Après une bataille acharnée face à ses démons intérieurs, Danny revient avec un disque lumineux, unique et sincère. Un OVNI dont seul l’artiste a le secret et qui lui permet de s’inscrire davantage parmi les rappeurs les plus intéressants et brillants du genre.
Sous ses airs nonchalants, Danny Brown a le don de tromper son monde.
Depuis 2010, l’artiste de Detroit ne cesse de travailler avec acharnement et sérieux pour sortir des albums souvent plébiscités par la presse spécialisée ainsi que par le public. Si l’on se penche uniquement sur la décennie actuelle, nous avons une paire d’albums tous deux sortis en 2023 figurant parmi les meilleurs albums de ces dernières années : SCARING THE HOES et Quaranta.
Le premier, réalisé à quatres mains avec JPEGMAFIA, est un pur concentré d’énergie brute convertie en un shoot d’adrénaline musical ayant réussi à conquérir les oreilles des auditeur·ices au point d’atterrir dans bon nombre de listes de fin d’année.

Quant au second, sorti seulement quelques mois après son projet collaboratif, il adopte un caractère plus intimiste et moins tapageur dans un disque semblable à une séance de psy avec la crise de la quarantaine comme thématique principale. Néanmoins, c’est là que réside le malaise puisque nous nous trouvons face à un artiste dont la productivité mêlée à ses addictions mènent à une lente destruction se déroulant sous nos yeux.
Aux grands maux les grands remèdes : l’artiste se rend en cure de désintoxication pour mieux revenir dans nos casques. Ce retour nommé Stardust a de quoi surprendre compte tenu de l’écho positif qu’il incarne comparé aux noms de ses précédents albums.
S’il décide de se fier aux étoiles pour effectuer un retour en fanfare (à l’instar de son homologue de Chicago avec STAR LINE), ce nouveau projet de Danny a de quoi éveiller notre curiosité vis-à-vis de la nouvelle étape de sa vie : « Même si je me donne toujours à fond, je pense que Stardust est l’album le plus facile que j’ai pu réaliser. La seule difficulté a été d’apprendre à écrire à nouveau en étant sobre, j’y suis parvenu par la répétition de l’effort. » [Source : Hearing Things, 2025]
Puisqu’il a le don de nous emmener sur des terrains souvent imprévisibles, que vaut ce nouveau chapitre musical ?
Old Dusty Danny
En guise de présentation du nouveau projet, Danny a fait du Danny : aller là où personne ne l’attend.
Exit les productions sombres et psychédéliques du passé, il se tourne vers un futur résolument impacté par la scène digicore ainsi que l’électro-pop / hyperpop portée par 100 gecs ou le label PC Music de A. G. Cook.
Ces dernières influences, notamment incarnées par Charli XCX ayant propulsé le genre en dehors du cadre underground avec son incontournable Brat, peuvent désormais poser des questions d’opportunisme en voyant d’autres artistes comme Danny s’y jeter à corps perdu.
Pourtant en ce qui concerne l’alien de Detroit il n’en est rien. Si l’on prend la peine d’observer l’aube de sa carrière, nous pouvons déceler de légers indices (comme sa collaboration avec Charli XCX sur le titre “What I Like”) concernant cette nouvelle étape artistique qui, aujourd’hui, prend tout son sens.
Plus qu’un moyen de sauter sur une tendance émergente, il va laisser la curiosité le guider tout en saisissant l’occasion de traduire cette plénitude acquise par la thérapie en une création musicale : « Je ne mets plus trop la musique que j’écoutais lorsque j’étais en dépression et que je me droguais et buvais. Ce n’est plus le genre de choses que je veux entendre dans ma sobriété actuelle. Quand j’étais dans le centre de désintox, j’écoutais beaucoup de 100 gecs, ce genre de choses résonnait énormément en moi. » [Source : GRAMMY, 2025]
Pour créer la bande originale de sa sobriété, l’artiste a décidé de appel à la fine fleur du genre : « Lorsque je réfléchissais à la conception du disque, je voyais des personnes comme Jane Remover ou Underscores et j’avais peur de ne pas être capable de les convaincre de travailler avec moi. Je me demandais pourquoi personne ne travaillait avec ces artistes. Est-ce qu’il s’agit d’un problème de transphobie ? Ça m’a encore plus donné envie de travailler avec elleux. Quand je suis arrivé dans le milieu, les gens étaient très durs et jugeaient le physique plutôt que la musique. Ces artistes font de la super musique et c’était mon objectif : mettre de la lumière sur cette scène alternative. » [Source : Hearing Things, 2025]
Sans le mettre en avant pour autant, le postulat de Danny s’inscrit implicitement dans une démarche progressiste visant à banaliser ces collaborations au sein du hip hop qui, malheureusement, peine encore sur les questions de genre.
Toute cette équipe créée sur-mesure (complétée entre autres avec Holly, Cynthoni, Femtanyl et Quadeca) opère surtout comme le prolongement de l’héritage laissé par la regrettée SOPHIE dont le spectre ne cesse de planer au-dessus de cet opus.
Afin de renouveler sa formule et briller de mille feux, les sonorités hyperpop se feront naturellement entendre comme explicité plus haut (“Copycats”, “Baby”, “Flowers”…), ainsi que la hardcore techno (“1999”), la house (“Lift You Up”), ou de la drum’n’bass (“The End”).
Bien que sur le papier cela sonne un peu trop fourni au premier abord (et parfois surchargé comme “1999” ou “Green Light”), le résultat n’en demeure pas moins bluffant par la capacité de l’artiste à se fondre avec aisance dans un décor si difficile d’accès mais diablement efficace. Toutefois, derrière ce décorum se cachent encore de vives blessures.
Best Life ?
Telle une étoile qui fend le ciel, l’artiste laisse derrière lui des traces symptomatiques d’un lourd passé qu’il compte bien régler une bonne fois pour toutes.
À travers sa discographie, Danny a toujours été ouvert sur ses vices, qu’il s’agisse d‘Atrocity Exhibition ou plus particulièrement de Quaranta qui sert de préquelle à ce disque. Si sur ce dernier il évoque tous ses regrets l’ayant mené à cette situation, Stardust continue d’abonder légèrement en ce sens afin de se délester de ce poids.
Tour à tour, il évoque son infidélité sur “What You See” avec une petite référence bien sentie à Outkast :
“Used to, fuck ’em and leave ’em, why would they believe ’em? (Nah)
Would say anything to get my face up in their cleavage (Uh-huh)
A hit dog holler, so I was at your daughter’s
Doing anything I can just to try to get their bra off
I’m sorry Ms. Jackson (Sorry), just wanted satisfaction (Yeah)”
avant d’évoquer un manque de discipline l’ayant conduit à la solitude (“RIGHT FROM WRONG”) manifestée par des addictions et la dépression sur “The End” :
“Lookin’ in my eyes, you see no light, was off the meds
Wait until the music only express what’s depressed
Over time, I was losin’, was so stressed, I couldn’t accept it
A junkie, alcoholic, whatever you call it, I was all that”
Cependant, si l’on s’attarde sur les paroles, on constate l’emploi du passé de la part de l’artiste qui ne plonge plus inlassablement son regard dans le rétroviseur. En empruntant cette route semée d’embûches et pavée par ses démons intérieurs, il est parvenu à suivre une voie plus saine, guidée par les étoiles d’un destin plus radieux.
Stellar Exhibition
Une fois l’introspection négative mise de côté, Danny s’emploie à équilibrer ses pensées afin d’apparaître plus optimiste et en paix face à son public.
À cet égard, l’introduction “The Book of Daniel” sert de transition idéale entre son précédent album et celui-ci puisqu’il parle d’une phase sombre mais nécessaire pour rebondir dans sa vie :
“Everything I went through had me drowning on the surface
Discovered who I am, now I know my life purpose
So it was all worth it, now just pay me mind”
Dans la poursuite de cette épiphanie, il utilise le champ lexical floral (ndlr: morning glory est l’appellation anglophone de l’ipomée bleu ciel) sur “Flowers” pour exprimer sa renaissance :
“Made it out that dirt, trauma and hurt
Hunger and thirst, I’m puttin’ me first
Forget me not, stick to the plot
All the morning glory, here to tell my story”
L’esprit plus clair, il sait maintenant discerner les pièges de l’industrie et n’hésite pas à critiquer son système destructeur tant pour les artistes que pour les fans dans “Copycats”.
Néanmoins, fort de son expérience dans le métier, il prend soin de dissocier les aspects positifs et négatifs qui le régissent pour rendre hommage à sa fidèle audience sur “All4U” :
“Y’all ain’t no fan, y’all made me a man
Y’all like my angels on my shoulder
Devil in the rear view, I still hear you
I’ma keep goin’ ’til my life is over”
Avec cette collection de titres, nous pouvons voir à quel point Danny a mûri grâce à un discours truffé de perspectives plus enthousiastes. Là où il souffrait du train de vie d’artiste, il arrive désormais à en profiter en ayant toutes les clés en main (et en tête) pour se sortir de cette spirale toxique.
En mettant de la distance face au chant des sirènes de la célébrité et des substances ayant participé à la dégradation de sa santé mentale, il est fin prêt à accueillir sa nouvelle vie dans l’hymne “1L0v3myL1f3!” :
“We all love a comeback story (Style)
They was worried, underdog, lost it all, got my head up off that fall
Now it’s all up from here, living life without a fear
Shedding tears ’cause I’m still here, blessed to see another year”
Non sans émotion, le nouvel arc narratif de Danny s’ouvre enfin sur une note positive. Un soulagement pour le principal intéressé comme pour un public qui n’a qu’une hâte : voir l’artiste s’épanouir dans des chemins lumineux.
On se souviendra de l’année 2025 comme celles des “old heads” (Clipse, De la Soul, Ghostface Killah, Raekwon…) ayant prouvé que la qualité ne se traduisait pas par l’âge. Du haut de ses 44 ans, Danny s’est lui aussi invité à cette grande fête en sortant un album qui, vraisemblablement, se distingue drastiquement de ses collègues.
Grâce à une fusion maîtrisée des styles, l’artiste propose sa définition du hip hop : un genre progressif et progressiste qui abolit les frontières sans aucune distinction. Dans ce manque de compromission artistique qui lui est propre, le natif de Detroit s’est octroyé un second souffle dans une carrière aux allures de parcours du combattant.
Il nous reste plus qu’à prendre un télescope pour observer sa trajectoire de plus près.
