Après avoir été validé par certaines têtes d’affiche du milieu suite à la sortie de quelques singles, le jeune artiste new-yorkais franchit l’étape importante du premier album. Cette grande marche symbolique a-t-elle rencontré le succès attendu ? Analyse.
Liim Lasalle est un jeune rappeur de 21 ans originaire de New-York, une ville ô combien importante, dans l’histoire du hip hop qui est né dans les rues tentaculaires de la grosse pomme.
Néanmoins, si son quartier de Harlem est intrinsèquement lié à la musique, rien ne le prédestinait à en faire, comme il le confesse : « Je suis musulman et j’ai grandi dans un foyer où la musique n’était pas autorisée. Ce manque de musique m’a paradoxalement permis de l’apprécier et de vouloir en écouter davantage. » [Source : A-T One Radio, 2025]
Au-delà d’une simple attirance, Liim va pousser le curseur plus loin en tentant de créer sa propre musique, d’abord de façon amateure puis de plus en plus sérieuse, au point de connaître un léger succès avec le morceau “Pupils” en 2022 : « En ce qui concerne la chanson « Pupils », tout part d’une simple recherche de type beats sur YouTube. Opraah [ndlr: ami et proche collaborateur] s’est enregistré dessus puis me l’a envoyée avant que je fasse ma partie puis on l’a postée sur les plateformes. Elle a fait un million d’écoutes en deux mois environ, c’est fou. » [Source : A-T One Radio, 2025]
Ce premier accomplissement significatif et symptomatique de l’ère Internet démontre une fois de plus que l’introduction dans le monde de la musique n’est plus aussi cloisonnée qu’auparavant. On en tient pour compte le cas d’Eem Triplin qui avait également effectué ses premiers pas musicaux grâce à ce même procédé.
Suite à cet avant-goût prometteur, il signe dans un label qui le catapulte dans un autre environnement de travail bien plus concret, qualitatif et moins DIY : « Durant les deux dernières années, nous sommes passés de simples enregistrements sur téléphone à des sessions dans les meilleurs studios que j’ai pu voir de ma vie. Au début, la transition était brutale puisque j’ai signé dans un label donc j’allais être payé pour mon travail. J’ai développé une pression en voulant faire de la musique pour le label avant d’en faire une qui me plaise en premier lieu comme avant. » [Source : A-T One Radio, 2025]
De cette première expérience en résulte un album nommé Red Button qui aurait dû voir le jour avant d’être totalement supprimé pour manque d’authenticité selon les mots de l’artiste lui-même. Loin d’être perdu pour autant, il sort quelques singles (“Petty Pete”, “Edward 40 Handz”…) qui ont su trouver une audience fidèle et vraisemblablement de niche.
Du moins c’est ce que l’on croyait jusqu’à ce qu’il reçoive des éloges de la part de Joey Bada$$ mais surtout de Tyler, The Creator qui l’a inclus dans sa fameuse liste regroupant ses coups de cœur de l’année écoulée. Une reconnaissance à valeur de tremplin pour le principal intéressé quand on sait que le californien, outre son immense audience à laquelle il l’expose, possède un flair imparable dans le repérage des talents de demain. (Kali Uchis, Rex Orange County, Teezo Touchdown…)
Désormais galvanisé par sa popularité grandissante et son assurance artistique, Liim nous dévoile enfin son premier projet Liim Lasalle Loves You. Un titre accrocheur voire énigmatique qui emprunte ni plus ni moins le slogan d’un merch de Stevie Wonder qui a pour but de mettre l’emphase sur la thématique principale de son œuvre : l’amour.
Afin de faire monter l’attente autour de cet opus, il déclarait ceci : « Ce projet n’est pas mon chef d’œuvre mais c’est pour l’instant mon meilleur travail. Il a été fait avec amour, mes potes sont tous dessus et les vidéos qui accompagneront l’album illustreront ma vie quotidienne. » [Source : A-T One Radio, 2025]
Cette première carte de visite va-t-elle lui permettre de transformer l’essai et s’exposer à un public plus large ?
Liim Loves Music
Il nous suffit d’écouter quelques minutes du projet pour constater que ses inspirations sont loin d’être locales et piochent volontiers dans d’autres genres musicaux, à commencer par les scènes alternative, indie et R&B.
Comme pour toute création artistique, rien n’est le fruit du hasard et en ce qui le concerne, cela découle d’une exposition précoce à ces musiques : « Mes premiers souvenirs de création musicale remontent à ma jeunesse. J’étais avec mon pote Opraah et j’expérimentais divers sons comme la trap. Il m’a exposé à des musiques plus « indie » que je n’avais jamais entendues avant comme Steve Lacy ou Thundercat qui ont une grande influence sur ma musique et ont changé ma façon de la voir. » [Source : A-T One Radio, 2025]
Bien qu’en premier lieu il craignait trahir l’ADN de son label beaucoup plus friand de drill new-yorkaise, Liim a fait preuve d’une grande maturité en ne cédant pas aux sirènes de la facilité afin de rester fidèle à ses convictions artistiques. Cela se manifeste par un grand cocktail d’influences évidentes qui se superposent, se côtoient sans nécessairement étouffer sa proposition globale.
On retrouve chez lui l’héritage mélodique de Frank Ocean, de Tyler, The Creator, de The Internet et de Stereolab (“For The Both Of Us”, “Clutching My Breaks” ou “Why Why”), la science de l’atmosphère d’un Blood Orange ou d’un Vegyn (“HOPE”), le côté éthéré d’un Max B et d’un Nourished by Time (“Shams Love Song”), le groove des Neptunes (“Sahara Freestyle”, “Important To Ya”) voire un peu de candeur dans le chant tel un Mos Def (“Kicked Rocks”).
Tout ça est permis grâce au travail bluffant de ses producteurs Shamshawan et AJRadico qui ont eu la lourde tâche de traduire les doléances de Liim en un album musicalement riche.
Toutefois, ce superbe écrin sonore ne se met pas uniquement au service de l’artiste mais également à celui de la thèse du projet : l’amour.
LL Cool Liim
À travers l’album, Liim nous offre différentes perspectives sur l’amour sans jouer un rôle trop grand pour lui. Sa force réside dans la simplicité qu’il dégage et permet un sentiment d’identification efficace sans se perdre dans un exercice d’egotrip qui nuirait à la transmission du message qu’il souhaite délivrer à son auditoire.
Dès la deuxième piste de l’album il exprime l’échec d’une relation suite à un train de vie matérialiste auquel il ne peut subvenir à son âge :
“I do care a lot for you, baby
And I don’t wanna floor you, baby
You too rich can’t afford you, baby
You know I adore you, baby
Dior Dior couture and all these things that I cannot afford ’cause I am young”
Ses observations ayant un prisme à la fois juvénile et sincère se poursuivent sur une collection d’autres morceaux qui constituent la colonne vertébrale de l’œuvre.
Nous nous retrouvons ainsi avec quelques chansons semblables à des notes personnelles pouvant être retrouvées dans un journal intime qui capturent des instants de vie. Certains moments sont plus légers et optimistes comme “Shams Love Song” ou Sahara Freestyle” et d’autres plus mélancoliques à l’instar de “Why Why”, “Break”, “Playing Yoself”, “HOPE” ou encore le génial “Mezcal” :
“Sipping on this Mezcal
Timid when I pull up but the drink bring the best out
Lots of things I wouldn’t say weighing on my chest, now”
Ainsi, voir un jeune rappeur tel que Liim apporter une patte déjà très personnelle à sa musique est rafraîchissant voire bienvenu puisque cela lui permet de se démarquer de certains collègues de son âge qui s’engouffrent dans une formule qui ne leur sied guère.
En revanche, si on peut saluer l’authenticité dont peut faire preuve l’artiste de Harlem, il nous offre malgré tout un certain paradoxe.
La Salle des textes et du temps
Nous insistions précédemment sur la sincérité que l’artiste propose dans ses textes mais ces derniers possèdent un certain déséquilibre illustré par deux facteurs : l’économie des mots et du temps. Bien entendu, rien n’oblige les artistes à composer des chansons aux schémas de rimes complexes surtout s’il ne s’agit pas de leur terrain de prédilection.
Toutefois dans le cas de Liim, si sa plume assez épurée permet de nous faire rapidement parvenir ce qu’il désire, il n’en reste pas moins un sentiment de frustration à certains égards. En effet, on souhaiterait malgré tout que ses textes soient plus étoffés pour donner davantage de relief à son idée sans que cela paraisse anecdotique (“Le Pouvoir Noir”, “Two Summers”)
Il alimente malgré lui l’art de l’attente et de l’envie d’en entendre davantage, nous laissant ainsi suspendus au potentiel que pourrait avoir la chanson si elle s’étirait sur quelques minutes supplémentaires. À titre d’exemple, des artistes tels que Earl Sweatshirt ou MIKE sont certes des grands clients de cette méthode mais ils parviennent à mieux compenser cette limite du temps par des textes fournis et plus étayés.
Ainsi, l’album s’illustre par une succession de courtes chansons aux airs d’interludes qui s’inscrit dans la même philosophie que PinkPantheress, l’une des porte-étendards de cette formule dans la sphère mainstream : “Une chanson n’a pas besoin de durer plus longtemps que deux minutes trente selon moi. On n’a pas besoin de répéter un couplet, d’avoir un pont ou d’une longue outro.” [Source : ABC News, 2024]
Cette analyse qui a provoqué l’indignation des puristes à l’instar de la légendaire Dionne Warwick a au moins le mérite de proposer une nouvelle façon de composer. De cette révolution en résulte un style moins académique mais diablement efficace au regard des algorithmes des plateformes de streaming et d’un public de moins en moins patient face aux longs formats.
En revanche, ce format plus spontané n’est pas adapté à tous les artistes à condition qu’ils arrivent à l’apprivoiser…
Ainsi, Liim nous livre un premier projet plein de promesses avec un profil bluffant tant il paraît déjà savoir où il souhaite aller. Ses références sont claires, maîtrisées et bien digérées grâce au travail effectué de concert avec ses producteurs. Néanmoins, si ses textes gagneraient à être plus développés, le niveau décelé par ses homologues est bel et bien là.
En tout cas, nous sommes impatients d’observer sa future trajectoire qui sera sans doute constellé d’étoiles pour une potentielle future star.
