Isha ou le miracle belge

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Isha ou le miracle belge

Isha est un pivot du rap en Belgique. Malgré son air de jeune rookie, celui qu’on surnomme Le Belge fait figure de vétéran. Début 2018, il livre à trente et un ans La Vie Augmente Vol. 2, deuxième volet d’une trilogie vouée à aboutir sur un premier album. À la veille d’un concert complet à La Boule Noire, nous avons retracé avec l’artiste une trajectoire qui tient quasiment du miracle.

Né à Bruxelles et fils d’immigrants congolais, Isha est marqué très tôt par un divorce qui ébranle sa famille, puis par la mort de son père en 2005. Entre vie d’excès et inertie du quartier, il chante la rue dans ce qu’elle a de plus sale et de plus lyrique. Vas-y chante, son premier album signé sous le sobriquet de Psmaker, a dix ans. Depuis, Le Belge a troqué son ancien nom de scène pour son prénom et a trouvé son leit motiv. La vie augmente, réplique du film La Vie est belle de son oncle Ngangura Dieudonné Mweze, traduit une croissance perpétuelle et vitale.

Magie noire


La Vie Augmente, Vol. 1 assoit les bases du style Isha. Un mélange de hits crus et de textes sensibles, inspirés par son vécu. « Mon côté introspectif et pas trop pudique, c’est ce qui m’a toujours différencié », analyse-t-il avec le recul. Malgré la grande obscurité qui le caractérise, ses rimes n’éclipsent pas la lumière. Sur la pochette du volume un, ses dents forment un large sourire et révèlent un optimisme à toute épreuve. Avec le volume deux, Isha va davantage en profondeur, comme le suggère la radio en couverture. La Vie Augmente, Vol. 2 compte effectivement des morceaux plus personnels, moins crasses, teintés de sonorités nettement plus modernes.

Sur le banc des accusés, Eazy Dew et BBL, deux producteurs avec qui Le Belge espère continuer à évoluer encore longtemps. Soutenus par les francs-tireurs BLV, Chris Carson et Cehashi, ils sont les architectes sonores du volume deux. Dans le monde d’Isha, un producteur est un sorcier qui entérine la couleur d’une chanson et scelle son destin. « Quand je chante ‘Un mélange de joie et de tristesse’, c’est presque Bébé Louis [BBL, ndr] qui a écrit mon texte. » Isha crée à partir du sentiment que lui procure l’instru, sans forcer les choses. « La musique, ça ne doit pas être compliqué », soutient-il. C’est avec la même simplicité qu’il a contacté Eazy Dew sur les réseaux.

Envoûté par les sortilèges de ces magiciens, Isha n’a plus eu qu’à déverser la noirceur de son âme sur le parchemin. Sublimer le mal-être et la tristesse, c’est un art dans lequel il excelle. Lui qui considère la musique comme une forme de partage et croit fermement en son pouvoir thérapeutique ne s’imagine pas occulter les moments les plus difficiles de sa vie. « Savoir que tu n’es pas tout seul, qu’il y a des gens qui ressentent la même chose, ça t’aide à avancer. » Quand il écrit sur des thèmes universels, aptes à émouvoir n’importe qui, c’est là qu’il se sent utile. « La tristesse, ça parle à tout le monde. Il n’y a pas d’âge, pas de couleur, pas de classe pour être triste. »

Le retour du héros

Lorsqu’il est retourné en studio après une longue absence, Isha a rapidement profité du feu des projecteurs, désormais braqués sur la Belgique. « J’ai habité à Paris il a des années et on m’a déconseillé de parler de mes origines belges. Dix ans après, quand on met ‘Belgique’ dans un email, on est sûrs qu’il va être lu. » Le vent a tourné. Roméo Elvis, Caballero et JeanJass sont les prophètes qui ont annoncé le retour du messie Isha jusqu’en terre parisienne. À force de le citer régulièrement comme une influence, la presse et le public ont commencé à s’intéresser à lui de plus près. « Là, je suis touché, je sais pas comment leur rendre », avoue-t-il.

Le succès d’estime qu’Isha goûte depuis un an l’a transformé. Sa vie et les contacts avec ses proches sont plus équilibrés. Le sentiment de perte de contrôle dû à l’alcool n’est plus qu’un lointain souvenir, un vieux cauchemar qui le réveille encore parfois la nuit. Fini de déconner, Le Belge s’assume pleinement et ça se ressent dans son entourage. « Quand les gens me croisent à Bruxelles, il y a quelque chose de très sincère dans leur sourire. C’est ce Isha là qu’ils veulent voir. » Être une racine solide pour son fils, c’est également le moteur qui donne de la force à ce père de famille : « J’ai envie d’être un modèle pour mon fils à chaque étape de sa vie. »

Vers l’infini et au-delà

Entre la bande originale du film Tueurs, une vidéo sur la chaîne berlinoise Colors et un freestyle exclusif pour Rentre dans le cercle, les projets se multiplient à une vitesse folle. « En un an j’ai rencontré plus de gens qu’en dix ans », confie Isha. Maintenant qu’il est exposé, l’artiste prend conscience de son impact et cherche à devenir plus responsable. « Parfois, on blesse les gens sans s’en rendre compte », dit-il à propos de paroles jugées sexistes. « Notre grand frère, c’est le rap américain, et on a voulu l’imiter. » Pour lui, transmettre est néanmoins un devoir. Il croit dur comme fer que le rap peut éduquer les jeunes et va jusqu’à soutenir que le genre a sa place dans les manuels scolaires.

Fidèle à son plan, lsha prévoit de sortir un volume trois avant de livrer son premier album. Désormais en contrat avec Parlophone, il aspire dans le futur à naviguer entre différents univers, voire à côtoyer la chanson française. « Le rap, c’est un discours », juge-t-il. « Pourquoi pas avoir le même discours sur une musique plus pop ? » L’ouverture est essentielle pour Le Belge, qui se voit bien faire un crossover du type Booba et Christine And The Queens. « En vrai, la street, elle kiffe Vianney », affirme-t-il sans complexe. À ce sujet, les États-Unis l’inspirent à réunir des talents en tous genres sans se soucier de leur origine : « DJ Khaled ou Master P, c’est quelque chose qu’ils ont compris depuis longtemps ! »

À l’heure où le rap se démocratise et où les frontières entre ses prétendus sous-genres commencent enfin à disparaître, les propos d’Isha tombent à pic. La perspective de voir un vieux de la vielle prendre le micro pour casser les codes est des plus réjouissantes. Or, Le Belge compte bien continuer à véhiculer son message et distiller ses images cinématographiques dans l’inconscient collectif. « Le meilleur rap, c’est quand tu peux écrire un livre à chaque punchline. » Une chose est sûre : le rap, ce sang-mêlé de la musique, augmente. Isha prend le même chemin, et à mesure de cette augmentation, sa voix est destinée à trouver de plus en plus d’écho.

Isha sera en concert avec Grems au Hangar (Ivry Sur Seine) le 7 juin dans le cadre du festival Paris Hip-Hop (plus d’infos dans l’event Facebook) et le 2 octobre à La Maroquinerie à Paris (event Facebook). 
Photos : G. Kayacan