Slowthai : « La musique est ma thérapie »

Slowthai : « La musique est ma thérapie »

Slowthai, le jeune prodige du rap anglais plébiscité par Gorillaz et Disclosure, s’est livré dans une interview honnête et sensible, alors qu’il dévoile son nouvel album TYRON, une thérapie musicale qui présente ses deux facettes.

Slowthai trouve son équilibre entre l’adulte torturé et le gamin joueur. Un goût pour le bizarre et des opinions marginales, avec lesquels il jongle dans un élan de sensibilité et de provocation. L’archétype de l’artiste brut, sans compromis, qui a su dépasser les rejets et les moqueries pour en faire sa force. Vingt-six ans, toutes ses dents, et même quelques diamants posés dessus. Le jeune artiste se fie à son instinct, apprend à chacune de ses rencontres et garde foi en l’humain. Thérapeutique, sa musique sublime ses émotions les plus noires et touche le public en plein cœur.

Doté d’un message et d’une énergie brute, explosive sur scène, Slowthai dévoile en 2019 Nothing Great About Britain. Un joyeux bordel de premier album, dont le titre a tout du slogan politique. Salué par la critique, ce disque pose les bases d’un son atypique et trituré. Une atmosphère rugueuse portée par sa voix éreintée, qui mélange à l’envi grime et punk rock, entrechoque le rap new-yorkais des 90’s avec l’héritage sulfureux des Clash. Son identité unique a ouvert les portes du monde à ce britannique. Jusqu’aux États-Unis, où il a trouvé des alter-égos en Tyler, The Creator ou le groupe Brokhampton.

Loin de s’endormir sur ses lauriers, Slowthai est de retour en 2021 avec TYRON, un nouvel album à venir le 12 février. Incursion mélodique dans ses émotions, ce second disque présente les deux visages de l’artiste. Quatorze titres, sept pour chaque face. D’abord, la rage de vivre narquoise, comme sur « CANCELLED » (ft. Skepta), pamphlet contre l’Angleterre que l’on divise au nom d’un hypothétique progrès. Ensuite, l’introspection sincère, dans la veine de « feel away » (ft. James Blake & Mount Kimbie), single magnifique dédié à son petit frère disparu à l’âge d’un an.

Tyron Kaymone Frampton, de son nom civil, a pris le temps de s’entretenir avec BACKPACKERZ, à propos de son parcours de vie, de son état d’esprit du moment, et du contexte singulier dans lequel cet album éponyme est né. Solitude et quête d’identité parcourent ce disque, présenté comme un remède à l’illusoire perfection de nos vies. Un appel à l’intégrité plutôt qu’à la bonté naïve. Une ode à la complexité de l’Homme et à l’impératif d’être soi-même, surtout dans un monde superficiel.

En quelques minutes, on découvre la force vulnérable d’un artiste à la fois réservé et flamboyant, qui utilise les codes subversifs du rap à des fins utiles. D’un type simple, pétri de compassion, qui se livre dans le but de se soigner et d’élever les autres. Qui ose parler librement de santé mentale et de dépression. Exposer sans détour comment la musique lui a permis de survivre, à une période où les attentes ont crû avec un succès exponentiel. Une hype fondée, qui l’a porté dans le giron de Disclosure et des géants Gorillaz.

BACKPACKERZ : Ton son est influencé par la grime, le punk rock, des artistes comme The Streets. Adolescent, comment as-tu été exposé à un tel melting pot musical, depuis ta ville natale de Northampton, en Angleterre ?

Slowthai : Honnêtement, à travers mes potes. La musique m’a toujours plu. Quand tu es ado, tout le monde écoute sa propre musique. Différentes personnes m’ont fait découvrir différents styles. J’ai fait mon choix là-dedans. C’est comme ça que j’apprends, par les rencontres. J’ai toujours observé et si quelqu’un écoute ou regarde un truc, je m’y intéresse. Découvrir quelque chose qui te procure des sensations dès la première écoute, c’est ça qui m’anime.

Les gens que tu croises, ou avec qui tu vis, sont donc le point de départ. Y a-t-il des personnes qui ont joué un rôle plus important dans ta culture musicale ?

Mon cousin Lewis (Levi, ndr), qui est mon manager. C’est un fervent mélomane. Depuis qu’on est petits, il me joue des choses, du Ludacris par exemple. Il a un temps d’avance, et un talent pour dénicher de petits artistes avec un grand potentiel. Lui et d’autres potes, qui m’ont davantage fait découvrir des groupes indés. À mon tour, j’ai voulu leur faire découvrir des sons. Quand tu partages ton amour pour la musique, que tu te plonges dans une discographie, tu peux creuser à l’infini.

Puisque tu mentionnes un américain, ça me fait penser que tu as posé sur un titre de Tyler, The Creator, que tu as rejoint le groupe Brockhampton pour une tournée américaine, et qu’ASAP Rocky est présent sur ton nouvel album. Qu’est-ce qui te lie à ces artistes ?

J’imagine qu’on se comprend. Malgré nos différences, notre milieu, le quartier où l’on a grandi. Tant que tu as vécu des choses dans ta vie, sans forcément les avoir ressenties pareil, tu peux t’identifier. À mon avis, on passe trop de temps à classifier les choses, à mettre des étiquettes dessus. La musique, ça reste de la musique, tu connectes avec ce qui te touche. Tous ces artistes sont des gens que j’aime, que j’écoute, alors on se mélange. Chacun d’entre eux a des choses à offrir.

Entoure-toi de gens qui sont en mesure de t’apprendre quelque chose.

Ton ancrage dans la scène britannique est aussi très fort. Le nombre d’artistes avec qui tu as bossé au Royaume-Uni est impressionnant, et compte de gros noms : Skepta, James Blake, Mount Kimbie, Mura Masa, Disclosure ou même Gorillaz, pour ne citer qu’eux. D’ailleurs, les featurings sont un exercice dans lequel tu excelles. Est-ce que ce type de collaborations a une place spécifique dans ton processus créatif ? 

En boxe, tu fais des combats d’entraînement dans l’espoir d’apprendre quelque chose. Tu vois comment un adversaire bouge, tu repères ses failles. Les featurings, c’est pareil. C’est un moyen de s’améliorer. Tes pairs, tes contemporains, les gens qui t’inspirent, pourquoi ne pas travailler avec eux ? C’est une façon de se dépasser, d’apprendre l’un de l’autre. Chacun aide l’autre à se construire, à se développer. Lorsque tu connectes avec quelqu’un, ça stimule ta créativité. Entoure-toi de gens qui sont en mesure de t’apprendre quelque chose. Sinon, comment tu vas faire pour devenir meilleur ? Que ce soit sur le plan émotionnel, physique ou spirituel, on doit pouvoir s’entraider.

Est-ce que tu considères la musique comme un sport ? 

Vu que je suis un passionné de sport et quelqu’un de très compétitif, j’imagine que tout prend des allures de compétition, avec moi.

Un autre trait de caractère, qui ressort dans ta musique, c’est ton esprit critique. Notamment vis-à-vis de ton pays, sur l’album Nothing Great About Britain. Qu’est-ce qui te gêne, au Royaume-Uni ?

Savoir qu’on investit de l’argent pour dénigrer les gens qui font des choses. Qu’on minimise ce que je fais dans le but d’aider notre génération, notre pays ou les gens de manière générale. Les problèmes qu’on a n’ont rien d’original, ils ne sont pas propres au Royaume-Uni. Les mesures gouvernementales, les gens qu’on choisit de mettre à la tête du pouvoir, l’opinion de la majorité. Rien ne s’améliore. Dès que ça va mieux quelque part, ça empire ailleurs. Impossible de gagner en politique.

Néanmoins, ta musique a quelque chose de politique. Lorsqu’on t’a remis une récompense au Mercury Prize, tu as crié : « Fuck Boris Johnson » et brandi une fausse tête coupée du premier ministre britannique. Quel message as-tu voulu faire passer ?

Le message était simple : le peuple a été oublié, rejeté. Voilà ce qu’il nous a fait. Il nous a coupé les vivres, mis à l’écart. La tête coupée, c’est une métaphore de ce qu’il a fait subir au peuple. J’ai cherché à utiliser ma voix pour faire réfléchir, transmettre un message. Les gens en penseront ce qu’ils veulent, de toute façon. Ils diront toujours que c’est bien ou mal, ils continueront à diaboliser par faute de savoir lire entre les lignes, voir plus loin que les apparences. Peu importe.

Est-ce que, petit, tu rêvais d’avoir ce « pouvoir » ? D’être la voix de ceux qui n’en n’ont pas, ou qu’on ne veut pas entendre ?

D’où je viens, c’est difficile de croire que tu puisses être entendu. Que ton avis compte, d’une quelconque manière. Il ne s’agit pas de pouvoir. Juste d’être en mesure de m’exprimer, de parler pour ceux qu’on n’entend jamais. Qu’ils puissent le voir, au moins. Savoir qu’ils comptent. Que ce soit dit, quelque part, même si beaucoup s’en foutent. Plus j’ai grandi, plus c’est devenu important à mes yeux.

Incarner une voix dissidente, en quelque sorte ? 

C’est ça, parler pour la minorité.

Cet album est pour les gens qui vont mal, qui ne voient pas le bout du tunnel.

Ton nouvel album s’appelle TYRON, comme ton prénom. Va-t-il être plus intime, comme le suggère ce titre ? Que doit-on en attendre ?

Il montre les deux facettes d’une même personne. La dualité de l’être humain. Il y a toujours un côté de notre personnalité qu’on veut montrer, et un qu’on préfère cacher. Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Cet album est différent, plus introspectif. Il parle de qui je suis à ce moment « t », de comment je me suis extirpé d’un certain état d’esprit, de certaines situations. Il est pour les gens qui vont mal, qui ne voient pas le bout du tunnel. Mon but est de les aider, d’une façon ou d’une autre. S’ils se sentent seuls, qu’ils sachent qu’ils ne le sont pas.

Personnellement, comment tu te sens ? Arrives-tu à voir la lumière ?

L’album m’a aidé à m’en sortir. Comme je le dis souvent, la musique est ma thérapie. Une façon de mieux comprendre ce que je ressens, ou ce que je pense. Ça m’aide à mettre des mots dessus. La création d’un album, c’est plein de petites épiphanies.

La création permet de sublimer la douleur. Est-ce que la partager avec le monde, puisque le monde entier t’écoute maintenant, a ce même effet thérapeutique ?

En thérapie, on t’explique que lorsque tu parles, tu dois être ouvert, laisser les émotions venir. Il ne faut pas chercher à les contenir. Sinon, ça ne fait qu’empirer. S’exprimer, dire ce qu’on a sur le cœur, ça fait du bien. Il faut avoir conscience d’un truc : une personne sur quatre souffre de dépression. Il y a de fortes chances que parmi tes proches, il y ait quelqu’un qui traverse la même chose que toi. Sans en parler, tu ne peux pas le savoir. Tu penses être le seul dans ce cas. Quand tu es déprimé, si tu ne demandes pas d’aide, tu crois être un cas isolé. Or, c’est faux. J’encourage les gens à vider leur sac. Même si je ne suis pas en mesure de leur répondre, ils sont en sécurité avec moi, je ne juge pas.

Merci, c’est profond, ce que tu dis. La dépression semble être le mal du siècle. Et ça se ressent dans le rap. Le rap est triste, sombre, en ce moment. Car il est le reflet de notre monde. 

D’accord à 100%. Il évolue avec ce qui se passe dans le monde. De nos jours, on a un nom pour ça, mais les maladies mentales et la dépression ont toujours existé. Jadis, personne ne t’aurait aidé, on t’aurait simplement jugé. Tant qu’on cherche à s’en sortir, c’est important d’en parler.

Chaque fois que j’ai le cafard, j’écoute « feel away », ton single avec James Blake et Mount Kimbie, et ça me guérit. Quelle est l’histoire de ce son et de ce clip, qui sont de véritables chefs d’œuvres ?

Je suis tombé sur des samples de James (Blake, ndr). Et celui là, c’était le bon. Impossible de me le sortir de la tête. On a enregistré le titre, et je me suis dit : il faut qu’il pose dessus. Je lui ai envoyé, en pensant que ça allait tomber aux oubliettes. Et là, boum ! Le lendemain, il avait enregistré son couplet et le son était bouclé. Aussi simple que ça.

Et le sujet dont il parle, la vidéo ?

Il parle de grossesse, d’une expérience personnelle, de mon rapport à la naissance. Et de se mettre à la place de quelqu’un d’autre. La vidéo, c’est Oscar Hudson. Un génie ! J’ai eu la folle idée de jouer un homme enceinte. Un truc bizarre, qui m’a toujours parlé. L’idée de base a évolué et, de fil en aiguille, ça a donné ça. Sur la plupart de mes clips, je travaille avec Lewis, mon manager, et Alex (Motlhabane, ndr), qui est réalisateur. Ils forment The Rest, un duo créatif, et je leur fais confiance sur toute la ligne. Ils ont mon art et ma vie entre leurs mains.

Parlons des concerts. En live, tu es une bête de scène. Pour dire, tu as même pris l’habitude de te produire en caleçon (rires). Comment vis-tu l’annulation de tes shows à cause de la pandémie ? 

Être saoulé ne va rien y changer. Bien sûr, ça m’affecte qu’il ne se passe rien. Mais je me force à voir le verre à moitié plein. Très bien, il n’y a pas de concerts en ce moment, mais il y en aura dans le futur. Seront-ils les mêmes ? Difficile à dire. Il ne faut pas que ça m’obsède, je dois me concentrer sur ce que je fais, et quand ça reviendra, j’aurai plus d’énergie que je n’en ai jamais eu.

L’album a également été repoussé. Il va sortir le 12 février. Est-ce que tu prévois quelque chose de spécial pour la sortie ? 

Un milliard de choses ! Sache qu’on est les spécialistes des trucs spéciaux (rires). Il va y avoir des surprises, en tout cas !


Mille mercis à Marie Rabottin pour la passe dé !