Mehdi Maïzi : « Le rap ne va pas s’arrêter »

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Mehdi Maïzi : « Le rap ne va pas s’arrêter »

Journaliste, animateur et programmateur, Mehdi Maïzi dispose de nombreux couteaux à sa ceinture. Aux fourneaux, le marmiton du rap enchaîne les projets et connecte les gens à grand renfort de Sauce.

Boulimique, Mehdi Maïzi avale les projets comme un ogre. Son rythme intensif, ses rares heures de sommeil et son appétit pour les nouvelles aventures ont fait de cet enfant des 90’s fan de foot l’un des journalistes rap les mieux identifiés de l’hexagone. Ça, et une facilité à jouer le rôle d’ambassadeur. Études en école de commerce, job de consultant mortifère puis changement de vie. La suite s’écrit avec un dictaphone et un clavier azerty. Progressivement, il devient grâce à ses émissions le symbole du site l’Abcdr du son.

Un livre paru chez Le Mot et le Reste, la série de vidéos Deeper Than Rap, les podcasts NoFun, une capsule dans Monte Le Son sur France 4 : Mehdi Maïzi a faim. Les idées fusent et se concrétisent. Depuis son départ de l’Abcdr, il cumule les jobs et les casquettes. Quand il n’anime pas sa quotidienne sur OKLM, la webradio de Booba, ou qu’il ne crée pas de contenus chez Deezer, il invente de nouvelles recettes. Dernière frasque en cuisine : un siège éphémère sur le plateau de Balance Ton Post, le programme de Cyril Hanouna sur C8, qu’il a temporairement quitté –ouf !– pour se recentrer sur son univers : la culture.

Le chef enrichit bientôt sa carte. À venir : un podcast sur l’industrie du disque et quelques gourmandises élaborées avec Vice. Avant qu’un nouveau projet n’entérine l’obsolescence programmée de cette interview, on est revenu sur son parcours et on s’est entretenu avec lui sur l’avènement des podcasts, les liens entre artistes et médias, l’hégémonie des plateformes de streaming, le rôle de la TV et surtout, l’avenir du rap. Mettez plusieurs journalistes rap autour d’une table, ajoutez quelques boissons, remuez le tout et voilà : un entretien fleuve, à servir bien frais en apéro !

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© Antoine Monégier

Tu as fait tes premiers pas comme journaliste à l’Abcdr du son. Qu’en as-tu gardé ?

L’Abcdr, c’est mon centre de formation, c’est là que j’ai tout appris. Mon ton, le côté bienveillant et passionné, ça vient de là. Vu que c’était un projet bénévole, en tout cas au début, c’était comme un hobby. Il y en a qui jouent au foot le dimanche, moi j’écrivais des chroniques et je faisais des interviews. À titre personnel, ça a suscité des envies que je ne soupçonnais pas, parce que j’avais pas du tout prévu de faire ça. En tout cas, professionnellement.

Les émissions de l’Abcdr, les vidéos Deeper Than Rap, le podcast NoFun, le livre Rap français, une capsule TV dans Monte Le Son : tes projets se sont enchaînés à une vitesse folle. Pourquoi est-ce allé si vite ?

Quand tu ne vis pas à Paris, tu rates beaucoup de choses. En tout cas, si tu es fan de rap. Si tu es fan de pêche, c’est sûr qu’il y a d’autres villes où vivre ta passion ! (Rires) Le rap, Paris en reste, malheureusement ou pas, l’épicentre et quand je m’y suis installé, j’ai eu envie de vivre le truc à fond. Quand Dailymotion a monté un studio, ils ont contacté l’Abcdr et son fondateur m’a mis dans la boucle. Grâce à eux, on a été les premiers à faire des émissions. Le concept n’a rien de novateur, mais on a remis le sujet sur la table. Ensuite, un projet en appelle un autre. Tout est allé très vite parce que j’avais les crocs, que je les ai encore et que la conjoncture était favorable. Le rap est devenu cool à ce moment-là et depuis, plusieurs médias en vivent.

Il y a eu trois moments importants : Rapattitude (…), Skyrock (…) et le streaming.

Quel recul t’as donné ton rôle d’animateur chez OKLM sur le rap en France ?

Mon but dans La Sauce, c’est d’offrir une photographie complète du rap. Émettre un jugement, c’est compliqué, parce que c’est un milieu très décomplexé, où tout le monde cohabite. En deux ans, j’ai le sentiment d’avoir vu tous les styles de rap. C’est à la fois un âge d’or et une bulle spéculative, et on a tous peur du moment où ça va ralentir. Là, on entend que le rap est numéro un tous les jours. Il faut se calmer avec les chiffres qu’on donne, nous les premiers, parce que le streaming sur-pondère le rap. Il y a eu trois moments importants : la compile Rapattitude, en quatre-vingt dix, qui a prouvé que le rap peut vendre, Skyrock, en quatre-vingt seize, qui a accompagné le succès de certains artistes, et le streaming en deux mille seize, qui lui a donné une seconde vie.

Justement, parviens-tu à mesurer l’impact de tes émissions sur le succès des artistes ?

L’impact des médias a toujours été difficile à mesurer. À part en TV, où un passage à une heure de grande écoute a des effets immédiats. C’est plus facile à mesurer dans mon travail chez Deezer. Quand tu entres un artiste en playlist, l’impact est direct. Sur de la prise de parole, c’est plus compliqué. Par contre, des artistes m’ont dit qu’on leur avait permis d’obtenir des rendez-vous ou que des tourneurs avaient entendu parler d’eux grâce à nos émissions. Après, on n’a pas de gloire à en tirer, c’est notre métier. Décrypter l’actualité, interviewer les artistes, parler de musique, c’est pour ça qu’on nous paye.

D’abord le Isha Football Club, maintenant le #InfinitChallenge. Inventer des concepts à la gloire de vos artistes préférés, ça devient un sport chez NoFun !

Quand on aime, on aime fort ! D’ailleurs, ça peut être un bémol, quand on est journaliste. Le #InfinitChallenge, on a réussi à le placer en trending topic France. Très bien, mais ça représente combien de personnes ? Tu peux être trending topic avec vingt personnes qui tweetent toute la journée. C’est ça internet : l’éclosion des niches. Il suffit d’être suivi par quelques personnes pour exister. Faire du bruit sur les réseaux, c’est une chose, mais si on avait une réelle influence, Hamza aurait été disque d’or bien avant, Isha serait platine et Dany Dan serait au Panthéon !

Immense respect pour les artistes, parce que je serais incapable d’être artiste.

À l’inverse, est-ce difficile d’avoir l’esprit critique quand tu croises régulièrement les artistes dont tu parles ?

Vu qu’on parle de musique, quand on critique, c’est jamais gratuit. Impossible de nous reprocher ça. D’être à côté de la plaque, pourquoi pas, mais d’être méchants, non. J’ai trop de respect pour ça. C’est la phrase d’Aimé Jaquet dans Les Yeux Dans Les Bleus : « Immense respect pour les attaquants, parce que j’étais incapable d’être attaquant. » Immense respect pour les artistes, parce que je serais incapable d’être artiste. Mon rôle, c’est de chercher à comprendre leurs œuvres, de les faire parler de manière posée, de créer un moment, ou de donner des clés de lecture.

© Antoine Monégier

Cet été, tu as refusé de t’exprimer chez BFM sur la polémique Medine et l’affaire Booba/Kaaris. Dans une interview pour Hypebeast, tu as expliqué que sur un tel média, tu n’as pas le temps de t’exprimer. Et à la rentrée, tu as rejoint l’équipe de Balance Ton Poste, l’émission de Cyril Hanouna sur C8. N’est-ce pas tenir un double discours vis à vis des médias TV ?

Mon point dans Hypebeast, c’est une critique des chaînes d’info généralistes, qui nous appellent pour parler du rap en mal. Aller chez BFM pour dire en trente secondes que le rap, c’est pas que l’affaire Booba/Kaaris, la flemme. J’ai d’autres choses à faire. Ils sont loin, en plus. (Rires) À part dire qu’ils se sont battus et que c’est regrettable, que veux-tu que je dise ? Défendre le rap uniquement quand il se passe une dinguerie, non. Si on m’appelle régulièrement pour parler d’un record de Booba, des rappeurs dans les festivals, je suis là. Si c’est juste pour l’affaire Booba/Karis et la polémique Medine, ça ne m’intéresse pas. De toute façon, tu n’as pas le temps d’intervenir.

En quoi est-ce différent sur C8 ?

C’est un débat sur l’actualité, où tout le monde fait partie de la même équipe et où on parle de tous les sujets. J’y suis allé avec beaucoup de curiosité, parce que c’est rigolo de voir comment ça se passe. La promesse, ce n’est pas de parler rap ou d’être la caution rap de quelqu’un, uniquement d’en parler si c’est l’actualité. J’ai parlé de Nick Conrad parce que c’était le sujet. Évidemment, il faut aller vite et être percutant, mais je n’ai pas été mal à l’aise avec les différents points de vue qui ont été exprimés. C’est le rythme de la TV, et on peut décider de ne pas s’exprimer là-bas. Dans Monte Le Son, je devais présenter des artistes en quelques secondes. Peut-être que c’est à moi de mieux comprendre la mécanique et d’être meilleur sur le temps imparti.

Est-ce que la TV est le bon média pour le rap ? (…) En tout cas, ça va arriver.

Qu’est-ce qui t’a décidé à participer à Balance Ton Poste ?

Franchement, je parle de rap toute la journée et c’est cool d’avoir un espace pour parler d’autre chose. Avoir une voix, sans vouloir représenter quelqu’un. Peut-être qu’il y a une parole à porter. Tu parles pas pour des gens, mais tu représentes de facto quelque chose quand tu passes à la TV. L’exercice est intéressant et j’ai énormément appris, des choses pour mes émissions. Est-ce que la TV est le bon média pour le rap ? J’en sais rien. En tout cas, ça va arriver. À un moment, la TV va s’en emparer et c’est un point d’entrée. Bien sûr, avoir un projet en TV, c’est dans un coin de ma tête quand je vais là bas. Retomber sur mes pattes et faire quelque chose autour du rap ou de la culture, plus généralement. J’ai très envie de parler de cinéma.

Et pourquoi as-tu choisi d’en partir ? 

Il y a eu deux semaines où je n’ai pas fait de plateau, ça m’a permis de prendre beaucoup de recul. Lorsque Cyril Hanouna m’a contacté, les contours de l’émission étaient encore flous. Il était question que Konbini bosse sur l’émission. La promesse d’un ton internet m’a rassuré. Aujourd’hui, l’émission évolue et je vois mieux à quoi elle va ressembler. Les termes du débat sont très « oui » ou « non », « blanc » ou « noir », pas de place pour la nuance. Et la nuance, c’est ce qui me caractérise. Et puis, j’ai envie de parler de sujets culturels, pas uniquement sociétaux. C’est cool, c’est quelque chose que je peux regarder, mais je n’ai pas envie de prendre la parole là-dessus. Il y a quelque chose de paradoxal : même si le sujet ne t’intéresse pas, tu es là, donc tu dois en parler.

Parlons d’un autre format : les podcasts. Le marché est-il enfin mature ?

En France, tout le monde se dit qu’il y a un truc à faire. Il y a toujours le vieux fantasme des milliardaires qui veulent se payer un média. Qui flairent un potentiel commercial. Une économie se crée et ça intéresse des gens. C’est maintenant que ça se passe, on est à un moment charnière pour le podcast. L’intérêt progresse et je suis encore surpris du manque de podcasts sur la musique. Hormis les trucs historiques de Radio France, peu de personnes se lancent. J’adorerais avoir un podcast qui explique la pop française.

OKLM vient de signer un partenariat exclusif avec Deezer. De quoi s’agit-t-il ?

Le partenariat avec OKLM, c’est une branche de plus à l’offre éditoriale de Deezer. Tu sais que si tu vas chez Deezer, tu as accès à toute l’offre d’OKLM. C’est une exclusivité, comme Joe Budden vient de le faire avec Spotify aux États-Unis. Les exclus sur les sorties d’album, c’est terminé. Les plateformes ont compris que c’était un problème. Par contre, elles ont compris autre chose : qu’elles étaient des médias. Pas juste une bibliothèque de contenus. Des médias qui ont vocation à prendre la parole sur la musique.

Même si les artistes le font, ça a peu de sens de communiquer sur des records.

Qu’attendre des plateformes de streaming dans le futur ?

C’est la guerre en ce moment, il y a une volonté de changer la donne. Il va falloir changer le nom « maison de disque ». Elles ne vendent plus que des streams, donc on va appeler ça « maisons de streams. » (Rires) La France est une anomalie avec le physique. Aujourd’hui, les plateformes sont tenues par des contrats avec les major. Spotify cherche à sortir de cette relation avec les labels. Pourquoi pas, mais si tu produis et que tu diffuses les artistes, tu deviens juge et partie. Le streaming est dans une phase de croissance exponentielle. Même si les artistes le font, ça a peu de sens de communiquer sur des records, car il y a plus d’abonnés maintenant qu’il y a six mois et moins que dans six mois.

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© Antoine Monégier

Et que penses-tu des médias rap à l’heure actuelle ?

Bah BACKPACKERZ, c’est génial ! Voilà, je l’ai dit. (Rires) Plus sérieusement, je suis content qu’il y ait une offre diversifiée. Il y a de la place pour de l’écrit et de la vidéo. Il y a Yard, des enfants de l’Abdcdr et de Booska-P qui coexistent. Les contenus sont plus propres, les médias rap produisent des choses de qualité. Les youtubeurs proposent un contenu riche et je me remets à lire des articles en français. Il y a encore plein de trucs a faire, mais sur internet, on revient de loin. En fait, on est au début des médias rap qui vivent.

Un mot sur l’avenir du rap pour conclure ?

Le rap ne va pas s’arrêter demain. Il est là pour durer. C’est la musique des jeunes. Il se renouvelle en permanence. XXXTentacion, c’est du rap ? J’en sais rien, mais c’est la voix de la nouvelle génération, comme Tupac l’a été longtemps avant. Mon dieu, je vais me faire tuer pour cette phrase ! (Rires) Le rap, ça n’existe pas, ça ne veut rien dire. C’est la musique la plus progressiste du monde et s’il n’y avait qu’une façon de faire du rap, ça ferait longtemps qu’il serait un genre en perdition. Ça va évoluer, l’engouement va se calmer, il va sûrement y avoir un tri dans les artistes et les médias, mais ça ne va pas s’arrêter.


Cette interview a été réalisée conjointement avec Antoine Bosque

Merci au bar Le Post-Paradis pour leur accueil et à l’excellent Antoine Monégier pour les photos.