Gaël Faye, l’enfant du Hip-Hop

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Gaël Faye, l’enfant du Hip-Hop

Trois ans déjà que le nom de Gaël Faye est sorti du cadre trop étroit de son registre civique pour se répandre sur les scènes de France et du monde. Ex-moitié du groupe Milk Coffee & Sugar, cet amoureux de rimes et de voyages a grandi à mi-chemin entre l’hexagone et le Burundi, son pays natal. Un parcours hors normes, pour un artiste qui l’est tout autant. Difficile à cataloguer, Gaël Faye est de ceux pour qui le rap est avant tout affaire de musique et de mots. Au gré de ses paroles, les paysages de son enfance se mêlent gracieusement à l’absurde réalité du quotidien occidental, et sa plume virtuose éveille avec force notre regard sur le paradoxe de nos vies.

Fruit du métissage ethnique et culturel qui le définit, Gaël Faye entretient le goût du partage et ose penser tout haut. La musique comme antidote, comme rencontre et comme accomplissement de soi, voilà qui définit bien le personnage. Exposé au mouvement Hip-Hop dès son arrivée en banlieue parisienne, son projet artistique a pris le temps de mûrir, pour finalement s’imposer à lui comme une évidence. Aujourd’hui, Gaël Faye réaffirme son penchant pour le live avec Rythmes & Botanique, un nouvel album conçu et joué avec ses acolytes Blanka (La Fine Equipe) et Guillaume Poncelet, qu’il défendra le samedi 2 avril au New Morning à Paris (gagnez vos places sur The BackPackerz). En amont de ce nouveau projet, l’artiste est revenu sur son parcours, ses influences et sa vision du Hip-Hop.

 

 

Qui es-tu, Gaël, et comment as-tu découvert le Hip-Hop ? 

Gaël Faye, auteur-compositeur-intreprète, je suis Franco-Rwandais originaire du Burundi. C’est un métissage qui est très présent dans ma musique. J’ai découvert la culture Hip-Hop en arrivant en France à l’âge de 15 ans. À côté de chez moi, dans les Yvelines, une MJC proposait un atelier rap et j’avais déjà écris quelques textes. Il y avait des rappeurs, des graffeurs, des danseurs et des DJs, qui m’ont permis d’appréhender la culture Hip-Hop au sens large.

Ton premier album reflète une grande dualité entre Afrique et France. 

À l’époque où j’ai écrit « A-France », le premier morceau de Pili pili sur un croissant au beurre, j’ai vécu une forte crise identitaire. Mon arrivée en France était un rapatriement pour fuir un pays en guerre, et ç’a été un déchirement. Aujourd’hui, ce questionnement n’est plus d’actualité. Le rap a été une manière de me socialiser, d’entrer en contact avec les autres. La musique est avant tout un prétexte pour la rencontre, que ce soit avec le public ou avec d’autres artistes. D’autant plus que le Hip-Hop n’a pas de pré-requis. Il suffit à chacun d’amener son énergie et sa spontanéité. Une des grandes forces de ce mouvement est d’être un caméléon capable de toujours s’adapter aux lieux et aux époques.

Le rap existait-il au Burundi quand tu as quitté le pays ?

À l’époque, il n’y avait pas encore de B-Boys à Bujumbura, la ville était plutôt influencée par la world culture. Les clips arrivaient tout juste avec Public Enemy aux États-Unis et MC Solaar en France. Maintenant, il existe des rappeurs, des collectifs de danse…

Comment la guerre civile rwandaise a-t-elle influencé ta musique ?

Entre le moment où j’ai quitté mon pays et la fin de la guerre civile, je continuais de rentre au pays pendant les vacances, car j’ai de la famille là-bas. Au fur et à mesure, j’ai vu le pays se dégrader. Forcément, ça a eu des conséquence sur mon écriture. Pili pili a été un remède. C’est un album thérapeutique, qui vise à soulager les âmes et à réintroduire de la douceur là où il y a tant de violence. La musique doit avant tout être le lieu de l’émotion. Bien évidemment, je suis conscient du monde qui m’entoure, mais je ne suis pas un artiste engagé. J’écris à partir de ma sensibilité, qui n’est pas monolithique, mais plurielle.

Toucher le public dans ton pays natal a-t-il été un défi ?

Au Burundi et au Rwanda, il n’existe pas de réseaux de distribution à proprement parler. Il n’y a pas de magasins de disques, uniquement des disques piratés. La musique se diffuse essentiellement par le spectacle vivant et circule beaucoup entre les téléphones portables. Étonnamment, grâce aux mobiles, la jeunesse africaine des villes est plus connectée que la jeunesse européenne. À Kigali, j’ai eu du mal à trouver un lieu où me produire, et mon promoteur a réussi à remplir une salle de 500 personnes en moins de 24h grâce à Twitter.

 

« Une des grandes forces du Hip-Hop est d’être un caméléon. »

 

Quels sont les artistes qui t’inspirent ?

En ce moment, j’écoute tout aussi bien Jeanne Added, Tsegue Maryam Guebrou, une pianiste éthiopienne extraordinaire, que le dernier album de Tumi ou celui d’Action Bronson. To Pimp A Butterly de Kendrick Lamar a été une claque musicale et technique, bien que Good Kid, M.A.A.D City m’emporte davantage. C’est un rap avant-gardiste, qui regroupe l’élite de la production et qui cherche à se placer au-delà de la tendance. Évidemment, je me sens assez proche de Blitz The Ambassador et du rappeur belge d’origine congolaise Baloji, dont tous les clips sont sublimes.

Comment s’est passée ta rencontre avec Tumi And The Volume ?

J’ai découvert ce groupe lorsque je vivais à Londres. C’est une amie en commun qui m’a fait écouter, et j’ai trouvé ça très bon. Mon amie m’a mis en contact avec eux, et comme ils tournaient beaucoup en France, je suis allé les voir et on a bien accroché. Depuis, ce sont de super potes. Tumi reste un des meilleurs emcees à mes yeux.

Dans « Querty », tu racontes ton passage à la City et dans « Alien », tu fais référence à ton cursus en école de commerce. Quel a été ton cheminement jusqu’au rap ?

Le cheminement est simple : j’ai suivi ce cursus par peur de devenir qui je suis maintenant, par besoin d’assurer mes arrières. Sauf qu’à vingt ans, ça n’a pas de sens. C’est à ce moment-là qu’il faut prendre des risques. Entre les conseillères d’orientation, la pression familiale, le souci d’avoir un « vrai » métier… J’ai géré durant quelques temps des portefeuilles de risque dans un fonds d’investissement. Malgré l’intérêt intellectuel, le quotidien ne correspondait pas à mon histoire et à mon potentiel.

J’ai tout plaqué du jour au lendemain pour aller à la rencontre de moi-même car j’avais besoin d’inventer mon propre destin. La chose la plus importante au monde, c’est trouver du sens dans ce que l’on fait. Chaque matin, je me posais des questions existentielles. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. D’autres gens que je connaissais se sont également donné les moyens d’y arriver, comme Grand Corps Malade. Être témoin de leur succès m’a fait réfléchir et m’a donné du courage.

Que t’a enseigné ton parcours atypique ?

Il m’a permis de ne pas faire les mêmes erreurs que certains, même si les jeunes rappeurs n’ont pas la même naïveté qu’il y a quelques années. Ils maîtrisent les outils de communication et la question de l’intégrité artistique ne s’oppose plus systématiquement aux logiques promotionnelles. Finalement, il n’y a rien de plus capitaliste qu’un artiste : il faut se vendre tout le temps, c’est comme avoir sa petite entreprise. Il faut également savoir affuter son ego pour être repéré.

 

« Être artiste, c’est comme avoir sa petite entreprise. »

 

Tes prochains projets seront-ils en groupe ou en solo ?

Aujourd’hui c’est officiel, le groupe Milk Coffee & Sugar n’existe plus. Edgar Sekloka a décidé d’arrêter pour des raisons personnelles que je respecte, juste après la sortie du projet Fines Bouches avec Guts. Le futur s’écrira donc en solo. Actuellement, je travaille sur un nouveau projet avec Blanka aux machines et Guillaume Poncelet au piano droit. Il sera plus minimaliste que Pili Pili Sur Un Croissant Au Beurre, sur lequel j’avais carrément réquisitionné un orchestre complet, et très différent, car j’ai beaucoup progressé depuis ce premier album.

Le live semble particulièrement important pour toi.

Etonnement, il existe un public très internet, qui n’est pas toujours en accord avec le live. Pour ma part, je vis ma vie grâce aux concerts. Contrairement à certains artistes, je n’ai pas des millions d’écoutes sur Soundcloud, mais j’arrive à remplir une salle de 800 personnes à Paris. À côté, il existe des artistes qui dont on parle beaucoup, mais qui font très peu de scène. Les projets rap manquent souvent d’une vision d’ensemble. Par exemple, un artiste peut être très fort sur la réalisation de ses clips, tout en délaissant les concerts ou en jouant uniquement sa musique en boite de nuit.

Dans « Fils du Hip-Hop », qu’as-tu voulu dire par « le rap a fait ses classes loin du Hip-Hop » ?

À la base, le patron, c’était le deejay. Le emcee, lui, n’était là que pour animer la soirée. Très rapidement, c’est le rappeur qui est devenu le patron et il s’est écarté des autres disciplines de la culture Hip-Hop : le graff, la danse, etc. Aujourd’hui, les disciplines sont souvent déconnectées les unes des autres. Pourtant, la force du Hip-Hop était d’être un mouvement. Est-ce qu’un rockeur pourrait faire du rock sans connaître les Rolling Stones ou Jimi Hendrix ? Il s’agit de références qu’un artiste rock se doit de connaître.

À l’inverse, j’ai croisé des rappeurs qui se moquaient complètement d’Afrika Bambaataa. Sans vouloir être dogmatique ou avoir des réflexions de vieux con, c’est un mouvement musical dans lequel certains pères fondateurs sont parfois ignorés par les pratiquants actuels. Personnellement, il me semble compliqué de comprendre le flow sans avoir écouté Nas ou Rakim. D’un autre côté, combien de mecs font encore de la musique pour l’argent ? De mon point de vue, tous les à-cotés et cet aspect très business discrédite le rap en tant que musique.

Dès le début j’ai voulu travailler avec des musiciens. Et je me suis vite entendu dire que le rap n’était pas de la musique, car il utilise des samples. C’est faux ! Quand tu écoutes une interview de Questlove, il ne parle pas de sapes ou de clashs, il te parle de sa caisse claire. Il y a eu un vrai travail pour faire évoluer les mentalités, et le rap que je prône est un rap musical dans le sens où il y a une vraie recherche. La posture doit aller de pair avec la musique. Si tu as du style, mais que la musique ne suit pas, c’est pas cool ! C’est comme au basket : avoir toute la panoplie Jordan ne suffit pas à mettre des paniers.

 

« Avoir toute la panoplie Jordan ne suffit pas à mettre des paniers. »

 

Merci à Gaël Faye pour ce bel entretien autour de sujets qui nous tiennent à coeur. Pour rappel, l’artiste présentera son nouvel album Rythmes & Botanique sur la scène du New Morning à Paris demain samedi 2 avril. Nous vous tiendrons informés dès que ce nouvel album de Gaël Faye sera disponible en ligne. Stay tuned !