Sopico : « Le temps est notre meilleur ami »

Sopico : « Le temps est notre meilleur ami »

Sopico, de retour avec l’album Nuages, livre un disque poétique et sincère, où la guitare résonne avec ses sentiments pour entretenir un dialogue intimiste avec le public. L’artiste y expose sa vision de la musique et ouvre les portes de son univers ouaté, où le temps est comme suspendu.

Posé et réfléchi, Sopico pèse le poids de chaque mot. Alors que son retour fait grand bruit, c’est dans le calme que s’est écrit Nuages. Un nouvel album emprunt d’une poésie des sentiments, qui touche par sa simplicité. Reclus du monde extérieur, le musicien crée un dialogue sincère et direct entre sa voix, son instrument et le public. Sa guitare définit son geste et chaque rencontre influence son rapport à la musique. Les talents qu’il a côtoyés nourrissent sa passion et lui offrent tous une leçon d’humilité. Droit dans ses bottes, l’enfant du quatre-vingt treize sait d’où il vient et où il va.

Tout en nuances, l’artiste cherche l’harmonie entre les mots et les cordes, pour que sa musique touche le public en plein cœur. Fidèle à une certaine école du rap français, il suggère sans dire, avec pudeur et générosité. Pudique, il l’est tant par nature que par choix. Une volonté de vider les histoires de leur aspect factuel, pour n’en garder que l’émotion. Conscient que le temps est son ami, il ne cherche pas à courir et va là où le vent le mène, comme la brume qui donne son nom à l’album. Un disque en miroir de son esprit, où les heures s’écoulent à une vitesse différente.

Prendre le temps de discuter, c’est justement ce qu’on a fait.

Ton retour avec le single “Slide” et son clip tourné sur la Tour Pleyel a fait grand bruit. Tourner sur l’immeuble le plus haut de Saint-Denis, qu’est-ce que c’est, pour toi : un symbole, un message que tu cherches à envoyer ?

J’ai grandi avec la vue sur cette tour, qu’on pouvait voir depuis la fenêtre de chez moi. Petits, on l’appelait la tour de la mort et on voulait entrer à l’intérieur, car elle avait quelque chose d’effrayant. Le jour où j’ai appris qu’on allait pouvoir y tourner, j’ai eu envie de faire un truc de fou avec artifices et cascades. J’ai proposé une idée dingue à mon réalisateur : m’accrocher à cent mètres de hauteur pour que je descende la tour en rappel. 

Depuis la tour, je vois le 18ème arrondissement de Paris et mon ancien quartier à Stains. Et puis, c’est vertical. La verticalité, ça peut vouloir dire que je reviens de loin et que j’ai envie d’aller haut. Tous les symboles qu’on peut associer à cette tour me correspondent. Pour moi, elle incarne presque l’esprit indé. Il y a plein de gens que je connais qui veulent y tourner un clip. Vu que j’y ai eu accès, j’ai décidé de marquer le coup. Faisons en sorte de la mettre en valeur, dans toute sa laideur, avant qu’elle ne devienne un hôtel de luxe et qu’elle ne perde tout son charme.

L’essence de ce qui fait de moi un artiste, c’est mon rapport à la guitare.

Prendre le temps de sortir un album à la hauteur de tes ambitions, on sent que ça a été important pour toi. Les attentes de tes fans n’ont pas de prise sur ton perfectionnisme ?

Non, ça n’a pas d’impact. C’est un souffle dans mon dos. Avoir sorti des projets et être soutenu par un certain nombre de personnes, ça renforce une exigence personnelle que j’ai toujours eue. Une des choses qui caractérisent mon environnement, mes amis et les personnes avec qui je travaille, c’est d’aimer la musique et de se casser la tête pour en faire. Être parti deux ans, c’était essentiel pour moi. J’ai changé de cadre et j’ai décidé de monter ma propre structure. La démarche a été longue et j’ai eu besoin de couper après trois projets, pour retrouver ce qui fait mon identité. L’essence même de ce qui fait de moi un artiste, c’est mon rapport à l’instrument, à la guitare.

Le son “Février” retrace ton parcours et tes influences. Que gardes-tu de l’héritage de la 75ème Session ?

J’en garde le meilleur. Mes premiers pas dans le rap et la production artistique. De la musique, des projets et surtout des amis. La 75ème Session, c’est un des labels les plus influents de notre génération dans le développement d’artistes. Le Dojo porte bien son nom. C’est un centre de formation, un incubateur. Un espace de liberté créative avec des émissaires et des têtes pensantes. J’en garde une réelle expérience indé qui ne me quitte plus. Quel que soit mon cadre, mon approche est toujours celle-ci. L’instinct indé doit rester au centre de ma musique, sinon elle perd son esprit, qui vient d’une envie personnelle et humaine.

Ensuite, comment as-tu évolué, au fil de tes rencontres artistiques ? Comment des artistes comme Yodelice sont-ils venus enrichir ton univers ?

Yodelice, c’est quelqu’un de la génération au-dessus de moi, qui a fait plein de choses. Il a autant travaillé avec les L5 qu’avec HollySiz ou Jane. Il a une façon chez lui de mettre sa passion pour la musique au service de différents projets. Un jour, il m’appelle et on se rencontre à son studio. Il me dit qu’il aime bien ma musique et mon rapport à l’instrument. Après avoir discuté tout un après-midi, on décide de se revoir pour faire du son ensemble. Là, je vois qu’on a les mêmes influences, on voit notre miroir l’un en l’autre. Parler de réussite, de coups, ça ne l’intéresse pas. Ce qui l’intéresse, c’est de faire du son. Se surprendre lui-même quand il est en studio.

À ce moment-là, je montais mon label et j’avais envie de m’associer à des gens qui puissent m’amener plus loin. Après plusieurs morceaux ensemble, on a signé une licence avec Polydor. J’ai un cadre bienveillant, dans lequel je n’ai pas perdu ma liberté. Je produis 99% de l’album. Yodelice me donne des petites astuces de guitariste et amène une touche de rock qui est bien la sienne, à travers certains arrangements. Le résultat, c’est Nuages. Dix morceaux, dont trois interludes, avec dix guitares qui donnent différentes couleurs. Plein d’émotions et un truc ultra sincère, où j’ai enlevé toutes les fioritures pour ne garder que l’essentiel. Les paroles et la mélodie à la guitare. L’harmonie de tout ça donne mon premier album, le projet que j’ai toujours voulu faire.

Félicitations d’avoir réussi à atteindre cet objectif, qui est commun à tous les artistes. À propos des interludes, celui qui se nomme « Gibraltar » nous invite dans une forme d’intimité à deux, avec beaucoup de pudeur car tu livres une émotion sans l’histoire. Il est possible de s’imaginer plein de choses. Comment parviens-tu à ouvrir ton intimité à ton public, tout en gardant une forme de pudeur ?

Pour moi, le seul moyen de dire les chose et de garder une certaine pudeur, c’est le degré de poésie que tu y mets. À quel moment tu décides de faire d’une phrase quelque chose d’abstrait, sans perdre l’émotion que tu vas mettre dedans. Sans dire les choses de manière trop frontale. J’aime passer de ce côté abstrait, que tu es libre d’interpréter comme tu veux, à quelque chose de plus direct. Par exemple, j’aime une phrase comme « je suis très courtois mais je peux te baiser ta mère. » En revanche, je n’en fais pas le thème d’un morceau.

Dans cet album, je suis en dialogue avec ma guitare et dans un sens plus large, avec le public qui m’écoute. Mon but, c’est d’ouvrir à travers la sincérité du projet une table ronde avec les personnes qui l’écoutent, sans être dans un storytelling dénué de poésie. La poésie, c’est la clé. Au Dojo, on a toujours eu cette approche. C’est le style sombre du sud et du nord de Paris. L’école dans laquelle ont été Nekfeu et Lomepal, des artistes qu’on a côtoyés pendant tant d’années et qui imposent leur poésie dans le paysage. La pudeur, c’est important. Il faut l’être, sauf si on veut mettre l’idée devant la tête des gens, ce qui peut être un choix. Personnellement, j’aime que les gens puissent ressentir un même morceau différemment.

La nuance, c’est ce qui donne de la profondeur et de la richesse au propos.

Puisqu’on parle de ressenti personnel, une phrase m’a marqué. Dans « Crois-moi », tu dis: « Besoin de se faire du mal pour sentir quelque chose. » Il existe un mythe, selon lequel toute création artistique forte passe par de la souffrance. As-tu écrit cette phrase en ce sens?

Le plus important, c’est la nuance qu’il y a entre le bon et le mauvais. Ni l’un, ni l’autre. C’est la nuance. À quel endroit on laisse entrer la lumière et à quel moment on décide de convoquer les ténèbres. Cet aspect non manichéen, ça entre dans la définition de ce qui fait de nous des êtres différents. Dire que la douleur nous aide à sentir quelque chose, c’est une façon d’expliquer que si on n’était qu’heureux, on ne serait pas si vivants que ça. J’estime que j’ai vécu des choses dans ma vie qui me permettent d’être heureux. Des choses pas forcément positives. C’est comme ça qu’on se construit, qu’on parvient à trouver un équilibre et à construire sa personnalité. La nuance, c’est ce qui donne de la profondeur et de la richesse au propos.

Il n’y a pas de lumière sans ombre. L’interlude « Amerbeton » est une référence à un animé et au manga dont il s’inspire. L’histoire se base sur une forte opposition entre noir et blanc, ombre et lumière. Une thématique que tu abordes encore dans « Wave ». Quel message as-tu voulu transmettre en faisant une référence à ce film ?

Amerbeton, c’est un de mes films préférés. La narration, l’écriture des personnages, le dessin, la musique. C’est un chef d’œuvre de l’animation japonaise. Il y a une intensité émotionnelle dans ce film, qui m’a touché. J’ai dû le voir dix fois et je ne m’en lasse jamais. Et ce que j’aime, c’est l’ambivalence entre les personnages, leur lien malgré leur différence, les questions que pose ce film et le message qu’il véhicule. Il laisse la part d’ombre prendre énormément de place, pour revenir à l’éclair de lumière qu’est la naïveté de Blanc (l’un des deux personnages principaux, ndr). Sa positivité est plus forte que toute la brutalité de Noir. C’est mon sujet de thèse depuis quelques années : sois positif mais prends les choses telles qu’elles viennent, même les pires. Un grand classique. Pour les gens qui liront l’interview: foncez le voir.

L’interlude « Appel manqué » est un message inquiet de ta mère sur ton répondeur. Dans le tire « Wave », qui vient juste après, tu dis: « Parfois, j’ai besoin d’avancer donc je m’isole, seul. » Quels sacrifices demande la musique ?

C’est le thème de ce morceau. La musique demande du temps, une certaine rigueur, une hygiène de vie. Dans ce titre, je cherche à dire que je me lance dans quelque chose, avec l’envie de réussir ce que je fais. Ne m’en voulez pas si vous avez l’impression que je suis égoïste, car ce n’est pas le cas. J’ai juste envie de faire quelque chose sans devoir m’arrêter à mi-chemin ou faire demi-tour. Lorsque j’ai quitté la 75ème Session pour tracer la route, je ne l’ai pas fait dans un rejet, mais plutôt pour être dans une dynamique, et faire quelque chose qui dépend de chacun de mes pas.

Il faut être courageux, courageuse, garder en tête sa vision et ne pas avoir peur de s’adapter. Le plus important, si je dois faire un constat depuis que j’ai commencé à faire de la musique, c’est que le temps est notre meilleur ami. Il faut prendre du temps pour tout. Travailler, réfléchir, se déconnecter du quotidien. À partir du moment où tu fais les choses pour les bonnes raisons, c’est que tu es dans la bonne direction.

C’est juste. Même une personnalité comme Bill Gates s’octroie chaque année une semaine de réflexion, où il s’isole avec des bouquins pour lire, réfléchir et prendre du recul.

L’introspection, elle est plus difficile à faire lorsqu’on est entourés. Il y a besoin d’aller chercher des choses en toi et de te retrouver face à toi même, pour poser les idées et développer des choses avec d’autres personnes. Moi, je pense qu’on ne fait rien tout seul. Travailler avec d’autres personnes et leur faire confiance, autant qu’on se fait confiance à nous-mêmes, c’est indispensable. Par contre, l’impulsion doit venir de toi. Sinon, un jour, tu risques de te sentir comme une marionnette. Et ce sentiment, il te donneras cent fois plus envie de te retrouver seul. Sauf que cette fois-ci, ce sera un rejet et non pas un désir d’avancer.

Une rencontre qui t’a permis d’avancer, récemment, c’est Damien Chazelle, qui t’a casté dans la série The Eddy. Est-ce que le petit écran t’a offert une nouvelle forme d’expression ?

J’ai plutôt vécu une expérience. Me voir à l’écran, c’est très dur pour moi. De la même manière que j’ai beaucoup de mal à réécouter les sons une fois qu’il faut les mixer. Les jouer sur scène, j’aime ça, parce que je suis dans le présent. Mais m’écouter, avec toutes les réflexions que ça génère, c’est pas bon. La série m’a permis de travailler à la musique avec des gens qui en font depuis trente ou quarante ans. Des gens comme Randy Kerber ou Glen Ballard.

Glen Ballard, il a composé « Bad » de Michael Jackson et a fait d’innombrables choses dans la musique anglo-saxonne et Randy Kerber, c’est un pianiste qui a travaillé sur la bande originale de Forrest Gump et d’Harry Potter. Tellement d’œuvres qui ont bercé notre jeunesse. En fait, le plus intéressant était de se retrouver avec des gens comme ça, qui ont vendu plus de 150 millions d’albums, n’ont plus rien à prouver et sont restés des enfants. Ils n’en ont rien à faire. Ils ne sont pas intéressés mais intéressants. La connexion humaine passe d’abord. De gros bosseurs, mais qui ont un rapport passionné à la musique. J’aime voir ça. Ça m’a permis de comprendre quelques trucs et de bien m’ancrer les pieds au sol.

Qu’est-ce que ça t’a fait comprendre ?

Que si tu veux faire de la musique toute ta vie, il faut conserver ton âme d’enfant, ta naïveté, ta curiosité, et être bon avec les gens qui t’entourent. Communiquer. Damien Chazelle, c’est pareil. Il est le plus jeune réalisateur oscarisé de l’histoire. Il a réalisé Whiplash et il est dans un mode de communication tellement sain et pur. Moi, il me parlait comme à un petit frère, venait aux séances lorsqu’on faisait du son. Impliqué, passionné. C’est quelqu’un qui a été batteur, qui a fait beaucoup de musique. Il s’intéresse aux rapports à nos émotions, à comment un jeu de batterie peut synthétiser une émotion. Il mérite tous les honneurs qu’il a eu ces dernières années, parce qu’il est investi dans la culture. Il ne s’agit pas de simples mécanismes, mais de chemins humains.

Le message de cet album, c’est de regarder le ciel et d’interpréter les choses.

Un chemin qui t’a mené à l’album Nuages, c’est le projet Episode 0. Il m’a intéressé, parce qu’on sent que tu t’y es accordé une grande liberté. C’était quoi ce projet, un laboratoire ?

Les projets Épisode, c’est une bulle dans laquelle je remets ma tenue de laboratoire, pour tester des trucs. En fait, c’est dans ma façon de créer, dans ma culture. À l’image d’un Sheldon et de tous les gars du Dojo, qui ont l’habitude d’aller chercher une subtilité et une densité dans la production. J’ai eu besoin de m’amuser et de faire des expériences dans mon laboratoire avant de revenir avec un projet où je dialogue avec ma guitare. Des morceaux comme ceux d’Épisode 0, j’en ai fait quatre-vingt. À chaque Épisode, je suis là où l’on ne m’attend pas. Il faut s’attendre à un contre-pied.

Et sur Nuages, qu’est-ce que tu as cherché à explorer ? Il semble y avoir une histoire amoureuse en trame de fond et des réflexions existentielles.

J’ai cherché à montrer que je suis un sentimentaliste, quelqu’un qui a un rapport aux émotions. L’album n’est pas surproduit, car j’ai envie que la distance entre la musique et l’auditeur soit très courte, sans que l’oreille ne soit perturbée par un élément. Un morceaux comme « Nuage » va tout droit. Le message de cet album, c’est de regarder le ciel et d’interpréter les choses. N’ayez pas trop de préjugés. Les émotions flottent et sont insaisissables. Le plus important, c’est de les laisser vivre et de les apprécier dans toutes leurs formes. C’est un album qui parle des sentiments et des émotions que j’ai ressenties et qui met en avant la guitare sous des formes que j’aime.

Il y a des références à Clapton et Nirvana. Comment ces artistes t’ont-ils influencés dans la construction de ton identité d’artiste ?

Ils ont influencé mon jeu de guitare et l’attitude que j’ai envie d’avoir. La douceur de Clapton dans son jeu et dans l’écriture de ses guitares me transperce. Il y a quelque chose dans l’attitude de Kurt (Cobain, ndr), dans sa façon de traduire des émotions, dans son spleen et même dans les arrangements de Nirvana, qui ne me laisse pas indifférent.

Ils ont eu une influence très forte sur mon envie de jouer en live et que ça tape fort. Les Red Hot (Chili Peppers, ndr), System Of A Down ou Rage Against The Machine, que j’écoutais beaucoup quand j’étais jeune, sont également de grosses références. J’ai envie qu’il se passe quelque chose de très rock, en gardant en tête que mon écriture est et sera toujours une écriture de rappeur. C’est un rap émo sur une proposition rock.

Quelles sont tes attentes vis-à-vis de cet album ?

J’espère que cet album fera vibrer les gens à différents endroits, qu’il leur donnera de l’amour. J’espère lancer vite une grande tournée pour le défendre sur scène et me rapprocher encore plus des gens qui l’ont apprécié.


Merci à Margaux Charmel et Florent Muset.