DI-MEH, Genève en perpétuelle évolution

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DI-MEH, Genève en perpétuelle évolution

Suite à la sortie du nouveau projet de Di-Meh, Fake Love, il serait temps de comprendre ce qui fait le sel du rappeur. Un style unique en tout point qu’il cultive avec sa SuperWak Clique et son label Colors Records et dont il faut comprendre tous les paramètres. Retour sur la carrière du garçon et son évolution.

Dans la carrière du rappeur de Genève, il y une chose que personne ne pourra contester : la recherche d’une identité propre. En effet, lui et sa SuperWak Clique, qui commence à nous être familière, auront réussi à conquérir le peuple francophone  avec une vision artistique bien à eux. Que ce soit Makala, Slimka ou l’excentrique Varnish La Piscine,  chacun y dépose sa pierre à l’édifice.

Entre Genève et Paris

Mais initialement, Di-Meh n’avait pas emprunté une route aussi sinueuse. Pour nombre d’entre nous, la 75ème session était la famille à laquelle il appartenait au début de la décennie. Là-bas, il y cultive une esthétique plus boom bap aux batteries sèches et aux BPM plus lancinants (quelle meilleure preuve que de poser sur une face B de Curren$y ?). En démontrant son habilité pour le maniement des rimes, il acquerra une certaine notoriété et nouera des liens intrinsèques avec une branche de l’Entourage. Les EPs comme Reste calme ou Entre le rap et la vraie vie seront de purs exercices de démonstration propre à la 75ème. Pourtant, son flow montre déjà un homme aux crocs aiguisés en quête de nouveaux adversaires. Un constat probant lors qu’il s’affiche au côté de Népal sur « Fu Gee La« , disposant d’un message prévention contre ce volcan prêt à verser sa lave.

Mais voilà, en 2019, il parait se situer à mille lieues de ce style inéclairé. En effet, à l’écoute de sa dernière mixtape, Fake Love sorti tout récemment : il est ardu de croire qu’il ait pu fricoter avec un Hip Hop aussi académique. Celui qui avait pris le train en direction de notre Capitale décide de se payer un aller à Genève sans retour pour Paris. En 2016, plus rien n’est pareil. Les temps ont changé. Comme s’il avait avoué publiquement son identité de mutant, pouvant enfin rejoindre l’équipe des X-Men de sa ville à l’allure trop marginale pour le commun des mortels. La SuperWak s’expose au monde avec leurs personnalités hautes-en-couleur. Et pour Di-Meh, c’est le moment de sortir la planche à quatre roues et y incorporer toute la culture qui en découle dans sa musique.

C’est par le biais de la mixtape Shine qu’il va pouvoir exposer sa nouvelle patte. Pour définir ce mouvement, les visuels dirigés par le réalisateur Natas3000 disposeront d’un calque parsemé de grains VHS. Une mode qui à su atteindre son paroxysme dans le rap mais dont Di-Meh en aura extrait tout la sève pour se l’approprier avec des montages kitchs à souhait  et des prises d’images aux cadres travaillés. Le morceau qui aura su montrer toute sa folie restera Hit-A-Lick, reprenant le tube de Barbie Girl en le déclinant dans une satire psychédélique dictée par les chemises hawaïennes et les femmes au dressing exotique. Dedans, une partie du crew l’accompagne pour dresser ce décor « Andersonnien ».

A ce stade, nous n’avons le droit qu’à un minuscule échantillon de ce dont le bonhomme est capable. A l’arrivé du single « Focus », Mehdi franchit un palier, une évolution de saiyan à la doudoune fluo et aux lunettes de soleil trop épaisses et une board contre les semelles. L’EP éponyme va s’étirer dans cette continuité dotée de sonorités plus abouties qui deviendront propre au rappeur Genévois.

Bienvenu à Astroword

A la manière d’un Six Flags Astroword à Houston, nous accueillant avec une tête aux yeux globuleux et à la bouche ébahie, une scène similaire est dressée dans le parc d’attraction déjanté de Di-Meh. Celui des montagnes russes sans fin et des carrousels aux chevaux distordus. Dans la nuit, les néons sont nos seuls points de repère pour nous frayer un chemin dans cet engrenage fouillis. Régi sous le sobre nom de Fake Love, nous assistons à l’aboutissement final qui à été peaufiné sur les deux cobayes que sont Focus I et II. Pour s’imprégner de la démarche musicale et esthétique, je me dois de vous amener aux divers spots qui parcourent son univers.

Qu’importe où vous vous situez, les collines métalliques sont visibles à perte de vue. La structure imposante veut nous retourner l’estomac dans des descentes donnant l’impression de s’écraser sur l’asphalte. Un sentiment qui s’apparente aux tornades des kicks qui viennent nous frapper le crâne sur chaque piste. En effet, s’il a pu compter sur son flow d’arracheur de dents pour donner de l’énergie à ces anciens projets, ici, la frénésie des productions viendra le soutenir et rajouter une nouvelle dimension. Aucun répit ne doit nous être laissé. C’est un peu près le pari qu’à tenu Di Meh depuis son projet Focus Vol.1 en nous abreuvant de brutalité génétiquement modifiée. Un matraquage de snares, de drums et de claps qui iront constituer un décor brumeux dans lequel il est difficile de distinguer chaque élément. Mais ne nous extasions pas trop vite car, même si les batteries savent être placées au bon moment pour nous faire jumper, beaucoup d’autres artistes arrivent à proposer le même contenu.

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Alors il suffit de lever la tête en direction du ciel étoilé pour y voir un feu d’artifice de couleurs qui s’entrechoquent. Et c’est là ou réside tout le génie de Di-Meh et son équipe. Ce sont ces bruits sifflants qui prédominent sur les pistes. Des synthétiseurs futuristes seront les piliers de son art dont il saura diversifier les tonalités pour chacun des morceaux. Prenons en exemple l’EP Fake love, qui offre des divagations entre les aigus s’affutant entre eux comme dans « Boss » ou se dispersant de façon filaire avec « Maria ».

De plus, une volonté du détail est entretenue en greffant des composants digitaux. Certains sortent tout droit d’un Window 95, qui s’allume au ralenti, tandis que d’autres nous rappellent les couinements de porte à la Pierre Bourne. On est toujours à l’affût de micro-organismes glissés en toute discrétion pour combler un blanc sonore. Mais le plat serait un peu terne sans de savoureux rugissements de bécanes apportant relief et dynamisme au produit final.

Si l’on rajoute à cela l’évolution progressive dont dispose de nombreux morceaux, l’ennui semble être assis loin derrière nous. Avec une telle cohérence, on pourrait facilement croire qu’il ne côtoie qu’un seul beatmaker. Surprise : ce n’est pas le cas. Pour faire comprendre ce qu’il recherche, il s’improvise ingénieur pour livrer des snippets illustrant une direction artistique bien précise. On notera toutefois un apport non-négligeable de la part de Klench Poko, producteur attitré de la SuperWak, qui assure un grosse partie de ce taf.

Dans ce chaos sonore, une voix doit cependant s’élever et pouvoir escalader ces buttes d’adrénalines. Seul notre skateur semble être en mesure de rider ces spots et offrir des tricks originels. Ce qui est remarquable est sa faculté à varier de flows sans prévenir. Dans « Mercedes Noire », introduction du dernier projet, une marrée lointaine résonne, se recouvrant peu à peu d’une nappe nuageuse où Di-Meh arrive dessus avec un refrain chanté sous couvert d’épaisses couches de vocodeur. Pour autant, nul problème à se déchirer la trachée en gueulant, et cela depuis ses premiers pas dans le rap. « Mortal Kombat » est un bel exemple parmi tant d’autres avec un flow à la cadence en accord aux 147 BPM. Plus encore, sa formation au sein de la 75ème l’aura métamorphosé en Sub-Zero. Prêt à déconstruire chaque structure de rime, pour y introduire un phrasé argotique surplombé de gimmicks, dont il est le seul  à pouvoir déchiffrer le contenu. Heureusement, pour l’auditeur, le langage n’est qu’une chute d’assonance qui caresse le tympan.

No Stress

Assis sur la seule parcelle d’herbe du parc, la cervelle en compote et la vision trouble,l’auditeur dépose un dernier regard vers les machines d’Astroworld. Allongé à la suite de cette rafale musicale, l’univers de l’artiste se dévoile et nous laisse contempler un habillage visuellement minutieux ; l’auditeur est alors prêt à passer du sonore au visuel. Di-Meh, son architecte, n’est qu’un personnage loufoque, échappé du royaume des Looney Tunes. Son accoutrement, composé de bonnets à 3 couleurs et de salopettes trop larges, aurait  pu sortir tout droit d’un tableau de Max Ernst. Chaque membre de la SuperWak s’inscrit dans cette démarche de nonchalance avec une impertinence maîtrisée, et où leurs rides d’expressions ne laisse paraître aucune crainte.

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Le rappeur et son crew déposent une main de fer, venue commander chaque aspect de sa musique, pour établir une cohérence qui se perpétue jusqu’à ce jour. Pour de nombreux Français, Genève n’aurait que ces vils gaillards comme ambassadeurs du rap. Et même s’il est faux de penser cela, force de constater qu’ils se sont appropriés le monopole, notamment par des concerts qui feraient pâlir une majorité de punks. Di-Meh démontre qu’il est possible d’évoluer continuellement en osant prendre les devants et ne pas rester dans un confort qui, à la longue, lui aurait causé du tort. Maintenant, reste à savoir comment il souhaite agrandir ses manèges pour ne pas les faire tourner dans le vent et y laisser un parc désertique comme ont pu faire ses prédécesseurs.