Jean Morel (Grünt) « le meilleur média rap français, c’est la 75ème Session »

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Jean Morel (Grünt) « le meilleur média rap français, c’est la 75ème Session »

Avec leur projet Grünt, des freestyles vidéo qui ont fait grandir toute la génération 1995 et ses petits frères, Jean Morel et ses camarades y sont pour beaucoup dans l’explosion de la nouvelle vague de rappeurs francophones qui inonde aujourd’hui nos festivals.

S’il ont eu le flair de faire passer devant leur caméra des Lomepal, Nekfeu ou encore Alpha Wann avant qu’ils n’explosent, ils ont également su voir plus loin que l’hexagone pour mettre en avant de jeunes emcees de talent venant de Belgique, de Suisse mais aussi du Québec…

C’est dans un des nombreux cafés de la rue Clignancourt, en plein de coeur de son 18ème natal, que nous avons eu la chance d’échanger avec le fondateur de Grünt Jean Morel, un « boulimique » de son, devenu depuis quelques mois, la nouvelle voix du rap sur Radio Nova avec sa propre émission hebdomadaire baptisée Grünt…tout simplement !

Ton parcours avant Grünt ?

J’ai toujours voulu bosser dans la musique. Depuis tout gamin, je ne pensais qu’à ça et j’ai très tôt eu une approche assez « boulimique » du son. Je voulais tout écouter, tout connaitre.

La radio, j’avais découvert quand j’étais à Science Po où j’avais reçu Sneazy et Alpha [Wann] pour une émission sur la radio de l’école (RSP). Je m’étais mis à suivre la clique 1995 après les avoir vu en open mic au bar Les Disquaires à Bastille. C’était déjà méga chaud à l’époque!

Pour un gamin qui a grandi dans le 18 [18ème arrondissement de Paris, NDLR], j’ai bizarrement découvert le rap assez tard en fait. J’ai fait des études de lettres donc ce qui me fascinait c’était le maniement de la rime qu’avaient les mecs en open mic. Quand j’ai découvert ce monde là, j’ai réalisé que j’avais un gros retard par rapport à des gens qui en bouffaient depuis des années donc, de manière assez boulimique, je passais mes nuits à écumer Wikipédia, YouTube et les sites de téléchargement pour bouffer des discographies entières des grands classiques du rap.

Après, il y a 5 majeur #1, c’est le truc qui me fait tomber dedans. Je trouvais qu’il se passait vraiment un truc dingue dans ce projet au niveau des textes, du flow surtout. En fait, j’ai eu la chance de me retrouver à suivre ces gars au bon moment. A cette période (aux alentours de 2010) on voit un certain retour de la culture open mic, où des jeunes font du rap avec l’esprit du freestyle. C’est ça qui m’a plu d’entrée de jeu dans le rap et que j’ai du coup essayé de chercher dans mon exploration du rap US. Je suis donc logiquement parti à fond sur la scène new-yorkaise, Biggie en tête.

5 majeur #1, c’est le truc qui me fait tomber dedans.

A peu près au même moment, je prends aussi une énorme gifle avec le Section 80 de Kendrick. Pour l’anecdote, j’ai d’ailleurs fait une interview de Kendrick à la sortie de son concert à Paris en 2011. Gros forcing devant l’hôtel et pas mal d’erreurs de ma part dans cette interview mais la vidéo est là (sur la chaine de Grünt) et ça fait plaisir !

La genèse du projet Grünt

La genèse vient d’une envie de faire un truc face à l’ennui… Avec les copains Quentin, Simon, on avait du matériel squatté à droite à gauche, des trucs piqués à Nova pendant mon stage ou Simon qui faisait sortir des caméras de l’Ina via son master pour nos tournage…. de rap. En fait j’avais l’envie initiale, mais je n’aurai jamais pu rien faire sans les capacité technique d’un réal son (Quentin) et de nos réal images (Simon, Théo et Benjamin) ou d’un DJ pour mixer les prods (Costo) donc c’est presque parti d’un accident avec mes potes qui m’ont rendu service.

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© Antoine Bosque

La première Grünt ?

Sur la première Grünt, on retrouve Kéroué [Fixpen Sill], James Lega [devenu Ideal Jim, NDLR] mais aussi Lomepal et Nekfeu qui a l’époque n’étaient « personne ». Enfin surtout Lomepal qui, à ce moment, n’avait sorti que l’EP 20 mesures ; c’était donc avant Le Singe Fume sa Cigarette.

Nekfeu c’est un peu différent, il commençait à avoir un petit buzz à l’époque parce qu’il doit se barrer au milieu de la Grünt #1 pour se rendre à une remise de prix ou un truc du genre.

Le tournant du projet ?

Un des tournants, ce serait en tout cas l’épisode autour de la sortie de l’album d’Aréno [Aréno Jaz devenu Darryl Zeuja, membre de 1995 et fondateur du label Jihelcee records, NDLR].

Pour celle-ci, on décide avec Quentin (ingé son et mon bras droit sur le projet) d’essayer de tourner le truc à Nova, chose que je n’ai pas le droit de faire en théorie étant en stage. Comme d’hab, les mecs débarquent à 25 à la radio, on fait au plus vite pour boucler le truc mais ça commençait à rouler dans tous les sens et à foutre un beau bordel… 2 semaines plus tard, je suis convoqué au bureau de la direction de Nova et alors que je m’apprête à me faire détruire, on me dit : « On a vu ta petite vidéo freestyle. C’est tourné chez nous ça hein ? C’est bien, tu commences à comprendre l’esprit Nova ! » [rires].

Avec le petit buzz d’Aréno, la présence du S-Crew et de Doums, la vidéo cartonne (elle doit être à un million aujourd’hui) donc ça commence à sentir bon. Dis toi qu’il y’avait une telle dynamique à ce moment qu’entre le moment où on enregistrait les émissions et le moment où on les sortait, les mecs avaient déjà pris de l’ampleur de dingue !

Ton rapport avec les artistes ?

J’ai toujours eu ce rapport un peu candide voire bon enfant avec les mecs que j’invitais sur Grünt. Du coup, il y avait une forme de bienveillance de leur part aussi à mon égard et la plupart ont joué un grand rôle dans le succès des vidéos en les relayant sur leurs réseaux.

L’avantage était aussi qu’en les ayant approchés super tôt dans leur carrière, j’ai pu entretenir une forme de rapport direct avec eux. Un rapport qui est resté, même après l’arrivée des managers et des attachés presse.

Sans dire que tous les rappeurs passés sur Grünt sont maintenant des amis, certains sont devenus de vrais potes comme George (Georgio) ou Antoine (Lomepal) qui est présent sur les deux premières Grünt, avec qui on a fait des clips et avec qui je suis même parti en vacances. C’est aussi lui qui est sur le générique de l’émission tu sais ! (« du rap, rien d’autre… »).

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© Grünt

Comment Grünt est devenu une marque ?

L’histoire avec les sweats Grünt, c’est assez marrant en fait parce qu’à la base, on fait ça mega à l’arrache. On avait fait des annonces sur Facebook et on donnait rendez-vous aux gens à l’Indiana Café à République pour leur filer les sweats qu’on avait trimbalé de l’imprimeur à Bastille jusqu’à Répu en caddie Carrefour [il éclate de rire].

Les sweats, c’est le truc qui permet à Grünt de monter en qualité en fait parce que c’est grâce aux ventes qu’on arrive à s’acheter un premier 5D [caméra Canon 5D, ndlr]  entre la Grünt #8 et #9 et donc que les copains ont pu s’approcher de leurs ambitions en termes de réal. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi, mais les gens ont tout de suite grave accroché à cette histoire de sape.

On a jamais abordé le truc d’un point de vue mercantile parce qu’on vend les sweats à 25 balles, pas à 70 comme d’autres ! Quand certains me disaient que j’aurais pu faire de la thune avec ce plan, je préfère rêver que le truc sera culte dans 10 ans !

Grünt, l’émission ?

Aujourd’hui, grâce à Nova, j’ai la chance de faire de la radio exactement comme je le veux. Et ce que je voulais déjà c’était bosser avec un bon réal. C’est exactement ce que j’ai eu la chance de trouver avec Guillaume Girault, le réalisateur de l’émission qui est un véritable alchimiste, un mec hyper doué qui a réussi à capter exactement ce que je voulais.

Mon premier rapport à la radio, c’était le direct, puisque je couvrais pour Nova pas mal de festivals, soirées, concerts etc… mais je voulais vraiment relever le défi de faire de la radio « écrite ». J’ai senti aussi le déclic de devoir arrêter de faire les choses pour moi et de commencer à les faire vraiment pour l’auditeur.

J’avais le sentiment d’avoir suffisamment fait mes classes pour avoir une légitimité.

Le concept que j’avais en tête, c’était de l’émission assez spécialisée sur un format d’entretien enregistré sur 1h et retranscrit en 25min. J’ai vraiment pour ambition de varier entre des émissions très thématiques, comme j’ai pu faire sur le rap du 18ème, le lean etc… et des entretiens avec des artistes que je kiffe, comme ça a été le cas ces derniers mois avec Lomepal, Roméo Elvis, Loud et plein d’autres invités.

D’ailleurs, on pourrait sûrement me rapprocher d’être un peu en vase clos sur le choix de mes invités, de me cantonner à un certaine scène mais bon…

Grünt ambassadeur du rap francophone ?

Haha ça me fait grave plaisir que tu dises ça ! Alors ouais à la base, je suis fier de dire qu’on est parmi les premiers à pousser des Caba, JeanJass, Isha en Belgique ; mes suisses de Superwak et puis surtout le rap queb !

Pour la Grünt à Montréal, on a claqué tout ce qu’on avait sur le compte de Grünt pour partir là-bas mais c’était hyper important pour moi d’aller enregistrer Loud et les Dead Obies.

Mon gars Loud, je suis trop content qu’il pète enfin !

Maintenant le prochain défi c’est l’Afrique ! Personne ne parle du rap africain alors qu’il y a des mecs très très chauds comme Jovi par exemple.

J’ai aussi envie de faire des trucs autour du rap marocain même si c’est pas forcément francophone…

Les nouveaux média rap ?

Déjà je tiens à dire que je suis toujours agréablement surpris quand je vous lis [high 5].

Après, pour moi le meilleur média rap français depuis 10 ans c’est la 75ème session ! C’est eux qui ont toujours eu le don de faire passer dans leurs studios les mecs qui allaient tout péter après.

Makala, Sopico, Nekfeu, Lomepal, tous les mecs qui sont passés sur Grünt ont enregistré au Dojo. Grünt, c’est peut-être le reflet médiatique de la 75ème session. Toute une génération de rappeurs français est liée à ce truc. Il y a un vrai documentaire à faire sur le sujet !

Le meilleur média rap français depuis 10 ans c’est la 75ème session !

Etre journaliste rap en 2018 : quelles responsabilités ?

Le journalisme que j’aime, c’est celui qui donne des perspectives, celui qui va au bout des choses aussi. Les gens pensent que je ne suis « que rap » mais en fait ce n’est qu’une petite partie de ma culture musicale.

Les médias d’aujourd’hui, ça manque d’érudition musicale d’autres genres. Quand Kekra arrive, il faut attendre 6 mois avant qu’on entende parler de 2-step. Dès que ça part un tout petit peu sur de la musique électronique, tout le monde est à poil ! C’est pour ça que j’ai tenu à faire une grosse interview avec TTC ; pour que les fans de rap aient envie de s’ouvrir à d’autres trucs.

Dès que ça part un tout petit peu sur de la musique électronique, tout le monde est à poil !

J’aime parler de rap car il est le laboratoire d’une évolution de la langue qui est le reflet de la société. Pour moi, le rap est en train de soigner toute une génération au niveau des questions identitaires. Aujourd’hui, même un mec de la Creuse a envie de dire miskin ou bssahtek parce qu’il écoute du rap.

Quand je vois aussi le rap québécois qui fait un double fuck aux questions identitaires avec des mecs qui rap dans un franglais complètement décomplexé, je me dis que c’est fort !

Après, en terme de responsabilité, celle que je porte, c’est celle dans laquelle s’inscrit Radio Nova depuis des années en tant que catalyseur de culture. Nova n’ayant pas eu d’émission consacrée au rap français depuis Dee Nasty, assurer la relève avec l’émission Grünt après un trou de 30 ans, c’est une certaine responsabilité pour moi ouais.

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© Antoine Bosque

Qu’est-ce qui a changé par rapport aux débuts de Grünt ?

Ce qui est nouveau depuis quelques temps c’est que quand on contacte des gars pour l’émission, on sent que pour eux c’est un truc important. Aujourd’hui, une vidéo Grünt ça fait 150 000 vues  en moyenne donc ça représente une certaine exposition pour ces artistes.

Ce qui est intéressant aussi, c’est de voir que ces mecs ont parfois fait leurs armes en matant des freestyles Grünt. Un mec comme Zamdane (autour duquel on a fait la Grünt à Marseille), son inspi c’est Georgio et il a découvert Grünt comme ça !

Là où je suis hyper optimiste sur cette génération c’est que c’est une génération de « rappeurs érudits ». Ils ont pris le temps de se documenter, de s’appuyer sur ce qu’il s’est passé avant eux. J’aime bien les rappeurs qui « ont fait leur solfège ».

Les prochain projets Grünt ?

Déjà, il y a la Grünt Tunes (désormais disponible en streaming) qui est un peu la sélection des mecs qui, selon moi, vont péter bientôt. On y retrouve des mecs comme PLK, Makala, Tengo John, Nelick ou encore un canadien qui s’appelle Rowjay, hyper fort !

Après, il va y avoir de nouvelles choses mais je ne peux pas trop en parler pour le moment, il faut suivre Grünt sur les réseaux pour être prévenus…

Retrouvez toutes les vidéos Grünt sur Youtube et l’émission Grünt en podcast sur Apple Podcasts, Spotify ou encore Deezer.

Ecoutez la Nova Grünt Tunes