DJ Premier : « j’ai envie de faire de nouvelles choses »

DJ Premier : « j’ai envie de faire de nouvelles choses »

Dans la foulée d’une performance avec son nouveau live band qui a électrisé une Grand Halle pleine comme un œuf pour le festival Jazz à la Villette, DJ Premier a accepté de nous accorder quelques minutes d’entretien dans sa loge. Fatigué mais très pro, le mythique producteur nous a confié sa vision sur les tendances du rap actuel, sa recette pour rester au top mais aussi ses (nombreux) projets à venir.

On a beaucoup apprécié l’interprétation de tes productions par ce nouveau live band. Entre toi, Kendrick Lamar, Adrian Younge ou encore Ghosface Killah (avec BADBADNOTGOOD), on a l’impression d’assister à une forte tendance actuelle pour le rap « organique ». Qu’en penses-tu ?

Tout dépend de comment tu veux que la musique sonne quand tu la sors. J’aime tous les instruments, tous les genres de musique mais au bout du compte ce qui importe pour moi c’est comment ça sonne. Adrian Younge dit que la Golden Era de la musique enregistrée s’étend de 1968 à 1973, point final. Il y avait à cette époque un son si brut, soul, funk, de vraies guitares et batteries… tout avait un son de malade. Passé cette période, tout est devenu plus digital avec l’arrivée des ordinateurs, ce qui est cool aussi, mais nos racines se trouvent dans cette Golden Era. Donc en Hip Hop, j’essaie de garder ces drums brutes, un peu dirty, ces rythmes funky. Avec mon groupe The Badder, on expérimente pour voir si on arrive à s’accorder entre les platines et le band, et on s’amuse beaucoup à faire ça. Ils sont cool, on ne se connait pas depuis si longtemps mais on s’est tout de suite bien entendu, et c’est le plus important. Chaque membre d’un groupe peut être super talentueux individuellement, mais s’ils ne s’entendent pas ensemble ce sera de la daube. On s’entend si bien qu’on va même faire des morceaux originaux. Je continuerai bien sûr toujours à faire mes beats avec ma drum machine, ça ne changera pas, mais avec ce groupe j’ai vraiment envie de faire de nouvelles choses (ndlr: le premier titre « BPATTER » vient de sortir avec le groupe appelé The BADDER, à découvrir ci-dessous).

Si tous les rappeurs se mettent à avoir des groupes, cela signifie-il que le schéma originel 1 DJ / 1 MC risque de disparaitre ?

Non, pas du tout, cela perdurera toujours. Tu as toujours des duos comme RUN DMC, EPMD qui tournent toujours, ça ne changera jamais. Regardez, moi avec Royce pour PRhyme, on tourne toujours comme ça. Même les plus jeunes, comme Joey Bada$$ ou J. Cole, rendent continuellement hommage au genre de musique que nous avons toujours fait, donc je ne m’inquiète pas.

Comment arrives-tu d’ailleurs toi-même à être moderne dans tes productions tout en respectant ton identité foncièrement boombap ?

J’essaie juste de rester conscient de ce que je veux faire. Je sais ce que je veux, et ce que je veux donner au gens correspond à ce que je fais. Je veux faire de la pop, je veux faire du jazz, je veux faire de tout mais quand je fais du Hip Hop, je le fais d’une certaine façon. Mais même quand je fais d’autres genres, comme avec Christina Aguilera par exemple, cela garde constamment un « son Premier ». Le son peut être pop mais il y a toujours une manière de faire qui te fait dire : « ah ouais, ça c’est du Premier ». Cet aspect est toujours présent dans un coin de ma tête : cela DOIT sonner comme du Premier. Peu importe ce que je fais, que ce soit des chants de Noël ou des contines pour enfants, cela aura toujours ce type de son. C’est très important.

Donc, pour toi, quels sont les ingrédients pour rester au top et pertinent après toutes ces années de carrière ?

Ce n’est même pas une question de rester « pertinent » pour moi, mais plus de savoir que ce que tu fais est toujours assez bon pour continuer à faire de cette façon. Je crois profondément en tout ce que je fais, sans penser « j’espère que les plus jeunes vont kiffer ce que je fais ». Si tel est le cas, tant mieux mais je ne vise pas spécifiquement leur marché. Je vise ceux qui connaissent déjà Premier car je me dois de contenter ceux qui m’ont déjà soutenu. Si quelqu’un d’autre veut me soutenir, il doit accepter cette façon de faire, ou rien.

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© DJ Premier après son live au Festival Jazz à la Villette


Bada$$ ou Kendrick ?

Je ne les place pas dans la même catégorie. Kendrick Lamar est une bête de lyricist. Ils sont de la même génération mais c’est comme comparer Tupac et Biggie : ce sont deux types de lyricists différents. Biggie est plus talentueux dans le flow, la technique en tant qu’MC tandis que Tupac parle de problèmes politiques, son projet de rendre le monde meilleur, de sa famille. Ce sont des musiques très conscientes – tout en gardant un son très brut – avec un côté hardcore et une mentalité street, tout dans l’énergie. Donc pour moi il est impossible de les comparer, tout comme K-Dot et Joey.

A part le projet The BADDER dont tu nous a déjà parlé, peux-tu nous en dire plus sur tes prochaines sorties ?

Bien sûr ! Le nouvel album des NYGz va enfin sortir. Je l’ai produit en entier, c’est une vraie tuerie. On est en train de le mixer sur la route avec mon ingénieur, on avance vite. Je suis d’ailleurs allé au studio de DJ Brans et Loscar (ndlr : patron du label Effiscienz) pour enregistrer quelques scratches. On a aussi la version Deluxe de PRhyme qui va sortir avec MF Doom, Logic, Black Thought et encore trois autres surprises. Il y a aussi MC Eiht, dont je mixe l’album en même temps que celui des NYGz dans notre tour bus. Celui-ci s’intitule Which Way is West, et j’y produis trois sons, avec comme invités Bumpy Knuckles, Lady of Rage, Xzibit, B-Real de Cypress Hill, Dub C, Big Mike des Geto Boys, Compton’s Most Wanted, Young Maylay…un sacré album. Enfin, je produis également la titre éponyme du prochain The Documentary 2 de The Game, ça va être hardcore.

En parlant de Compton avec The Game, on a entendu que le film Straight Outta Compton t’aurait inspiré pour un biopic sur Gang Starr. Ou cela en est-il concrètement ?

La sœur de Guru m’a demandé de le faire il y a environ trois ans, peu après son décès, et je lui avais conseillé de nous laisser un peu de temps pour digérer certaines choses, mais je suis complètement motivé pour réaliser ce projet. Simplement, cela doit être fait de la meilleure façon qui soit. Après avoir vu Straight Outta Compton, j’ai discuté avec Dr. Dre sur le temps qu’il lui a fallu pour réaliser ce projet il m’a répondu « mec, les scripts n’arrêtaient pas d’arriver et je disais non, non et encore non. Et puis un jour j’en ai reçu un autre et j’ai dit oui, celui-ci me plaît ». Ce sera donc la même chose pour moi : je dois trouver le script qui me convient et qui me donne envie de commencer ce projet sur des bases que je juge parfaites. Je ne suis pas pressé du tout, mais j’aimerais vraiment faire ce biopic parce que nous aussi on avait une vie de fou avec Guru (rires).

La légende dit que bien souvent, tu trouves les phases qui constituent tes fameux refrains scratchés de tête, en cherchant juste dans ta mémoire Hip Hop. Si on te demandait de faire un refrain pour The BackPackerz, que choisirais-tu ?

Wow, pas facile comme question. Je pense que je prendrais d’abord « Halftime » de Nas, dans lequel il dit « now you never get de mic back » puis j’ajouterais Torae, qui dit « separate me from the pack » dans « That Raw ». On pourrait ainsi cutter les deux fins de phrases et faire un truc du style « b-b-b-back-pack » (il mime les scratches).

On se quitte en musique avec un un mix spécial DJ Premier réalisé par nos soins l’année dernière à l’occasion de notre portrait « DJ Premier, le son de NYC « 

Tribute Mix to DJ Premier By TheBackPackerz by The_Backpackerz on Mixcloud

Remerciements : Yannick (Live Nation), Emmanuel (Milesfender), Laure (Jazz à la Villette) et bien sûr DJ Premier. Crédit photo : la Villette.