Masego : « J’étudie absolument tout le monde »

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Masego : « J’étudie absolument tout le monde »

Masego, musicien virtuose, enfant du monde et séducteur aguerri. Une voix de velours combinée à un toucher délicat, qu’il emploie à faire fondre les oreilles et les cœurs. Saxophone sous le bras et regard rivé sur Internet, Micah Davis a conquis le monde en 2017. Lui qui ne lit pas la musique la ressent comme personne, et diffuse depuis trois ans un son mâtiné de jazz et de gospel, qui rencontre avec subtilité le hip-hop, l’électronique et le Future Beat.

Sa TrapHouse Jazz, comme il la nomme, a pris comme une traînée de poudre et le porte aujourd’hui sur les scènes du monde entier. Quoi de plus naturel, pour ce grand curieux féru de voyages ? Né en Jamaïque et élevé dans l’état de Virginie, Masego découvre la musique à l’église, sur la route et grâce à YouTube. Il y développe une culture musicale vaste, et tourne rapidement les codes du web 2.0 à son avantage. À partir de 2015, son style hybride envahit définitivement SoundCloud.

Lors de son passage à Paris, nous avons rencontré cet artiste hors normes, pour évoquer ses racines, son style à part, ses collabs avec GoldLink ou DJ Jazzy Jef et même le rap français. Des piliers comme Oxmo et 20syl à la scène actuelle comme JuL et Bon Gamin, il connaît le genre sur le bout des doigts. Le sourire aux lèvres et quelques pièces de textile fraîchement achetées sur le dos, il nous reçoit avec facilité. Quelques blagues en guise d’intro, et nous voilà lancés.

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Masego, comment as-tu inventé le TrapHouse Jazz, ce style de musique à la croisée entre jazz, hip-hop et électronique ?

Longtemps, j’ai organisé des bœufs à la maison, avec tous les musiciens de mon entourage. N’importe qui, pourvu qu’il ou elle joue d’un instrument. J’ai toujours voyagé, ce qui m’a fait connaître des styles comme le rap français ou sud-africain. Beaucoup de musique que mes amis de Virginie ne connaissaient pas. Lorsque je rentrais, je passais ces disques, et on jouait par-dessus.

Chaque fois, mes amis me demandaient : « Quel est ce genre de musique, sur lequel on joue ? » À l’étranger, la batterie est plus forte qu’aux États-Unis, donc je l’identifie comme un élément Trap. La House décrit la rythmique très dansante, et le jazz m’évoque n’importe quelle musique à base de saxophone. Alors notre bœuf est devenu un groupe et un genre, la TrapHouse Jazz.

Tu es multi-instrumentiste. Pourquoi le saxophone est-il si important à tes yeux ?

Parce que les femmes l’apprécient davantage, j’imagine !

Davantage que le piano ?

Le piano fonctionne, mais le saxophone les charme encore plus ! Elles restent sans voix.

« Plutôt qu’espérer que ma ville corresponde à une utopie, j’apprécie l’héritage de nos musiciens. »

Merci pour l’astuce ! Revenons sur tes origines virginiennes. À quoi ressemble la scène musicale en Virginie ?

À rien du tout ! C’est un panier de crabes. Dès qu’un musicien tente de fuir, quelqu’un l’en empêche, et les mécanismes de soutien à la musique fonctionnent très mal. Afin de soutenir mes amis, je les emmène en tournée, pour qu’ils se fassent de l’expérience sur scène, face à un public. Notre région est particulière. Je n’ai encore jamais rencontré Pharrell, alors qu’il vient de Virginie. D’ailleurs, pour être honnête, j’adorerais collaborer avec lui. Plutôt qu’espérer que ma ville (Newport News en Virginie, ndlr) corresponde à une sorte d’utopie, j’apprécie l’héritage de nos musiciens.

Alors, où as-tu appris la musique ?

À l’église et sur YouTube. J’ai regardé beaucoup de vidéos. À l’église, j’observais les musiciens et je les imitais. Dans le sud des États-Unis, presque tout le monde joue dans l’orchestre de son église. À force d’en jouer, tu finis par devenir doué avec ton instrument. Lorsque tu voyages, tu rencontres différents musiciens. Connaître les instruments, qui les fabrique, qui les utilise, ce savoir très intello te donne une base commune. De retour à la maison, j’organisais ces fameux jams. J’ai appris comme ça.

Ta famille a-t-elle facilité cet apprentissage ?

Ma mère est une chanteuse et un auteure-compositrice incroyable. Mon père ne sait pas chanter, il n’a pas l’oreille musicale. En revanche, il a un cœur immense, et il connait bien l’industrie du disque.

Finalement, ma mère a toujours eu ce côté arty, elle savait quoi dire, quels vêtements porter, comment se comporter. Mon père, quant à lui, me disait comment éviter de perdre de l’argent et me retrouver à la rue. Un bon équilibre, en somme.

Après avoir étudié mon arbre généalogique, j’ai découvert être un quart sud-africain, un quart jamaïcain (la Jamaïque est une colonie britannique, avec tout ce que ça signifie musicalement), un quart ghanéen et un quart afro-américain. Enfin, mon père est militaire, c’est pourquoi j’ai voyagé toute ma vie.

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Quel est ton meilleur conseil pour un musicien en devenir ?

Commencer ! Tout le monde passe bien trop de temps à se préparer. S’y mettre, se jeter à l’eau, c’est la meilleure chose à faire.

À propos d’Internet. Comment YouTube, SoundCloud et le web 2.0 ont-ils contribué à ton développement ?

Il s’agit d’abord d’une communauté où je me sens bien. Trouver un métier comme musicien dans ma ville était impossible, vu mon style. Quand j’ai découvert SoundCloud, l’éclectisme de la musique Future, YouTube ou encore les loops de Bernhoft, je me suis senti à ma place, et partager ma musique est devenu facile. Personne ne connaissait Bernhoft aux Etats-Unis.

J’ai admiré, puis étudié tous ces musiciens sur YouTube. Ces plateformes sont remplies de talents frivoles, qui créent une émulation stimulante. Les côtoyer, même en ligne, m’a donné envie d’être à leur niveau. Quand tu vois un gamin de douze ans jouer du piano à merveille, ça te pousse à t’améliorer.

« Tant qu’on s’efforce d’être soi-même, il existe des gens pour l’apprécier. »

Qu’as-tu répondu aux musiciens de jazz traditionnels qui critiquaient ta musique à tes débuts ?

Rien, je les ai ignorés. À chacun son moment. Difficile d’imposer à quelqu’un de cinquante ans d’apprécier mon oeuvre. Tant mieux si c’est le cas. En revanche, mon public est ailleurs. À l’origine, jouer du saxo sur des instrus hip-hop leur semblait étrange. Même avec tout le respect que j’ai pour eux, ça me plaisait. Alors j’ai continué.

Il y a tout juste dix minutes, Terrace Martin (musicien de jazz proche de Robert Glasper et producteur sur To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar, ndlr) m’a dit qu’il adorait ma musique. Tout comme lui, j’adore ce qu’il fait, donc ça veut dire beaucoup. Tant qu’on s’efforce à être soi-même, il existe des gens pour l’apprécier. Même si c’est intimidant, plus on passe de temps avec soi-même, plus on devient unique. Trop regarder autrui, c’est risquer de devenir son miroir.

De ce point de vue, Internet est un cadeau empoisonné.

Absolument, car tu peux tout y voir. Et parfois, il vaut mieux ne pas tout voir.

En parlant de nouvelles technologies, tu as lancé Network, une appli pour organiser ton carnet d’adresse ?

Ah oui, j’aime les nouvelles technologies ! Le but premier de cette appli était de créer une communauté. Trouver d’autres gens qui pensaient de la même façon que moi, et les réunir. Désormais, cette app s’appelle Keep In Touch. Elle n’est plus disponible sur l’App Store, mais on l’utilise toujours.

Grâce à cette app, je peux savoir où sont les artistes et les musiciens que j’ai croisés, dans treize pays différents. Une telle communauté m’est indispensable. C’est presque comme participer à un workshop, où chacun cherche à booster ses compétences. J’ai les contacts d’environ cent soixante quinze musiciens : pianistes, harpistes, tous types d’instruments !

J’imagine que le français FKJ, avec qui tu as enregistré aux Red Bull Studios à Paris, fait partie de ce réseau.

Lui, c’est un ami, je peux l’appeler directement ! Il est très talentueux et ses dreads sont hyper cools. C’est drôle, « Tadow » est le premier d’une série de onze titres, composés à partir de rien. La magie a opéré dès le début.

Que penses-tu de l’initiative de marques comme Red Bull, qui communiquent en embrassant notre culture ?

C’est une excellente chose. Donner carte blanche à un artiste est la clé. Lui donner un budget et des ressources pour réaliser un projet, c’est lui procurer quelque chose qu’il n’a pas forcément. Quand une marque fait ça, il y a tout à parier que le contenu qui en découle va être de qualité. Et Red Bull le fait dans un tas de pays différents !

Peux-tu nous raconter l’histoire de ton Pink Polo EP, sorti avec Medasin en 2015. C’est une référence à Kanye, exact ?

J’ai vu une interview de Kanye West dans le Breakfast Club sur Power 105.1, où il explique le sens qu’il donne à son célèbre polo. Le polo rose représente les gens qui avaient peur du changement dans le hip-hop à l’époque, et le milieu de la mode qui bridait parfois sa créativité. Lorsque je mélangeais saxophone et hip-hop, j’ai ressenti la même chose. Tout le monde me disait de la fermer, et de retourner jouer dans un club de jazz. J’ai voulu lui rendre hommage avec cet EP, car ce fameux polo rose m’a beaucoup inspiré.


Et à propos de ton lien avec Soulection ?

Leur collectif s’applique à braquer les projecteurs sur des artistes différents. La première fois que j’ai rencontré Evil Needle (membre français de Soulection, qui jouera le 8 décembre au Petit Bain pour notre première soirée LIQUIDZndlr), c’était en Afrique du Sud. Soulection m’a permis de rencontrer de très bons artistes là-bas. J’écoute régulièrement leur webradio et j’y fais de belles découvertes.

« GoldLink et moi sommes comme deux vieillards qui se comprennent »

Tu as également collaboré avec ton confrère virginien GoldLink.

Mon vieux frère ! GoldLink et moi sommes comme deux vieillards qui se comprennent. Quand on est ensemble, c’est très drôle. Chacun de nous deux voyage, a des tonnes de choses à raconter, des histoires avec les filles… Alors on s’en parle, et on fait de la musique ensemble de manière si naturelle ! C’est l’un de mes meilleurs amis.

Lorsqu’on l’a interviewé, il nous a parlé de toi.

Oh, qu’a-t-il dit ? Je lui écris direct s’il faut !

Que du bien, tu t’en doutes… Pour revenir à ta discographie, peux-tu nous parler du LP Loose Thoughts ?

Honnêtement, c’est juste une mixtape. À la base, j’avais pour projet de faire un album, et mon ordinateur a planté, alors j’ai perdu tous les morceaux. Tout ce qu’il me restait, c’était ces démos, et je me demandais ce que j’allais bien pouvoir en faire. Mon équipe m’a conseillé de les sortir pour mon anniversaire. Tous ces titres inachevés ont finalement vu le jour sous cette forme.

Ils ont effectivement l’air inachevés, sans mixage ni master, comme des projets récents de Kanye West ou Kendrick Lamar. Ce projet sonne également comme un jam sur disque.

Oui, ça fonctionne tel quel, et c’est exactement ça : un jam dans ma chambre. Je n’ai fait qu’appuyer sur enregistrer.

Un des titres de Loose Thoughts s’intitule « Wifeable ». Quelle est ta définition d’une fille « wifeable » ?

À mon goût, la fille bonne à marier a le sens du rythme, une jolie paire de fesses et surtout confiance en elle. Elle doit avoir de belles dents, car je la ferai rire. Donc si ses dents sont de travers, ça pose un problème ! Et bien sûr, une forme d’intelligence. Si elle a quitté la fac, pas de problème, tant qu’elle est débrouillarde.

Dans cette chanson, tu reprends les gimmicks de Cab Calloway. À quel point ce grand monsieur t’a-t-il influencé ?

Quand j’avais seize ans, j’ai regardé un documentaire sur les années trente, dans lequel il chante au Cotton Club, le fameux cabaret new-yorkais. En voyant un tel débordement d’énergie, je me suis demandé : « Qui est ce gars ? »

Les cheveux crépus, une écharpe parisienne, un pantalon allemand, des chaussures américaines. Son style était tellement exotique que j’ai cru qu’il était mon père ! J’ai beaucoup écouté sa musique, si bien que le « Hi Di Ho » est sorti très naturellement.

Récemment, tu as collaboré avec DJ Jazzy Jef. Comment ça s’est passé ?

En tant que DJ, il est toujours à la recherche de nouvelle musique, et il est tombé sur « Girls That Dance » (titre phare du Pink Polo EP, ndlr), qu’il a joué à Berlin et Paris. Ensuite, il m’a invité chez lui, à Philadelphie. J’ai pris ma voiture, et je suis resté là-bas deux semaines entières.

Will Smith, Jill Scott et Musiq Soulchild sont passés. J’ai vu toutes ces légendes faire des choses très triviales, comme manger un sandwich, et j’étais là : « Cheech! » Difficile de m’en remettre, je n’ai toujours pas réussi à me laver les mains depuis que j’ai serré celle de Will Smith !

« J’écoute et j’étudie absolument tout le monde. »

Qui d’autre t’a conseillé dans ta carrière artistique ?

J’écoute et j’étudie absolument tout le monde, à commencer par mes oncles, qui m’ont donné beaucoup de conseils. Sounwave, le producteur de Kendrick Lamar, m’a également beaucoup appris. J’ai vécu avec lui deux mois durants. Il m’a enseigné énormément de choses sur la musique et le business.

Chaque mercredi, je jouais du saxophone et je le dédiais aléatoirement à une fille sur Instagram. Une de ces filles s’est avérée être la petite amie de Sounwave. Quand il a vu ça, il a demandé (avec une grosse voix) : « Qui est ce type ? ». Ensuite, il m’a appelé et m’a dit : « Tu as dédié une chanson à ma copine ? » J’ai dit (d’une voix enfantine) : « Non m’sieur, je ne l’ai pas fait exprès ».

Finalement, il m’a invité, j’ai pris un avion pour Los Angeles et nous avons fait de la musique ensemble. Il m’a tellement appris, c’est un excellent mentor, calme et patient. Pourtant, il aurait pu me frapper !

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Qu’est-ce qu’on peut attendre de ton premier album ?

Beaucoup de soul, c’est certain. Il y a de nouvelles combinaisons de soul, de trap et d’électronique à trouver. Car tous ces styles me sont chers. Sans vouloir être trop arty dans ma réponse, je cherche avant tout l’émotion.

Tu es toujours indépendant. Est-ce que signer avec un label d’intéresse ?

Seulement s’ils me paient une somme indécente ! Deux cent milliards, je prends. Passez le mot ! Qu’on s’entende, je ne dis pas que les labels sont le mal. Il s’agit juste de se connaître. Certains artistes ont besoin de personnes qui écrivent leurs chansons, ou qui composent leurs instrus. Il n’y a pas de mal à ça, c’est cool. Personnellement, je n’en ai pas besoin.

Des Français t’ont reproché d’avoir aimé un titre de Jul sur Twitter récemment. Navrés.

Oui, je sais que certaines paroles sont idiotes, mais bon tout de même… Tu connais « Le Code », la chanson de Myth Syzer (avec Bonnie Banane, Ichon et Muddy Monk, ndlr) ? J’ai également beaucoup aimé, le morceau parle d’une aventure amoureuse.

Hier, j’ai découvert Oxmo Puccino, c’est excellent ! Et j’écoute 20syl depuis trois ans. J’adore sa musique, le projet AllttA est fou ! Il fait un très bon usage des instruments live.

Écoute, on te le présente et demain il est dans ton appli !

Photos : Antonin Wolvs