Nitsh, le rap comme thérapie

Nitsh, le rap comme thérapie

Nitsh est beatmaker depuis 2002, il produit avec Matthew Shimamoto avec qui il forme le duo MKSB (Le monde ou rien, J’suis PNL, J’suis QLF…). En 2020, il se lance en tant que rappeur et propose une musique qui se veut complète. Autour du personnage Nitsh, se développe un univers artistique sombre, poétique et complet. Entre le besoin de développer des concepts forts et la difficulté du public à y accéder, Nitsh nous dévoile les origines de son rap et sa volonté de simplifier son travail.

Ta carrière de rappeur débute avec un court-métrage musical qui présente ton premier EP… 

Exactement, un premier EP qui s’appelle Surface

Quel était ton objectif avec ce concept-là ? 

Quand j’ai créé ce projet, je me suis isolé aux US. J’avais des trucs cool qui se passaient niveau beatmaking mais j’avais envie de rapper. J’avais ce besoin-là de raconter mon histoire et d’interpréter. Sur place, dans le cadre de mes activités de beatmaker, j’ai rencontré un gars qui s’appelle DJ Youcef et qui m’a avoué avoir envie de se remettre dans la production d’artistes. Comme je commençais à rapper, je lui ai envoyé quelques sons. Et en faisant cet exercice-là – d’envoyer des sons à quelqu’un – je me suis rendu compte que je voulais creuser un peu plus et me créer une identité artistique. Ce qui en est sorti, c’est : sombre et poétique. Ce sont les domaines où j’excelle : faire de la poésie avec mes côtés obscurs. 

Aussi, tout ça s’est passé dans une période où j’avais des défis introspectifs. C’était donc, également pour moi, quelque chose de très thérapeutique. J’avais cette volonté de ne pas faire quelque chose de classique avec juste la sortie d’un EP sur les plateformes. Puis, c’est ma nature : je cherche sans cesse à approfondir les sujets, je n’arrive pas à faire des choses simples ! Il faut savoir que la première version du court-métrage était très différente de ce qu’on a fait au final. Au début, c’était des images où il y avait mon visage et, en fait, ça manquait de profondeur à mon sens. Du fait que je racontais une espèce d’ascension des profondeurs vers la surface, mon visage n’était pas assez universel selon moi. Du coup, en rentrant en France, je me suis rendu compte qu’il fallait que je crée une identité qui n’existe pas pour que ça m’aide dans mon introspection aussi. 

C’est donc d’une période compliquée, que t’es venu l’envie de rapper avec la vision du rap comme thérapie ? 

Oui ! Mais j’ai réalisé tout récemment que j’ai, en fait, toujours voulu être rappeur ! Depuis que je fais des instrus, c’est ce que je souhaite faire. Mais, je me l’avoue qu’aujourd’hui clairement et publiquement. Maintenant j’assume ! Avant je me cachais derrière mille et un personnage tel que Nitsh. Je me suis aussi souvent caché derrière le beatmaking qui est un domaine dans lequel j’ai une expertise. C’était quelque chose de rassurant de me dire que je suis fort dedans, sinon je remets tout en question. Mais le rap, ce n’est pas comme le beatmaking, je suis encore dans la recherche, j’ai besoin d’avis… etc. Sur Nitsh maintenant, je suis à une étape où je peux tout simplifier, après avoir tout disséqué. 

Et tu me parlais de thérapie, ma musique me sert encore de thérapie. Encore la semaine dernière, j’ai eu un gros coup de down que j’ai raconté sur un morceau. C’est ma zone, mais dans ce que je veux proposer au public, ça ne m’intéresse plus d’être dans cette posture ! Tout le monde a déjà vécu une épreuve difficile et s’en est relevé, je n’ai pas envie de l’utiliser pour ma musique. 

Ton nom, Nitsh, fait référence au philosophe ? 

Oui ! 

Tu as cette volonté de transmettre sa philosophie à travers ta musique ? 

Ça ne s’est pas passé comme ça. Quand j’étais à New-York et que j’ai commencé à rapper, j’ai aussi fait une recherche introspective et philosophique. J’ai forgé mes propres convictions, et une fois que j’ai commencé à avoir ma propre sensibilité philosophique, j’ai voulu voir qui avait les mêmes pensées que moi. En me documentant, j’ai vu que Schopenhauer et Nietzsche avaient les mêmes pensées. Et j’ai pris une espèce de petite claque parce que je me suis dit que… Surtout Nietzsche, il avait envie de dévorer le monde ! Il était censé être pasteur toute sa vie, toute sa famille le prédestinait à être ça et il a dit : “non je ne crois pas en Dieu”.

Mais je ne m’appelais pas Nitsh à ce moment-là, j’avais un pseudo avec mon prénom Mehdi, ce n’est qu’après qu’on m’a dit qu’il fallait que je change mon pseudo. Quelqu’un m’a dit “Mehdi c’est limitant, pour les blancs tu vas te limiter”. Et je regrette car c’est tout l’enjeu de ma vie, je m’appelle Mehdi, j’en suis fier et ce n’est pour ça que tu vas me mettre dans ta case de ce à quoi représente un Mehdi pour toi. Mais à ce moment-là, on m’a demandé qui m’inspirait pour emprunter le nom, j’ai pensé à Nitch et comme ce nom était déjà utilisé par un artiste j’ai mis un “s”. Et voilà, ça s’est passé en deux minutes dans une voiture ! 

Tu disais tout à l’heure que tu n’arrivais pas à faire simple, et quand on revient sur ce que tu as pu produire, tout est très complet aussi bien sur la manière, la forme, la direction artistique… Tu as cette volonté d’aller toujours jusqu’au bout des choses et de livrer une musique très complète ? 

Clairement ! Et c’est un problème ! Parce qu’aujourd’hui, j’essaye de recentrer le truc sur la musique. Depuis que j’ai partagé Nu, où je me suis dévoilé physiquement, je me suis dit que maintenant il fallait arrêter de se cacher. Ça ne me correspond plus d’incarner un personnage. Et maintenant, je sais que la moindre chose que je partage m’engage personnellement, je ne suis plus dans un concept donc je ne veux plus être dans l’expérimentation. J’ai envie de frapper juste systématiquement, j’aspire à plus d’excellence et surtout, j’ai envie de faire, à nouveau, confiance aux autres. D’où, Léandre qui gère la direction artistique. 

 

Léandre Kurtzemann nous parle de Nitsh 

Le point fort de Nitsh, c’est de faire des projets concepts avec des tenants et aboutissants, tout se tient, il y a une histoire. Et en même temps, c’est un désavantage parce que pour rentrer dedans, c’est compliqué ! Personnellement quand j’ai découvert “Surface”, je me suis dit “ouah c’est chanmé, on a grave une vision commune autour de l’artiste total, le mec fait tout tout seul”, ça me parlait de ouf. Mais en même temps pour rentrer dedans il faut déjà 10-15 minutes pour regarder la vidéo en entièreté, il faut assimiler le personnage… Donc il a un univers hyper riche et en même temps c’est un peu trop riche pour être facilement accessible.  Du coup, la simplification est un travail que Nitsh a commencé à faire dans sa musique. Déjà sur Nu, il y a moins d’effet sur les voix, les instrus sont déjà plus épurées, et c’est aussi ce qu’on fait sur la partie visuel, on commence également à le faire sur le stylisme. On essaye d’être plus accessible à tous les niveaux. Pas accessible dans le sens commercial ou populaire mais plus au niveau des artifices qu’on enlève pour toucher plus facilement et être plus juste.

 

On voit clairement que sur Nu un travail a été fait, c’est beaucoup plus intime, on est plus proche de toi ! 

Au niveau de la musique, c’est l’EP préféré de Léandre ! Quand je lui ai envoyé, il m’a dit que j’avais mis tous ses sons préférés dans le même projet ! Je me suis dit que j’avais fait un truc plus accessible. Je me rappelle des deux morceaux au cœur du projet qui m’ont fait avoir un déclic artistiquement. C’est le grain de voix, l’interprétation… Je ne sais pas ce qui s’est passé ! En une nuit ça s’est passé et depuis c’est assez fluide. 

Dans “Être moi”, tu dis “personne ne comprend mes chansons, normal je suis trop compliqué”, ça fait écho à tout ce qu’on vient de se dire…

Exactement, et ça fait partie des deux chansons dont je te parlais qui m’ont donné le déclic ! J’ai du mal à dire des phrases simples comme ça. C’est peut-être même cette phrase-là qui m’a fait le déclic ! 

Et au niveau du public, ce n’est pas compliqué pour la réception de tes projets ? 

C’est extrêmement compliqué ! C’est justement là l’enjeu ! J’ai perdu et regagné mille genres de public, même mes algorithmes YouTube et Instagram ne comprennent rien [Rire]. C’est terriblement compliqué et je crois que c’était volontaire de me saboter avant que d’autres le fasse. En vérité, je crois que je n’avais pas envie que ça marche parce que je le faisais pour moi. J’avais trop peur que ça marche ! Et aujourd’hui, c’est l’inverse : je veux que ça marche et je veux satisfaire un public. 

Sur l’outro de ton projet, tu interroges l’avenir de Nitsh, est-ce qu’on peut justement parler de ton avenir ? Quelle est la suite ? 

Clairement, je me suis demandé si je n’avais pas fait ce que j’avais à faire avec Nitsh et qu’il fallait arrêter. Mais je me suis demandé ce que je suis et en fait je suis rappeur et beatmaker. Et j’ai eu du mal à assumer le terme de “rappeur” pour tout ce qui va avec. Je ne suis pas un mec de la rue, j’ai fait du trafic de drogue une fois, mon père m’a choppé et m’a défoncé et ma carrière de dealer s’est arrêtée [Rire]. Et aujourd’hui, j’ai envie de me réapproprier pleins de choses auxquelles je ne voulais pas spécialement m’associer au paravent. Par exemple, on est en train de travailler sur un clip où je vais me rhabiller en streetwear des années 2000. L’idée est de me réapproprier ce que je n’avais pas envie d’être avant avec le terme “rappeur”. Et aussi, j’ai trop envie de faire de la scène !

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Merci à Mehdi et Léandre pour leur temps et cette discussion.