Sam’s : « Je n’ai pas d’urgence à faire des hits »

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Sam’s : « Je n’ai pas d’urgence à faire des hits »

Quatre ans après son premier album, Sam’s est enfin de retour avec un nouvel EP, Deus Ex Machina.

Cela fait plusieurs années que la grande silhouette de Sam’s occupe le paysage du rap français. Story-teller doué, le rappeur de Floirac, en région bordelaise, a multiplié les vies. Impossible de voir les blessures de l’homme derrière sa bonhomie contagieuse. Pour le comprendre, son premier album fait office de confessionnal. Les présentations faites, il revient cette fois avec un projet plus court, offrant une belle palette de ses possibilités. Une manière pour lui de réamorcer une carrière rap qu’il a chamboulé en quittant Bomayé Musik et en poursuivant en parallèle une carrière d’acteur avec succès. Retour avec lui sur ces années de transition, en marge du système sans jamais perdre de vue ses ambitions.

BACKPACKERZ : Après quatre ans d’absence, pourquoi avoir choisi de revenir avec un format court ?

Sam’s : Après le premier album, j’ai bossé sur beaucoup de choses différentes. J’avais énormément de titres en stock. Vu que l’actualité va très vite, je me voyais mal revenir directement avec un album. L’EP, c’était la meilleure formule. Court et facile à écouter pour montrer aux gens les directions que j’ai pu avoir pendant tout ce temps, mon évolution globale. Je l’ai vraiment bossé comme un mini album. C’est aussi une manière de faire patienter avant les projets à venir.

Tu as dû supprimer pas mal de morceaux…

Tu n’as même pas idée du nombre… Il y a des morceaux plus périssables que d’autres. Quand je n’aime pas un morceau de A à Z, ça finit souvent à la poubelle. Je me rendais compte sur la longueur que j’avais des titres plus intemporels, avec de la consistance. C’est ce qui m’a donné la direction à suivre. « Animaux », par exemple, est un des plus morceaux les plus anciens du projet alors qu’il ne sonne pas daté. L’ossature globale du projet a été faite il y a environ un an, un an et demi. Quand tu aimes la musique, c’est comme être un créateur de mode. Tu sais à peu près les modes ou les coupes qui vont revenir. Il faut s’adapter à la musique d’aujourd’hui. Que ce soit dans les sonorités, la manière de poser. Mais au fond c’est l’énergie qui perdure.

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@JuPi

Pourquoi ce choix de titre, qui fait référence à un procédé scénaristique plutôt théâtral voire cinématographique ?

Le titre fait clairement un pont entre mes deux activités. Ça symbolise assez bien ce qui m’est arrivé depuis le premier album en 2015 : des hauts et des bas, plein de choses improbables. Ça collait bien à mon état d’esprit. Ces retournements de situations sont un peu l’histoire de ma vie, à des moments critiques où tu as envie de tout lâcher. Mes embrouilles avec mon ancien label, un décès dans la famille… Pendant ce temps là, j’écris « Bazardé » (de KeBlack) et le titre explose. Je fais Patients (film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir) et on fait le million d’entrées. Tu te crois au fond du trou et finalement tu te retrouves dans des situations inespérées. Il ne faut pas calculer. C’est une question d’énergie, il faut toujours mettre les bons ingrédients.

Je veux que mes morceaux soient directement connectés à ma boite crânienne.

Ton premier album faisait la part belle au storytelling avec un réel talent. Sur ce projet, tu es revenu à quelque chose de plus direct. Quels ont été tes défis d’écriture ?

Je suis content d’avoir fait ce premier album, tel qu’il est. Mais il n’a pas vraiment rencontré son public, peut-être pour une question de timing. Les morceaux avec storytelling, ça me mettait un peu dans une case. Je peux faire pas mal de choses différentes et ça peut devenir comme une sorte de handicap au final. Je ne peux pas me focaliser uniquement sur un délire et le pousser à fond. Je prends ça comme un challenge de répondre aux attentes du public en me faisant plaisir. Cet EP m’a permis de mieux situer ma musique. Chacun aime un morceau différent. Mon premier album m’a servi de thérapie, il fallait que je pose tout ça pour pouvoir avancer. C’était comme faire les présentations. Mais sur ce projet je voulais aller ailleurs. Dans le prochain projet, déjà bien entamé, j’essaie de synthétiser ce qu’il y a de meilleur dans les deux projets, en restant dans des concepts. J’ai envie de surprendre mes auditeurs, qui peuvent revenir ensuite sur mes projets précédents. Adapter ta musique et ta manière de faire dans l’industrie actuelle, c’est ça l’enjeu.

Tu as toujours eu ce regard d’observateur sur les choses, avec des choix d’angles d’écriture en décalage avec le reste du rap français.

Dans le prochain projet, je veux aller encore plus loin. Je me prends la tête sur le coté psychologique des choses. Quand j’écris des trucs plus deep, je m’intéresse aux choses qui arrivent et repartent, les sentiments qui nous traversent. Je veux que mes morceaux soient directement connectés à ma boite crânienne. J’ai toujours un disque dur en moi, qui analyse. Qu’est-ce qui a pu amener une telle situation ? Ça m’intéresse plus de raconter les sentiments et les émotions que simplement écrire des gimmicks. Il faut comprendre les tenants et aboutissants. Un exemple de morceau qui m’a marqué, c’est « Marvin’s Room » (sur Take Care, 2011) de Drake. Un mec en boîte, bourré à 5h du mat’, qui appelle sa meuf et qui lui dit qu’elle devrait quitter son nouveau mec, même s’il est surement mieux pour elle. Tu te rends compte de la complexité du mec, de ce qu’il traverse, de son succès, des filles à ses pieds, mais il est obsédé par cette fille en question. C’est comme une scène de film. C’est ça qui te fait vibrer dans un album.

Après un premier album quasiment entièrement produit par Céhashi, tu t’es ouvert à d’autres beatmakers pour ce projet.

Oui, même s’il y a toujours la patte de Céhashi. J’ai bossé avec énormément de producteurs différents. Je marche beaucoup au feeling dans ma manière de travailler. Si je bosse avec un beatmaker ce n’est pas pour aller chercher le type de son qu’il fait. Pour les morceaux avec Biggie Jo, je ne lui ai pas demandé de me faire du S.Pri (Noir) ou du Still Fresh. On a vraiment créé en studio tous les deux en échangeant. J’aime les amener sur un terrain inconnu, comme je le ferais pour moi-même. Faire converger des énergies différentes. Je préfère travailler directement avec eux pour garder une cohérence musicale sur mes projets. Je me suis surpris moi aussi à tester différentes productions. Même si je récupère 5% d’un morceau, c’est déjà une réussite. Sur « Pirates et Amazones », je prends du plaisir à faire ces mélodies, ce refrain. Je n’ai pas envie de prendre le contre-pied pour le contre-pied, mais de surprendre agréablement, déjouer les attentes.

Il n’y a rien de pire qu’être accroché aux chiffres.

Autre changement par rapport à ton premier album : une plus forte présence de featurings.

Parfois les feats ça peut prendre la tête à cause des timings. Tu peux apprécier un artiste mais selon les degrés de hype de chacun, les rapports vont changer… Les téléphones ne répondent plus pareil. Je me refuse aux feats clinquants. Je le fais pour des qualités humaines. Demi Portion, par exemple, je ne le connaissais pas personnellement, mais ça s’est fait naturellement, en évitant les problèmes d’égos. Némir c’est un super gars aussi. On a galéré à faire ce feat pour des question de timing, mais on le connait comme ça… On habite à côté pourtant. Il court partout mais humainement parlant il n’y a aucune galère, aucun ce-vi. Ça se ressent dans la musique les choix des invités. C’est inutile de vouloir vendre à tout prix si c’est pour avoir des feats ratés.

Comment se sont faites les connexions ?

Pour Demi, je voulais l’amener sur un délire trap. Je lui envoie, et il me rend son couplet en un jour. Chaud ! Il avait capté le délire du son. Pour Brav, c’est une prod de Céhashi à la base. Il me l’a envoyé avec un refrain en yaourt mais il n’assumait pas de rester sur le morceau. C’était dans un délire à la Brav donc je l’ai contacté direct. On s’appréciait artistiquement, donc ça s’est fait de manière fluide. J’essaie d’imaginer les feats le plus en amont possible. Pour Naza, c’est incroyable… Je suis en studio, je pose mon couplet mais je n’ai pas de refrain. Il fallait un truc qui reste en tête. Naza rentre en cabine défoncé et il sort tout son passage sans rien écrire. Au final quand tu taffes au feeling, tu sors le meilleur de ce que tu attends des artistes. Rien n’est calculé. Pour Anna Kova, là c’était un peu différent. J’ai ce morceau, je fais le refrain mais il ne me plait pas du tout, ça ne fonctionnait pas… Je pense à elle car j’aime beaucoup sa voix. Elle m’a sauvé le morceau !

Avec Némir, tu partages aussi cette position un peu en marge du système. Et quelque part en marge d’un certain succès aussi.

Je préfère avoir cette posture, même si on manque clairement d’exposition. Il n’y a rien de pire qu’être accroché aux chiffres. On s’en fout du score des autres. Quand tu es rappeur, tu es aussi un auditeur. Entre l’album et l’EP, il s’est écoulé quatre années mais j’ai toujours été là. Je n’ai pas ressenti le temps qui passe. J’aurais de quoi sortir trois EP facilement aujourd’hui mais je ne peux pas pour des raisons pratiques. Il faut renégocier, faire écouter au label, investir, avoir un plan com’. Si je sors un projet comme ça, je peux me couper d’une exposition qui peut lui faire défaut. Il faut l’emballer un minimum sinon tu passes à la trappe avec les sorties chaque semaine. Quand tu as enfin un projet qui mérite d’être bien défendu, il faut que tout se mette en place. J’ai une économie où je peux sortir des projets, avoir un public, et faire des choses à coté. Je n’ai pas d’urgence à faire des hits. Tu peux rentrer dans des travers très vite sinon, à te rendre fou ou faire des morceaux que tu n’aimes pas.

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@JuPi

Tu y vois des parallèles avec l’industrie du cinéma français ?

Dans le cinéma français, quand tu fais un film d’auteur, même s’il ne fait que 10 000 entrées, il aura quand même sa vie, son crédit. Pour Patients, on a fait 1 500 000 entrées, un vrai succès. Derrière j’enchaîne avec La Surface de Réparation, qui ne casse pas des briques niveau entrées. Mais le film a été vu, il y a eu une couverture médiatique. En France, on protège un certain cinéma de niche. Même avec de faibles entrées, tu peux gagner un César comme pour 120 BPM ou Petit Paysan. C’est l’inverse dans le rap. C’est impossible aux Victoires de la Musique. J’ai rarement vu quelqu’un gagner sans avoir fait platine. Sinon Alpha Wann aurait gagné cette année… Il y a tellement d’enjeux économiques, ça reste de la politique basique. A l’époque du 113 et d’IAM, il y avait un vrai équilibre entre qualité et succès commercial. Tu ne peux pas caler sérieusement dans la même catégorie urbaine Eddy de Pretto et 113… Il faut revoir les critères.

Comment perçois-tu les réactions parfois virulentes des rappeurs américains, notamment quand certains boycottent les Grammy Awards ?

Aux États-Unis, ils aiment fonctionner en communauté et en lobby, ce qui n’est pas plus mal parfois. Quand ils se regroupent, dans une bonne énergie j’entends, ça marche plutôt bien. Quand ils font ça pour leur culture, ils deviennent influents. Regarde l’affaire Gucci par exemple (la marque a sorti un pull en « blackface »), les rappeurs réagissent directement, montent au créneau. Gucci s’excuse directement, retire les fringues, tout va très vite. Ils peuvent être en beef entre eux, mais dès qu’il y a une affaire en commun, ils arrivent à se mobiliser. En France, ce qu’ils ont compris dans l’industrie, c’est que plus tu divises les rappeurs, plus ça marche pour eux. Il y a beaucoup de choses à redire sur les rappeurs mais le milieu n’est pas plus pourri qu’un autre. Les rappeurs français passent souvent pour des guignols auprès des gens, mais si tu regardes de plus près, il n’y a pas d’affaire Weinstein ou de « Ligue du LOL » dans ce milieu. C’est quand même un comble que le rap soit moins sexiste que les journalistes qui en parlent en mal. 70% des personnes avec qui je travaille sont des femmes. Il faut arrêter à un moment de nous prendre pour des cons ou des misogynes.

Sam’s – Deus Ex Machina

Entretien mené avec JuPi.