Mick Jenkins, l’autre visage de Chicago

Mick Jenkins, l’autre visage de Chicago

A l’occasion de sa première venue en France pour un concert d’anthologie à la Maroquinerie le 30 octobre dernier, nous avons eu la chance de passer une vingtaine de minutes avec le très talentueux Mick Jenkins.

Le rappeur originaire de Chicago, que nous avions découvert en 2014 avec la très bonne mixtape The Water[s] n’a depuis, jamais cessé de nous impressionner. Avec son très bon EP The Waves[s] que nous avions chroniqué il y a quelques mois ou plus récemment en featuring sur le meilleur morceau de l’album Late Knight Special de Kirk Knight, Mick Jenkins semble en perpétuelle progression.  A seulement 24 ans, le emcee Chicagoan fait preuve d’une étonnante maturité, tant dans les thèmes subtilement trouvés de ses morceaux que dans la capacité à faire varier sa voix grave sur différents styles de beat.

C’est pour toutes ces raisons que nous tenions particulièrement à nous entretenir avec Mick Jenkins lors de sa venue à Paris le mois dernier. Une rencontre qui a été rendue possible grâce à nos partenaires Free Your Funk et dans laquelle le jeune Jenkins évoque pêle-mêle la genèse de sa mixtape The Water[s], sa relation avec le producteur Kaytranada mais nous dévoile aussi quelques infos sur son prochain album.

The BackPackerz : Dans un peu moins de 2h tu donneras ton premier concert à Paris, comment te sens-tu et quelles sont tes attentes ?

Mick Jenkins :  Je suis un peu crevé parce que je sors tout juste de 4 semaines de tournée aux US et maintenant je dois enchainer avec la tournée européenne. Je suis fatigué mais je reste concentré et super content d’être ici. Mon seul regret est de ne pas avoir un peu plus de temps pour visiter Paris avant de repartir pour (ndlr : son manager nous apprend par la suite qu’ils partent pour Copenhague juste après le concert à la Maroquinerie). Sinon, je n’ai pas d’attentes particulières, mais beaucoup d’artistes m’ont dit que le public parisien était toujours super chaud. J’espère que ce sera le cas ce soir, même si tout le monde ne comprendra pas forcément, tout ce que je vais raconter (rires).

The BackPackerz : Peux-tu nous parler de la genèse de ta mixtape The Water[s]

Mick Jenkins :  A vrai dire, il n’y avait pas de vraies intentions lorsque j’ai commencé à écrire. Je crois que j’ai réalisé le sens de ce que voulais raconter à la moitié de l’écriture, j’avais cette idée qu’il y a cette vérité, cette eau, dont tu as besoin que tu ne parviens pas à obtenir et c’est devenu le concept de l’album quand on a commencé à vraiment creuser l’idée. Dès qu’on a eu 4 ou 5 morceaux, j’ai pu me rendre compte de toutes les manières qui existaient de filer cette métaphore de l’eau dans ma musique. En plus, ça permettait de donner une sorte de consistance sonore à l’album puisque chaque morceau sonne comme si on les avait enregistré sous l’eau. J’aimais aussi bien l’idée que The Water[s]  s’inscrive dans la continuité de ce que j’avais fait pour ma précédente mixtape Trees & Truths qui était déjà articulée autour d’un élément naturel.

Mick Jenkins – « Negro League » (Extrait de sa première mixtape Trees & Truths)

TBPZ : Alors qu’on voit une réelle continuité entre tes 2 premiers albums, on sent une réelle rupture dans le message et le son de ton dernier EP The Waves[s]

MJ : Oui, quand j’ai eu fini The Water[s], je n’avais pas envie de refaire directement un album qui soit marqué par un concept fort. The Waves[s] marque une pause. J’ai eu envie de juste retourner en studio et enregistrer ce qui me passait par la tête, sans être limité par le cadre d’un concept que je m’étais fixé comme pour les deux précédents disques. C’est une autre manière de créer pour moi ; je voulais voir ce que je pouvais faire avec ces nouveaux sons, plus entrainants et qui laissent plus de place à de vrais instruments et au chant.  Toutes ces choses que j’ai cultivé et que j’avais envie de faire depuis un moment, c’est ça que représente cet EP.

TBPZ : Ta capacité à dénicher les meilleurs beats est impressionnante. Comment t’y prend-tu généralement ?

MJ : Mec, pour ça j’ai juste la chance d’être entouré de pleins de beatmakers super talentueux ! ThemPeople sont des bons potes à moi depuis longtemps, j’ai eu la chance de super bien m’entendre avec Kaytranada dès notre première rencontre et globalement j’adore tout les beats qu’il m’envoie (rires)… Et puis il y a aussi tous les autres beatmakers auxquels j’ai eu la chance d’être exposé quand je cherchais des sons sur le net. J’ai toujours fait bien attention d’utiliser des instrus qui allaient bien ensemble. Pour The Water[s] par exemple, je voulais absolument que tous les beats soient dans la même veine pour qu’il y ait une vraie continuité entre les différents morceaux. Créer cette homogéneité dans le son, c’est d’ailleurs ce qui est le plus compliqué à mon sens quand tu travailles avec plusieurs producteurs pour un album. C’est là que l’oreille intervient pour savoir écarter un beat qui sonne pourtant super bien mais qui diverge du son que tu veux donner à ton projet.

Ça, c’était mon processus de sélection pour les 2 premiers albums mais maintenant que j’ai la chance d’être entouré par de très bons beatmakers au quotidien, c’est beaucoup plus facile pour moi car je n’ai plus besoin de passer des journées entières à chercher des beats pour mes futurs projets. Maintenant, je peux être beaucoup plus impliqué dans la création des instrus que je vais utiliser en allant directement produire avec eux.

TBPZ : Tu parles donc de ThemPeople et Kaytranada, ce sont eux qui produisent ton prochain album ?

MJ : Ouais, il y aura des sons d’eux sur mon prochain album qui s’appellera THC. Cela fait déjà quelques mois qu’on s’échange des sons et il y a déjà pas mal de choses de finalisées. Dès que la tournée est finie, je pourrai enfin retourner en studio et avoir le temps que je veux pour finaliser cet album.

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TBPZ : Je voulais te parler de ton label Cinematic Music Group qui semble aujourd’hui être un des écuries Hip Hop indé les plus en vue avec les récentes sorties de Pro Era (B4.DA.$$ et Late Knight Special notamment) ou encore Big K.R.I.T. Qu’est-ce qui t’a attiré dans ce label ?

MJ : C’est clairement leur approche qui m’a plu. Au lieu de la démarche typique en mode « signe ça et tu auras tout l’or du monde », Cinematic m’a contacté pour proposer de nous accompagner, nous aider à élever notre musique à un autre niveau. J’ai été contacté par quelques autres labels mais les mecs de Cinematic étaient les seuls chez lesquels j’ai senti un vrai intérêt pour ma musique, on a beaucoup discuté avant de parler contrat, ils ont d’abord cherché à savoir qui j’étais, quelles étaient mes envies etc… C’était vraiment rassurant.

TBPZ : Dans une interview pour Redbull Music Academy tu affirmais  « Quand j’écris un texte à propos des femmes, j’aime bien qu’il y ait une femme sur le morceau afin qu’elle puisse s’exprimer sur le sujet ». C’est une démarche assez singulière dans le rap, tu peux nous en dire plus ?

MJ : Ouais je crois que je suis un peu le seul à être dans cette optique. J’étais assez étonné quand ils m’ont posé la question « pourquoi tu collabores aussi souvent avec des femmes dans tes chansons » car je n’ai pas l’impression que ce soit quelque chose de si particulier. J’écoute beaucoup de musique chantée ou rappée par des femmes, je côtoie des femmes au quotidien donc c’est assez naturel  pour moi de laisser des femmes s’exprimer sur mes morceaux. Ce n’est pas juste « oh, j’ai envie de faire un son avec NoName Gypsy » c’est juste que quand j’écris sur un sujet, je trouve intéressant que l’auditeur ait mon point de vue sur la chose mais aussi celle d’une femme. Dans le rap, on a finalement assez rarement l’occasion d’avoir le point de vue des femmes sur ce qu’on écrit donc c’est quelque chose qui me tient à coeur. Et puis, avoir l’opinion de chacun, c’est une manière assez cool de créer une chanson je trouve.

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TBPZ : Tu as enregistré un super titre avec Little Simz en Mars dernier (« Bad Dreams« , ci-dessous). C’est une artiste avec laquelle tu penses collaborer de nouveau ?

MJ : Ouais carrément ! C’est marrant que tu en parles car on a d’ailleurs enregistré quelque chose ensemble lundi dernier. Simz est une artiste dont je me sens super proche, tant sur le plan musical que philosophique. C’est quelqu’un avec qui je me suis très facilement entendu. Je crois que comme beaucoup d’artistes de notre génération, on est un peu dans le même esprit, on a les mêmes références et on est animés par les mêmes motivations pour faire de la musique de la meilleure qualité possible.

TBPZ : Beaucoup de média US parlent de toi comme un « rappeur conscient », est-ce que tu considères comme tel ?

MJ : Oui, étant donné la définition d’un rappeur conscient, je crois qu’on peut me placer dans cette catégorie. Mais la connotation que le terme « rap conscient » a au sein de la communauté Hip Hop ne correspond pas vraiment à ma musique et à qui je suis. Mais je pense que c’est aussi une histoire de territoire. En évoquant les thèmes dont je parle dans mes morceaux et en étant  de Chicago, les gens me considéreront comme un rappeur conscient tout ma vie…

TBPZ : Je sais que tu n’aimes pas trop en parler mais tu viens d’évoquer la notion de « territoire » et j’ai l’impression que ta ville natale joue un rôle très important dans ta musique. Comment est-ce que tu te situes par rapport à toutes cette scène drill de Chicago ?

MJ : Je ne me considère pas particulièrement en opposition avec eux, je fais ma musique comme je l’entend mais je ne rejète pas cette autre forme de rap, j’en écoute d’ailleurs assez souvent. Tu sais ce que ces mecs racontent est le plus souvent vrai. Quand on a grandi, comme moi, à Chicago, on connait tous des gens qui agissent tel que le montrent les rappeurs drill dans leurs clips. C’est triste mais c’est comme ça et je crois que le vrai problème ce n’est pas la musique mais le fait que les gens laissent la musique influer sur leur vie et leurs décisions. C’est sûr que les effets de ce type de rap sur certaines personnes sont assez indéniablement néfastes mais ce n’est pas la faute des artistes mais des gens qui pensent que cette musique légitime la violence dont elle parle.

Pour moi, ce n’est pas parce que Chief Keef parle de Chicago que les gens savent que la ville est minée par la violence. C’est la manière dont les media ont montré Chief Keef et les autres rappeurs drill dès le départ qui a convaincu les gens qui y avait un lien de causalité entre le rap et la violence à Chicago mais ce n’est qu’une affaire de perception car la relation est en réalité inversée. Quand un sujet est couvert d’une seule manière par tous les média sur le plan national, c’est assez facile d’imposer une vision aussi réductrice de la réalité.

Mick Jenkins – « Perception »

TBPZ : On finit par une question récurrente dans nos interviews : tu écoutes quoi en ce moment ?

MJ : Beats ! Je suis en train de bosser sur mon album donc je n’écoute presque que ça en ce moment. Des instrus et puis certains de mes précédents morceaux pour voir ce que je peux améliorer. Principalement des beats de ThemPeople et Kaytranada comme je le disais tout à l’heure. J’étais en tournée avec Stwo (ndlr : beatmaker français signé sur HW&W, le label de Kaytranada) donc j’ai aussi pas mal de beats de lui en stock en ce moment. J’ai aussi quelques prods de Myth Syzer que j’ai aussi rencontré par l’intermédiaire de Kaytranada. Tant que je ne pourrais pas être de nouveau en studio à enregistré sur ces instrus, je vais continuer à écouter tout ça pour les connaitre sur le bout des doigts.

TBPZ : Un dernier mot ?

MJ : Drink.More.Water !

On vous laisse avec un photo report du terrible concert que Mick Jenkins donnera 2h après cette interview sur la scène de la Maroquinerie à Paris.

 

Photos report : Antoine Monégier

Cover photo : Babacar Paviot Diasse