Lesram – Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu

Facile de faire des rimes, plus dur de dire des choses”. Présenté en guise d’introduction de son dernier projet Wesh Enfoiré, ce subtil parallélisme soulignait alors le nouveau dilemme auquel faisait face un Lesram de retour dans le rap depuis 2020 ; plus conquérant que jamais. En effet, la musique proposée par l’excellent technicien originaire du 93 était désormais porteuse d’une ambition : celle d’un jour réussir à faire un grand album en peaufinant son propos sans faire de concession sur la richesse de ses rimes.

En ce sens, Wesh Enfoiré avait représenté une avancée majeure dans cette longue et fastidieuse quête. L’équilibre trouvé entre des morceaux phares pour les techniciens du rap (“Intro”, “Rotation”, “Wesh Enfoiré”) et les amoureux du fond (“CNN”, “Cri des mômes”, “Avec le temps”) en avait tout simplement fait un des excellents projets de rap de l’année 2022. D’ailleurs, l’album avait alors été plébiscité quasi-unanimement par les auditeurs et les auditrices de rap averti·e·s. Ce court projet de dix titres synthétisait à merveille toutes les raisons qui font de Lesram un des artistes les plus en vue depuis cette date. 

Pourtant, rien n’est jamais aussi difficile que de confirmer après une réussite aussi prometteuse. Demandez à Yoann Gourcuff ou à Papoose ce qu’ils en pensent. L’enjeu n’est donc ici plus le même pour Lesram à qui on a pu parfois reprocher une écriture un peu trop automatique, en dépit de toutes les qualités citées précédemment. La première citation se veut pour le moins rassurante car elle témoigne d’un artiste conscient de ses défauts qui œuvre à les corriger au fil de ses projets. Dès lors, Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu naissait de cette promesse alléchante pour un artiste qui n’a jusqu’alors jamais cessé de progresser.  Ce nouvel opus de cette saga d’aventure à la conquête d’un graal artistique aura-t-il réussi à répondre aux attentes ? 

Du Lesram dans le texte 

Au fil de ses projets, Lesram a su développer des points forts, qui caractérisent sa musique. Une chose est sûre : il est clair qu’il en est conscient. Comme à son habitude, il propose une fois encore une démonstration d’excellent rap en combinant technique, propagation de la culture et regard sur son environnement.

Aujourd’hui, il existe un certain nombre de rappeurs extrêmement techniques. Pourtant, Lesram sort du lot. En effet, ses flows particulièrement variés, ses placements infiniment précis et ses rimes toujours aussi riches se voient réunis sous le pagne d’une exigence qui le caractérise. À cet égard, il évoquait, dans une récente interview donnée à Mehdi Maizi pour le Code, son obsession pour la rime. Cette dernière semble transcender le cadre de la musique et le poursuivre dans son quotidien au point d’associer systématiquement chaque nom d’enseigne à une assonance ou allitération de plus. Il n’est donc pas étonnant de retrouver tout au long du projet un enchaînement de multisyllabiques et ce particulièrement sur les deux excellents “Mac Nulty” et “QB”.

Ce dernier titre n’est d’ailleurs pas anodin car il témoigne, par son titre, d’une volonté de propager la culture hiphop en référençant sa musique. En ce sens, QB est un diminutif du quartier de Queensbridge, haut lieu du rap new-yorkais, qui a vu émerger des monuments du rap américain comme Nas ou encore Mobb Deep pour ne citer qu’eux. Si cette appétence pour ce rap très technique s’entend dans cet album, elle est couplée à de nombreuses influences françaises du paysage des années 2000. En effet, cette décennie marquée entre autres par Alibi Montana, Lim ou encore Sefyu a joué un rôle crucial dans sa formation en tant qu’étudiant du rap. En atteste le bel hommage adressé à Rohff sur le morceau intitulé, par un mystérieux hasard, “En mode” : “En mode survêtement, en mode survet’ blanc, en mode thunes bêtement, toujours sur le même banc.”

Cette technique n’a rien de nouveau chez Lesram. Depuis ses débuts au Panama Bende, Lesram a toujours été décrit comme un fin technicien qui devait encore apprendre à parfaire son propos, son habillage et ses instrumentales. Ainsi, l’essence du rap de Lesram a toujours été et demeure encore aujourd’hui la technique. Néanmoins, cette dernière a su s’affiner et il est légitime de dire qu’elle a atteint son apogée depuis près d’un an.

Le cinquante-quatrième épisode de Grünt réalisé il y a maintenant un an illustrait à merveille l’aboutissement de tout ce travail. Lesram y étale tout son talent avec une certaine simplicité, presque sans prétention ; à tel point que les figurants y semblent anormalement indifférents comme l’avait drôlement signalé Ben PLG : “Le destin me regarde faire des dingueries sans broncher, comme les mecs au fond dans la Grünt de Lesram” (sur le par ailleurs recommandé “Trucs sentimentaux” ft. Limsa d’Aulnay).

Toutefois, il serait mensonger de dire que Lesram tombe dans la technique pour faire de la technique. L’opposition introductive soulignait d’ailleurs déjà l’inexactitude profonde de cette assertion. De fait, Lesram capitalise sur cette rigueur lyricale pour présenter aux auditeurs un “Aperçu”, du nom d’un des morceaux de l’album, de la réalité de la rue. S’il est évident qu’il ne peut être qu’hautement subjectif sur sa manière de présenter la situation, il est frappant de constater la distance qu’il instaure entre son environnement et sa musique.

En effet, il essaye de porter un regard lointain et presque tranquille sur des réalités du quotidien des habitants de ces quartiers sans jamais y implémenter son histoire personnelle. Au contraire, il s’interroge constamment en arrière-plan sur ce triste panorama au point d’y dédier un morceau symptomatique intitulé “Question”. Or, ces froides descriptions de la rue avaient notamment contribué au succès de la mixtape précédente sur laquelle des morceaux comme “Cris des mômes” ou encore “Avec le temps” synthétisaient à merveille l’érection de ce nouvel atout. 

Un tournant artistique ? 

Si l’essence de la musique de Lesram reste la même, la forme évolue sur ce nouveau disque. De fait, Lesram s’est évertué à corriger certains défauts qu’on pouvait lui reprocher et notamment un en particulier concernant l’accessibilité de sa musique. Depuis ses débuts, Lesram posait globalement exclusivement sur des instrumentales fortement inspirées du boom bap à l’ancienne; des instrumentales sur lesquelles il rappait très bien sans forcément apporter de touches mélodieuses ou de variations majeures. Dès lors, certains morceaux pouvaient devenir quelque peu redondants ; bien que Wesh Enfoiré y déroge. 

Par conséquent, ce disque traduit la volonté nouvelle de l’artiste de réussir à incorporer de la mélodie aussi bien dans les interprétations que dans les instrumentales. Par exemple, les invitations de Josman et de PLK, cantonnés au refrain chanté, offrent une versatilité des performances lors de ces deux morceaux, que Lesram n’aurait pas pu reproduire seul. De plus, les productions des morceaux “100X” et “Histoire du quartier” donnent du relief en étant plus ensoleillées que le reste de l’album. 

En somme, Lesram est sûrement en train d’opérer une mutation structurelle de sa musique. En effet, Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu met en exergue la combinaison intelligente entre ses forces historiques et de nouveaux éléments qui poussent à croire que l’artiste cherche sûrement à élargir son audience. À cet égard, les morceaux “Bernabeu” et “Patek chic” symbolisent cette nouvelle recherche d’efficacité, avec des refrains accrocheurs et des textes globalement plus intelligibles. Ainsi, Lesram semble s’être mis quelque peu au diapason des codes de la réussite commerciale sans pour autant travestir son propos et donc perdre sa fanbase originelle. 

Un pari gagnant ? 

Comme énoncé précédemment, Lesram est un excellent rappeur. Les morceaux sont tous plutôt agréables à l’oreille. De plus, ses performances s’avèrent parfois excellentes, à l’instar des titres “Du peu que j’ai eu“ et “Du mieux que j’ai pu” qui ouvrent et clôturent respectivement le projet. Néanmoins, la porte entrouverte par Du peu que j’ai eu , du mieux que j’ai pu se referme en laissant un goût d’inachevé aux oreilles attentives.  

Si les morceaux sont bons à la première écoute, la plus-value à la réécoute est relativement faible comparativement au disque précédent. En effet, les instrumentales, plus ouvertes et un peu trop génériques, manquent de profondeur et ne sont que vaguement entêtantes une ou deux fois avant de devenir un peu trop lisses. 

Par ailleurs, lorsque l’on écoute la gymnastique lyricale de Lesram, on est évidemment impressionné. Qu’en retient-on réellement ? Malheureusement pas grand chose sur ce projet. Par exemple, sur le morceau “100X”, il réalise cet enchaînement de phrases : “Je prends de la valeur comme les œuvres du Louvre. Il veut mettre la main sur les œufs que tu couvres. T’as beau être muet, devant un gun tu l’ouvres. Fallait pas te jeter dans la gueule d’une louve”. Il est frappant de constater la perfection technique de cette succession de phrases alimentées par des rimes riches et des alexandrins. Néanmoins, lorsque ce genre d’enchaînement, impressionnant à la première écoute, se voit répandu sur tout un projet, la réalité est qu’une forme de fatigue s’installe car le propos reste beaucoup trop en retrait.

En effet, la posture d’observateur de la rue, mentionnée ci-dessus, atteint certaines limites au fil des projets, car sa vision de la situation n’a que trop peu évolué depuis Wesh enfoiré. Pour cause, Lesram semble s’enfermer dans un discours qui se répète sans jamais réussir à rentrer dans la sphère personnelle. Dès lors, le disque reste trop en surface et peine à décoller. Or, c’est justement cette évolution vers un mélange équilibré entre ses observations et son histoire personnelle qui permettrait de cultiver l’attachement que peut avoir son public envers lui. 

Continuer à évoluer

Pour conclure, Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu est loin d’être un mauvais projet. Néanmoins, il peine à atteindre la qualité du disque précédent, qui se voulait plus intimiste mais donc plus cohérent. L’équilibre entre la forme et le fond y était presque parfait tandis que là la recherche de modification de la forme semble avoir complètement pris le pas sur un fond bien trop faible. Pour autant, grâce à ce nouveau projet, Lesram a probablement réussi la lourde tâche de satisfaire ses plus fidèles fanatiques tout en élargissant sa communauté.

Lorsque l’on prend en considération toutes ses collaborations des deux dernières années (ZKR, Bekar, Osirus Jack, Niaks, Zesau…), ce projet s’inscrit directement dans cette ligne directrice et est donc on ne peut plus logique. Doit-on toutefois s’en contenter ? L’exigence étant de mise pour réussir à produire de grands albums, donnons l’opportunité à Lesram de rester exigeant dans sa manière de rapper tout en faisant évoluer son oreille musicale et son propos pour continuer à s’améliorer. 

Hugo Branche

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