce que je préparais, ils ont aimé… et ça s’est fait comme ça.
Pour BKRBABYBOY, c’était un peu différent. Je suis un vrai auditeur de ce qu’il fait, je kiffe vraiment son univers. Il faisait carrément partie de mon Wrapped Spotify, donc le faire poser sur le projet, c’était un vrai kiff perso. Je l’ai appelé, il a dit oui, et franchement, aucun regret. Ça a été une vraie belle rencontre, à la fois humaine et artistique.
Il y a aussi eu d’autres connexions qui se sont faites avec le temps. Par exemple, certaines personnes de leur équipe, je les connaissais déjà bien. On s’était souvent croisés en studio, et depuis longtemps on se disait : “Faut qu’on fasse un son ensemble.” Quand le projet a commencé à prendre forme, tout s’est aligné naturellement. C’était une évidence. Ça a mis un peu de temps à se mettre en place, le temps que la dynamique prenne. Mais une fois que c’était lancé, tout s’est déroulé sans accroc.
Tu dis que tu écrit pour d’autres artistes, comme Némir. Tu peux nous en dire un peu plus ?
Oui, j’ai pas mal écrit pour Némir, j’ai aussi écrit pour Aya Nakamura. On va dire que ce sont les deux artistes les plus “gros” pour qui j’ai eu l’occasion d’écrire. Avec Némir, il y a une vraie dimension sentimentale. Je l’écoutais énormément à l’époque, autour de 2013-2014, quand il n’avait même pas encore de cheveux ! Je le suivais de près, tout comme Joke à l’époque. Ce sont vraiment ces deux rappeurs qui m’ont influencé en France. Et j’ai jamais vraiment décroché de Némir. Petit à petit, on est devenus très proches, au-delà même de la musique.
Dans le projet, il y a aussi beaucoup de questionnements personnels, sur le rapport aux autres, à soi… En tant qu’artiste, aujourd’hui, il faut beaucoup se montrer, être actif sur les réseaux sociaux. Est-ce que ça a changé pour toi ces dernières années ?
Énormément, oui. En cinq ans, TikTok a pris une place incroyable. À l’époque, on était encore dans la transition entre TikTok et Musical.ly. Depuis, tout a changé. Aujourd’hui encore, j’ai du mal avec cette plateforme. Mais je sais qu’il faut s’adapter, parce que c’est comme ça que les choses évoluent. J’essaie d’éviter de devenir comme les anciens qui voulaient rester sur Facebook quand Instagram est arrivé. J’ai pas envie de louper ce virage-là. Donc oui, je suis les tendances, parce que ça fait partie du jeu. Avant, c’était la musique qui parlait avant tout. Maintenant, c’est l’image qui prime. Même YouTube, c’est plus ce que c’était. Il y a beaucoup de shorts, donc là aussi, faut s’adapter. Au début, je voulais vraiment jamais faire de TikTok. Pour moi, c’était que des chorés, des danses. Mais au final, c’est juste un outil pour promouvoir sa musique. Et c’est à toi de choisir comment tu le fais. Tu peux le faire de façon cheap, ou de manière un peu plus artistique, proposer quelque chose avec une vraie identité. C’est là-dessus qu’on réfléchit en ce moment : comment revenir sur TikTok, mais avec une vraie vision.
Est-ce que c’est aussi pour ça que, sur YouTube, vous avez sorti juste une vidéo en format short ?
Oui, exactement. On a volontairement choisi de ne pas sortir de clip. On a préféré se concentrer sur l’image globale du projet, mais surtout sur la musique. Franchement, on a passé énormément de temps à bosser la musique, à se prendre la tête sur chaque détail. Et je trouve que YouTube, aujourd’hui, c’est une plateforme qui s’essouffle un peu. Peut-être que c’est juste mon avis, mais j’ai du mal à me dire que je vais investir du temps et de l’argent dans un clip qui n’aura peut-être pas les retours escomptés. Avec un peu moins de moyens mais de bonnes idées, tu peux faire des formats plus efficaces pour les réseaux. Donc c’était notre approche.
Oui, de manière générale, on sent que les artistes sortent de moins en moins de clips.
C’est vrai. Mais en réalité, ça reste important. Un peu comme la question sur les projets : est-ce que ça existe encore ? Est-ce que c’est pertinent d’en sortir un ? Pour moi, oui. Un clip, c’est une carte de visite. Ça marque une époque, ça pose une esthétique. C’est ce qui fait que, plus tard, tu peux te dire : “À ce moment-là, il y avait tel visuel, tel univers.” Donc si un son se démarque du projet, on le cliquera, c’est certain. Mais je préfère attendre les retours du public avant de me lancer dans un clip “classique”.
Et pour rester dans l’univers visuel, est-ce que tu peux nous parler un peu de la cover ?
On a énormément réfléchi, on a fait plein de tests. Mais dès le départ, ma demande principale, c’était qu’il y ait un mood R’n’B, à la manière de Summer Walker, ou même Bryson Tiller quand il sort une mixtape : quelque chose de brut, un peu sombre. On a essayé des directions très différentes, mais une fois qu’on a eu cette cover-là, ça nous a paru évident. Pour moi et pour l’équipe, c’était celle qui représentait le mieux l’EP. Et j’ai ce truc-là : quand j’achète un CD ou un vinyle, je veux que la cover soit digne de faire partie de ma déco. Donc on a pensé à ça comme à un tableau. Et une fois qu’on a eu ce qu’on voulait, on s’est lancés.
Dans ton écriture sur le projet, j’ai trouvé qu’il y avait une vraie approche cinématographique. C’est très imagé, très narratif. Est-ce que tu t’imagines faire autre chose que de la musique un jour ?
Pour l’instant, je n’y pense pas vraiment. Mais je suis pas du tout fermé à apprendre d’autres choses. En réalité, j’ai commencé la musique par l’écriture. J’ai toujours aimé ça. J’adore la littérature, le français… Donc pourquoi pas, un jour. Mais à court terme, c’est pas dans mes projets.
Maintenant que le projet est sorti vendredi, est-ce que tu as ressenti quelque chose en particulier ? Un soulagement ?
Carrément. C’est une vraie libération. C’est comme si je venais d’accoucher de toutes ces années de taf. On a galéré, on s’est posé mille questions, on a recommencé mille fois… Donc ça représente tout ça. Et maintenant que c’est sorti, tout ce poids est parti. C’est plus entre mes mains. C’est au public d’écouter, de se faire un avis. Moi, je suis soulagé.
Et dans cinq ans, qu’est-ce que tu aimerais qu’on retienne de Hyperlove ?
J’aimerais que Hyperlove ne vieillisse pas. C’était l’objectif numéro un : faire une musique que je trouve intemporelle. Et je pense qu’on a réussi. Certains morceaux datent de 2022, d’autres de 2023. Pourtant, quand je les écoute aujourd’hui, je trouve qu’ils n’ont pas pris une ride. Donc je suis vraiment content de ça. Et puis, j’aimerais qu’on le voit comme on m’a souvent parlé de Bates Motel, mon premier projet. Même dix ans après, il y a toujours quelque chose d’actuel dans ce que les gens ressentent en l’écoutant. Peut-être pas dans les prods, mais dans l’atmosphère. C’est ça que je veux : que dans cinq ans, le projet vive encore bien. Qu’il reste universel. Qu’il traverse le temps.
Merci à Haristone pour ses réponses ! Merci à Chloé pour l’organisation de cette interview. Enfin, nous remercions chaleureusement Sony pour l’accueil de cette interview.