JMSN : « Je n’aurais jamais sorti 7 albums si j’étais sur un label »

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JMSN : « Je n’aurais jamais sorti 7 albums si j’étais sur un label »

Chemise à motif léopard entrouverte, une silhouette longiligne traverse les espaces encore vides de la Maroquinerie. L’air un peu pensif au milieu des demandes de shooting, il se prête volontiers au jeu, sourire en coin. Quelques semaines après la sortie de son dernier album, Velvet, JMSN est en tournée dans toute l’Europe. A quelques heures de son concert parisien, où il  livrera une interprétation parfaite de ses derniers tubes, le crooner américain a pris de son temps pour évoquer avec nous les sources de sa créativité sans cesse renouvelée et nous exposer sa vision de l’industrie musicale actuelle. Un artiste qui, plus que jamais, revendique une indépendance qui le laisse à part dans le paysage musical américain.

BACKPACKERZ : Merci d’être avec nous avant ton show de ce soir. Comment se passe cette folle tournée avec un pays différent par jour ?

JMSN : C’est compliqué, on doit sans cesse aller à l’aéroport récupérer des vols, donc on a pas vraiment le temps de dormir… On prend quand même la voiture parfois, sauf pour aller en Islande (rires).

On a entendu dire que tu avais enregistré les morceaux de ton album précèdent, Whatever Makes You Happy (2017), en une prise. Est-ce que tu as continué avec cette méthode sur ce nouveau projet, Velvet ?

Non, ça s’est passé différemment. C’était un peu plus complexe. Je préférais chercher des ajustements, que ce soit dans l’écriture ou les arrangements. Ça ressemblait plutôt à un voyage de l’esprit, quelque chose d’intérieur…si j’arrive à me faire comprendre.

Je veux pas d’un artiste qui fait le même morceau encore et encore, c’est plutôt chiant.

C’est ton deuxième album cette année. Tu as commencé à enregistrer Velvet juste après le précèdent ?

Oui. Quand je faisais la tournée de l’album précèdent, je suis rentré et je me suis mis à travailler sur de nouveaux trucs, entre les dates. Quand je suis rentré, j’ai pris mon temps, j’ai étalé le processus. Je pouvais travailler sur quelque chose, et si j’étais à court d’inspiration, je le laissais de coté pour revenir dessus plus tard. Ou je pouvais écrire un morceau et ensuite m’attaquer à la partie production. Ça peut me prendre plusieurs essais pour arriver à ce que je veux vraiment entendre.

Le son sur cet album est beaucoup plus électronique, avec notamment un travail différent sur les textures. D’où viennent ces sonorités ?

Je voulais en effet trouver le bon mélange, pas quelque chose qui sonne ringard… J’ai utilisé de vieilles boites à rythme, comme la LinnDrum, la (Roland) CR-78. J’ai aussi utilisé des synthétiseurs Juno ou Jupiter (de la marque Roland), tout ce vieux matériel qui donne ce son particulier. On réalise pas que ces sons puissent juste venir de vieilles machines. Ce sont pas justes des samples dans la banque de samples, ce sont des instruments à part entière. J’ai beaucoup joué avec ces machines et ça m’a donné le sensation de ce son disco, ce son des années 80… Mes albums partent toujours des chansons que j’écris, mais d’un point de vue production, ça part vraiment des machines.

Ton univers a beaucoup évolué depuis ton premier album officiel, Priscilla (2012), à l’époque plutôt sombre et mélancolique, jusqu’à ce nouvel album, Velvet, plutôt funky et chaleureux. Est-ce que ces transitions symbolisent ton parcours intérieur, ou tes humeurs du moment ?

Oui exactement. Les artistes avec lesquels j’ai grandi, ils ne faisaient jamais le même truc, celui qui marchait, ils ne collaient pas à une idée. Ils se remettaient en question. Ils exploraient sans cesse, et on les aimait pour ça. Je ne veux pas être un artiste qui fait le même morceau encore et encore, c’est plutôt chiant.

Il faut sans cesse retomber amoureux…

Oui… exactement. Faire la même chose encore et encore, c’est comme travailler au bureau. Je veux pas faire ça (rires). Comme une formule vous voyez… vous êtes au bureau, vous cherchez à créer un morceau: «Quelle est la formule ? Qu’est ce qui passe à la radio en ce moment ?». Je ne veux pas faire partie de ce monde. Je veux juste explorer, prendre du plaisir et m’imposer des défis. En résumé, devenir meilleur.

Quand je rentre de tournée, je me mets à faire un beat ou écrire une chanson par jour, juste pour reprendre le rythme.

Il y a un interlude sur ton album It Is (2016), où un producteur tente de te convaincre de faire «du putain d’argent» (« Big fucking money »), de faire des tubes pour les adolescents et tu l’envoies balader. Sur ce nouvel album, le morceau «Talk Is Cheap», un des premiers extraits, apparaît également comme une nouvelle affirmation de ton indépendance musicale…

Oui c’est vrai, mais c’est également un constat de la vie de tous les jours. «Talk Is Cheap» (Parler ça vaut rien), montrez moi l’argent que vous promettez, plutôt que parler dans le vide. Je continue à faire ce que je fais, ne pas abandonner même si parfois t’as juste envie de dormir (rires). Ça vaut le coup. Je fais juste de la musique… C’est fou, je réalise que j’ai fait pas mal d’albums maintenant ! C’est aussi ça la réussite de mon indépendance. Je n’aurais jamais sorti 7 albums si j’étais signé sur un label. C’est bien d’avoir la liberté de sortir ce qu’on veut, et grandir à partir de ça.

Tu as une direction claire avant de commencer un album ?

Quand je rentre de tournée, je me mets à faire un beat ou écrire une chanson par jour, juste pour reprendre le rythme, et des morceaux commencent à naître de ça. C’est à partir de ce moment où je me dis: «J’aime cette direction» ou «je n’aime pas», et ensuite tu trouves la bonne voie. Quand j’ai commencé à enregistrer pour Velvet, je faisais des morceaux doo-wop (sous genre du r’n’b noir des années 50) en me disant que c’était la direction pour l’album. Ensuite j’ai enregistré «So Badly» et je me suis dit: «Oh non, c’est ça finalement la direction de l’album».

En parlant de «So Badly», tu as développé cet univers très sexy avec ce morceau et le clip qui l’accompagne où tu fais pleurer de jeunes filles en admiration. Est-ce que tu as conscience de cette image de sex symbol ?

Je suis le cours des choses. Il y a toujours des choses qui lient les fans ensemble, à un niveau parfois inconscient, ou plutôt subconscient même. Je suis juste spectateur de ça (rires).

Dans tes textes, tu mets beaucoup en avant les sentiments et tu te questionnes au sujet de l’esprit, de la santé mentale. On peut facilement s’y projeter en tant qu’auditeur. L’écriture est-elle un processus de guérison pour toi ?

L’idée de parler de n’importe quoi est aussi une manière de se parler à soi même pour aller mieux. Quand tu crois à quelque chose, ça peut t’aider toi, et les gens par la même occasion. Tu essaies d’y voir clair dans ton fort intérieur, de gagner en assurance.

Tu as collaboré avec beaucoup de gros noms du rap US comme Kendrick Lamar, Ab-Soul, The Game ou J. Cole. Mais eux ne sont jamais apparus sur tes albums. Une raison particulière?

Ils sont tous sur des labels…(rires) Je n’ai pas l’argent nécessaire ! Seulement peu de gens peuvent se les offrir. J’ai pu avoir Freddie Gibbs, parce que je connaissais son manager, et qu’il est en indépendant. Tout ceux que j’ai pu avoir sont des artistes indépendants. Quand j’ai fait un son avec Kaytranada, c’était avant qu’il soit signé. Une fois qu’ils ont signé, c’est beaucoup de paperasse, je vais payer beaucoup d’argent juste pour avoir un morceau. Même simplement payer un avocat… Et parfois ils se sentent en compétition entre indépendants, du genre: «Pourquoi je te ferais gagner de l’argent?». C’est comme ça.

Purple Rain c’est vraiment spécial, tous les morceaux sont juste fantastiques.

Aurais-tu des artistes indépendants à conseiller à nos lecteurs ou avec qui tu aimerais collaborer à l’avenir ?

Je voudrais faire un truc avec… merde, c’est quoi son nom maintenant ?… Oh Mick Jenkins. Quand j’ai fait «Talk Is Cheap», je me disais qu’il irait bien sur le morceau, mais je ne suis finalement pas rentré en contact avec lui. Ensuite… ah, j’adore Anderson .Paak. J’ai une vraie relation avec lui, on a juste pas encore trouvé le temps de faire un truc. Il est plutôt occupé en ce moment (rires).

Est-ce difficile pour toi d’intégrer un artiste extérieur à ton univers?

Oui vu qu’il est assez spécifique. Ça doit juste sonner naturel si j’ajoute quelqu’un à mon univers. Pour «So Badly», je me rappelle que je voulais à l’origine poser la voix de Snoop Dogg dessus. Et j’étais très près de l’avoir. Il a discuté avec quelqu’un qui travaille pour moi et a donné son prix. J’étais là : «Putain»… «Est ce que ça vaut le coup de dépenser tout cet argent juste pour l’avoir ?». Je me disais quand même que je préférerais qu’il ait vraiment envie de le faire. Mais il est plus vieux maintenant, il en a rien à foutre (rires).

Existe-t-il une possibilité de voir un nouveau projet de Pearl voir le jour ? (Pearl est un alias de JMSN pour d’autres expérimentations en solo. Il a sorti un album sous ce nom en 2016)

J’adorerais en faire un autre… J’ai été tellement pris par ce nouvel album que j’ai eu le temps pour rien d’autre, pas même une collaboration. J’ai passé mon temps concentré à terminer Velvet car j’ai adoré faire cet album, je voulais le sortir au plus vite. Maintenant que j’ai le temps de faire d’autres choses, je veux faire plus de collaborations. Refaire du Pearl serait une très bonne idée..

En ce moment je travaille sur un E.P en collaboration avec Joey Fatts, cinq morceaux. On espère sortir ça vers Noël avant la fin de l’année. J’ai vraiment besoin de cette autre énergie artistique.

Impossible de se quitter sans faire référence à l’esprit de Prince qui semble planer tout au long de ce dernier album. Quel est ton album préféré du Kid ?

Mon préféré, c’est Purple Rain (1984), à coup sûr. Juste derrière, très proche, ce serait Sign o’the Times (1987). Mais Purple Rain c’est vraiment spécial, tous les morceaux sont juste fantastiques. J’ai des frissons rien qu’à en parler (rires). J’ai repris des snares qui viennent de la LinnDrum, je n’avais pas d’autres choix que d’utiliser cette machine, il me fallait ça! Plus personne ne les vend aujourd’hui car elles sont si rares, impossible de les acheter… J’ai dû en louer une à un gars pour une semaine. Travailler avec cette machine, c’est vraiment le niveau supérieur. Tu peux accorder les drums, on en ressent vraiment l’aspect physique, c’est incroyable.



Cette interview a été réalisée en collaboration avec Valentine Touzet.