SahBabii, coincé entre fantasme et bestiaire sauvage

SahBabii, coincé entre fantasme et bestiaire sauvage

Focus sur le parcours de SahBabii, rappeur d’Atlanta au parcours et à la prose fleuris qui n’hésite pas à abolir les frontières de styles et de langues.

Il est le dernier rappeur à avoir collaboré avec Ateyaba. De son vrai nom Saaheem Valdery, SahBabii est un énergumène différent au point d’être incomparable. Sa musique relève d’une addiction au sexe plus qu’explicite alliée à des univers totalement loufoques. Ainsi, l’artiste s’est fait sa place en Amérique en obtenant un certain respect grâce à ses prises de risques et son originalité. S’immiscer dans l’univers de Sahbabii est aussi une expérience à double tranchant tant le rappeur divise. Au sommet de son art avec son dernier album nommé Barnacles, présentations avec ce nouvel acteur (qui pourrait devenir majeur) du rap géorgien.

Family First

Bien que sa musique ne le reflète en rien, c’est à Chicago, dans les quartiers difficiles du sud que SahBabii naît et grandit jusqu’à ses 13 ans. La criminalité est donc une partie de son enfance, son père étant également membre d’un gang. Il déménage ensuite à Atlanta avec ses parents et son frère, afin de rejoindre une partie de leur famille. Son esprit familial va alors se développer à grande échelle. Il va s’inspirer de son père par son côté business et de son frère pour établir sa créativité. Ainsi les premières influences du jeune SahBabii sont avant tout sa famille, bien avant les Young Thug et Gucci Mane qui marqueront tous les jeunes géorgiens. Il commence ensuite à rapper à l’orée du lycée et se crée son réseau avec des rappeurs comme Money Savage et Polo Boyz. Nous sommes donc en 2012 et SahBabii cherche son identité. Il envoie ainsi ses premières tracks et produit avec son frère T3 une mixtape nommée Pumping ain’t easy. Téléchargé plus de 100 000 fois, ce projet met le rappeur sur le bon chemin et une autre mixtape voit le jour en 2014. Également bien reçu par le public, Glocks & Thots sera pourtant le départ d’une dépression pour le rappeur.

Convaincu d’être incompris par ses pairs, SahBabii se retire pendant plus d’un an. C’est grâce à l’aide de T3, son frère, que l’artiste se relance avec un univers bien en tête. Devenu addict aux drogues, le rappeur commence à travailler sur S.A.N.D.A.S. Il s’enferme donc dans la chambre de son frère et crée avec lui ce qui deviendra son unique Hit : “Pull up with a stick”. Mis en ligne par WorldStarHipHop, ce morceau va faire exploser la carrière du jeune artiste en 2016. Tournant en radios, clubs et autres, SahBabii est exposé à la célébrité en moins de deux semaines. Il est  alors invité par Young Thug à rejoindre le Boy Meet Tour à Londres. Il y rencontre Drake qui l’adoubera. Pour couronner le tout, Warner Bros le signe et le rappeur part pour New York avec sa famille. La suite ? Un excellent S.A.N.D.A.S. sorti en 2016 suivi par Squidastic l’année suivante pour en arriver à Barnacles en 2020.

Métaphores et fascination

Le schéma de carrière de SahBabbii est finalement classique. A l’inverse, sa démarche créative est unique et fascinante. Les thèmes de SahBabii sont clairs : sexe, sexe et encore du sexe. Prenons déjà la signification de S.A.N.D.A.S. qui n’est autre que Suck A N*gga Dick And Something avec sa cover plus qu’explicite. En effet, SahBabii adore jouer avec les mots. Il personnifie ses fantasmes les plus mystiques par des métaphores qui méritent un coup d’œil sur Genius. Les femmes deviennent pour lui des girafes et des éléphants qu’ils s’efforcent de chasser en tant que roi de la jungle. Il s’éprend d’une “Double Dick” pour accomplir sa tâche dans le morceau du même nom et il devient même King Kong munie de sa « banane » sur “Anime World”. Vous l’aurez compris, SahBabii n’est jamais à court de souffle pour parler de sa soif sexuelle. Ce qui est encore plus captivant est ensuite sa façon de clasher ses ennemis.

Bien que SahBabii dispose d’une identité Kawaii très catchy, il reste avant tout un humain qui a connu la violence. Il ne se prive donc pas de terminer ses ennemis avec sa “dick” qui est une métaphore de ses armes comme des AK-47 ou un glock. Il qualifie aussi ses diamants de “racistes” dû à leur couleur blanche et pure, un moyen subtil de faire rire et dénoncer les inégalités présentes partout dans le monde. Son gang est également comparé à des ninjas avec qui SahBabii mange des ramens dans la jungle sur “Anime World”. Bien entendu, le rappeur ne parie pas sur la finesse de sa plume pour conquérir son public. Il joue cependant sur des ad-libs addictifs et est très diversifié dans ses flows. Mais son excentricité le différencie totalement du rap jeu et c’est bien pour cela qu’on l’apprécie.

Au royaume de l’imaginaire

Le monde de SahBabii est unique. On y proscrit les zoo pour une jungle où règne le rappeur en personne accompagnés de ses ambiances “squid”. Ce mot signifiant calamar en français représente pour SahBabii la cool attitude ultime, une sorte de nirvana pour le géorgien. Au-delà de ses textes, le rappeur nous emmène en effet vers des prods magiques, orchestrés principalement par son frère T3. “Purple Ape”, deuxième single de S.A.N.D.A.S, est peut être le meilleur exemple pour expliciter cela.

T3 emmène ainsi l’auditeur dans un état second grâce à un synthé planant et une petite touche de violoncelle. S’ouvrent alors à nous les portes de la fameuse jungle de SahBabii avec des morceaux comme “King of the Jungle” qui reprend des bruits de singes et de faune animale. L’ambiance mise en place dans les projets du rappeur est ainsi tout sauf mélancolique. Chaque productions possède un charme enfantin par des mélodies rappelant fortement les jeux Nintendo. On découvre quelquefois des sons bizarroïdes mais très agréables comme sur « Pregnant” et son chorus incessant ou sur “Purple Umbrella” et sa flûte enchanteresse. T3 va parfois très loin en s’inspirant de sonorités Eurodance comme sur “Double Dick’’.

L’esthétique du rappeur est une autre démonstration d’originalité. Il est vrai que ses tatouages et son allure très “Fashion Week” sont semblables à bons nombres de rappeurs. SahBabii pousse néanmoins ce style à son paroxysme. Il exploite l’atmosphère coloré d’Atlanta sur ses pochettes qui rappellent une certaine époque Pen & Pixel. Ses clips sont aussi un joyeux bordel à l’image de “Purple Ape”, où rastas et filles dévêtues se côtoient pour partager de la weed fluorescente. SahBabii prend en quelque sorte les codes de Young Thug par son ouverture d’esprit. Cependant il les bonifie avec sa pâte et rend le tout plus joyeux, voire humoristique. L’homme est aussi ouvert au monde en ayant collaboré avec le britannique AJ Tracey et notre frenchie Ateyaba récemment. Un exemple à suivre pour certains rappeurs américains qui expriment un certain irrespect à l’égard du rap Européen.

SahBabii apporte, à sa façon, un vent de fraicheur à l’école d’Atlanta. Ses flows et sa voix atypique apportent une nouvelle couleur depuis quelques années pour notre plus grand bonheur. Planante et particulière, la musique du rappeur est aussi ouverte au grand public. Un air de renouveau souffle sur la Géorgie.