Varnish La Piscine, nouveau roi du 200m rap libre

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Varnish La Piscine, nouveau roi du 200m rap libre

Varnish La Piscine débarque pour révolutionner le rap et y injecter une dose de pop, de funk et surtout beaucoup d’humour. Portrait d’un artiste « outsider ».

Varnish La Piscine a.k.a Pink Flamingo est un de ces artistes qu’il faut surveiller de près. Son nom de scène atypique, aux assonances terriblement aquatiques, est synonyme d’une grande évasion. Cet ailleurs protéiforme qui se dessine sur la ligne d’horizon est un espace- temps où la normalité n’existe pas, un peu à la hauteur de ses projets.

Si c’est la première fois qu’on vous chuchote ce surnom, il y a fort à parier que votre imaginaire fourmillera. Vous supposerez peut-être qu’il s’agit d’une nouvelle cuvée de rosé de Saint-Tropez, d’un pseudonyme – certes un peu barré – d’un danseur de cabaret officiant à La Plage de Paris (ex- Lido), voire… d’un vieux motel bordant une route nationale.

Des débuts remarqués

Membre honoraire de la SuperWak Clique, disciple de Makala, Di-Meh ou encore Slimka, Varnish La Piscine est un authentique produit suisse. Indissociable de la mouvance helvète du rap francophone, Varnish s’est affranchi du collectif avec deux premiers projets. Grâce à Escape (F+R Prelude) et Le regard qui tue, il a su se frayer un chemin par la grande porte. Son tramway se nomme désir, et ronfle jusqu’à franchir le mur du son. Car notre homme est habitée par un désir extatique et confirme à chaque intervention son souhait du premier rôle, dans ce que l’on appellerait une comédie romantique vers le succès.

Varnish La Piscine sort un premier projet en 2016, intitulé Escape (F+R Prelude). Au total, ce sont 7 titres qui introduisent pour la première fois son style où la dimension filmique prend d’ores et déjà une place importante. Dès l’intro, on nous présente plusieurs protagonistes dont Jephté, victime d’une collision avec une voiture, qui sera rebaptisé « Fred » après son amnésie. Il est alors pris en charge par une mystérieuse infirmière (Chaha Adams) aux pulsions trucidaires envers ses patients.

Parmi les pépites de l’EP Escape (F+R Prelude), « She Goes », fait l’effet d’une flèche en plein cœur pour les inconditionnels de Pharrell. Sur cette track, figure toute l’influence du titre « That Girl » feat Snoop Dogg et Charlie Wilson, présent sur l’album studio solo de Pharrell, In My Mind (2006), nommé dans la catégorie « Meilleur album rap » aux Grammy Awards en 2007. Du très glamour écho « Hey Hey » à la mention de « No One Ever Really Dies », les dédicaces ne manquent pas. Même chose pour « Sad Night » qui rappelle les époques N.E.R.D avec l’album Fly Or Die et s’inscrit dans la ligne héritière du morceau « The Way She Dances ». Varnish a du goût, à n’en pas douter.

Dans l’ensemble, on se croirait chez les fous dans l’hôpital où séjourne Fred ! Terreurs nocturnes, crises d’angoisse incarnées dans le titre « Dans tes chveux », chacun des sons fonctionne comme un cliffhanger, où l’on a une vague idée de l’action à venir, sans pour autant que l’on fasse l’économie du suspense.

La scénarisation à l’Xtrem

Lorsque qu’on fait tomber le masque de Varnish La Pisicine, on découvre Jephté Mbisi. Un artiste genevois, qui aborde sa 24ème année avec la sérénité d’un vieux sage. Adepte des changements d’identités multiples, il a été tour à tour connu sous le nom de Pink Flamingo, puis Varnish La Piscine. Des noms dignes d’Hollywood Boulevard ou bien de légendes et autres clandés, sur lesquels on fantasme dans les films d’espionnage.

Tout comme ces hommes de l’ombre ou maîtres espions, on sait peu de choses en réalité sur Jephté Mbisi, notamment sur sa vie avant son entrée au sein du collectif SuperWak Clique. Comme si notre homme avait fait volontairement table rase du passé, de quoi mobiliser tout notre imaginaire.

Car Varnish a une imagination débordante. Pour chacun de ses nouveaux projets, il a tendance à insuffler une dimension filmique. Tout cet univers qui flirte avec l’irrationnel, l’abstrait, et l’onirique sont autant de dimensions qu’il cultive avec une foultitude de scenarii. Dans ces apparitions clipées comme dans « Wes Anderson » on le voit enfiler une perruque blonde et s’engager dans une course poursuite sur route enneigée. A mi-chemin entre humour et grotesque, cette mise en scène sur fond de jazz, est la preuve éclatante que Varnish ne se prend pas au sérieux.  Il excelle dans la dérision, jusqu’à faire fondre le mythe d’Humphrey Bogart.

Jamais sans SuperWak Clique

QLF… c’est pour beaucoup l’une des devises de Varnish. Par sa casquette de producteur, il a accompagné certains de ses frères, à commencer par Makala, pour lequel il a produit ses 3 EP, La Clef (2013), Varaignée 1 (2014) et Varaignée 2 (2015). Mais, Varnish est véritablement sorti de la mêlée, en s’imposant en tant que rappeur et beatmaker sur le projet de Makala Gun Love Fiction (2017). C’est bien peu dire qu’il existe une connexion réelle entre Makala et Varnish. A la fois complémentaires, ils fonctionnent comme le double de l’autre et semblent vivre chacun leur nouveau projet à la manière d’une lune de miel.

L’EP Gun Love Fiction, est un véritable conte en 6 tracks où sont dépeints des personnages sous tension. Bringuebalés dans un univers freudien, entre pulsions de vie et pulsions de mort, Makala et Varnish La Piscine sont tiraillées entre l’amour et la violence. Comme une acmé, la collaboration trouve tout son sens dans le titre « Algenubi » où une voix féminine mi-implorante, mi-joyeuse réclame Varnish. Les deux comparses sont propulsés dans un décor solaire, entre cocktails et bikinis, où les pin-ups semblent défiler sur un vieux négatif, tout ça dans une acoustique résolument pop.

Sur ce même EP, le morceau « Piscine Privée » caractérise à plein le style de Varnish. L’univers aquatique prend tout son sens, à la fois grâce à la puissance des mélodies groove, des voix féminines discrètes et de l’ondulation de l’eau. Loin d’être la marque de fabrique de Makala, il s’agit bien d’un prélude à l’univers de Varnish La Piscine.

En 2019 et après l’expérience Gun Love Fiction, les deux frères se retrouvent sur Radio Suicide dont la paternité est assumée à 100% par Makala et pour lequel il s’agit officiellement du premier album. Mais, le spectre de Varnish La Piscine plane avec hardiesse et légèreté, comme semble le suggérer la cover de l’album où Makala, placide, bâton de pèlerin à la main, contraste avec l’énergie contagieuse de Varnish.

Sur le fond, Radio Suicide est comparable à un objet non-identifié qui se serait échoué sur notre planète rap. Car il a cette particularité saisissante d’être volontairement anticonformiste et inclassable dans sa supposée catégorie. Il se distingue par son originalité percutante, sa force à se renouveler d’un morceau à l’autre, et en même temps d’être à la fois hors du temps et terriblement inspiré par les grands ordonnateurs de la Funk Mob ou de l’Abstract Hip Hop.

A la première écoute et aux suivantes, il sera assez difficile de se convaincre que Radio Suicide est un album de rap. Il alterne entre différents flows et se caractérise par un lyrisme omnipotent. S’entrelacent des influences funk, quelques tonalités plus reggae comme sur « Brigitte Barbade » ou encore des accents trap, à l’image de « Hit Machine ».

Finalement le rap est relégué au second plan, mais on en retiendra certaines titres, comme le morceau violent et déchaîné « King Pistol » feat. Slimka, où Makala et Varnish replongent la tête la première dans les eaux troubles de la SuperWak Clique. Rafraîchissant et totalement avant-gardiste Radio Suicide est un discours de preuve suffisant pour comprendre que Makala et Varnish sont déjà de sérieux compétiteurs sur le podium du rap francophone.

Toujours pour attester des liens forts avec le SuperWak Clique, il est impossible de faire l’impasse sur l’excellent titre « Wes Anderson » en featuring avec Slimka, où Varnish construit un univers feutré, intriguant, proche du polar, et aux influences jazz. Là encore, il montre sa capacité à se fondre dans des univers très différents et atteste que son style absorbe des colorations plurielles. Ce n’est donc pas un hasard, si Varnish a répondu à l’appel du Montreux Jazz Festival, en juillet.

Mets du respect sur son nom

Si les débuts de Varnish ont été salués mais encore trop discrets, mention très spéciale à son dernier EP Le Regard qui tue (LRQT), sur le label Colors. Sorti en janvier, son dernier projet nous plonge à Monaco en 1966 avec un lot d’acteurs triés sur le volet pour incarner cette fable auditive qu’il décrit lui-même comme une « expérience » bien plus qu’une « histoire » sur le titre « Somewhere In Monaco » qui joue le rôle de préface. Le morceau « Routine » nourrit à plein le concept du film auditif, sur lequel on se rapproche du polar avec une suite de dialogues et d’onomatopées qui tiennent en haleine.

Au programme sur ce projet, on notera la participation de Bonnie Banane dans le rôle de « Gabriel Solstice », alors présentée sous les traits d’une tueuse en série. Une artiste assez bluffante, dont la carrière a débuté sur le label Weird Data et qui est déjà estampillée comme la muse d’un certains nombre d’artistes, à commencer par Walter MeccaMyth Syzer sur le titre « La Clef » ou encore Jazzy Bazz. S’ajoutent au casting de LRQT, Varnish La Piscine, dans le rôle de l’inspecteur « Sidney Franco » et Rico Tha Kid qui interprète « Angel de Jesus » journaliste-reporter sur l’EP.

Une fois n’est pas coutume, la recette a bien marché sur ses précédents projets. Varnish recycle donc sa bonne vieille méthode, avec des morceaux filmiques détonants, toujours auréolés de l’influence de Tyler The Creator ou Pharrell Williams comme sur « Yukulélé ». Enfin, les influences sont toujours aussi multiples et certains accents pop, funk, sont directement empruntés à l’univers de Jamiroquai, à l’image de l’excellent « FACE TO FACE ».

Pas à un seul instant, la narration ne vient prendre le pas sur le projet musical. Le regard qui tue est absolument brillant et se distingue par sa propension à mêler, dialogues, influences rap, funk et pop. Il s’écoute comme une bande-originale de film, de préférence en noir et blanc, et conjugue passé / présent avec aisance. Là encore, Varnish a réservé une place au soleil, à son ami Makala sur « Bad Boy » et rappelle ainsi que la Suisse connexion est toujours là.

Enfin, comme pour boucler la boucle, Varnish fait partie des 12 artistes sélectionnés dans la fameuse playlist La Relève de Deezer, à côté de laquelle vous n’avez sans doute pas pu passer. Cette sélection réunit des artistes issus du rap francophone et qui pourraient bien s’imposer comme les possibles étoiles ascendantes du genre d’ici quelques temps. Dans « La Relève », Varnish s’illustre avec le titre « Balloon »,et inutile de vous dire qu’on espère qu’il va rebondir fort dans le futur…