luXe : « La force de notre culture, c’est le style ! »

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luXe : « La force de notre culture, c’est le style ! »

On a rencontré luXe, l’un des activistes français les plus importants du hip-hop, et pourtant encore trop méconnu.

Avide de connaissance et doté d’une curiosité infaillible, les casquettes de luXe sont nombreuses, si bien qu’il est parfois difficile de toutes les citer, tant cet artiste a su au fil des années embrasser différents piliers du hip-hop tout en respectant les anciens et la philosophie inhérente au mouvement. A l’aube de nouveaux projets prêts à voir le jour, il nous semblait donc important d’échanger avec ce b-boy militant, de comprendre les origines familiales qui l’ont forgé et d’analyser son parcours initiatique au travers de disciplines comme le graff, la danse et le rap.

BACKPACKERZ : Tu es issu d’une famille iranienne ayant fui le régime en place. En quelle année ta famille arrive-t-elle en France? 

luXe: Un peu avant ma naissance, donc au milieu des années 1980. Ils fuyaient le régime des Mollahs et une antenne de résistance était installée dans le 95. Jusqu’à mes 25 ans, j’ai donc vu mes parents incarner la résistance à ce régime. Une résistance inspirée par la dialectique communiste mais n’embrassant pas pour autant tous ses idéaux. J’ai donc grandi avec cette atmosphère, les vidéos de propagande, avec l’imagerie des femmes fortes, voilées sur des tanks; d’ailleurs la résistance iranienne est présidée par une femme, Maryam Radjavi

Tu dis dans un de tes textes que ta mère t’a recommandé de lire les trois livres saints (Torah, Bible et Coran) dans l’ordre. Tu as suivi cette recommandation ?

J’ai grandi sans foi avec des parents musulmans. Ma mère m’a un jour rappelé que j’étais issu d’une famille qui avait beaucoup souffert et que le mieux pour moi était de lire ces livres pour prendre conscience que les choses se passent dans l’univers selon un ordre. J’ai lu ces livres vers 8-9 ans, par curiosité d’abord, puis j’ai vite été fasciné par le verbe, la beauté de l’écriture. Mais ma foi n’est arrivée que vers mes 16 ans.

Tu es tombé très tôt dans le hip hop au travers du graffiti dès tes 10 ans. Qu’est-ce qui capte à ce moment-là ton attention ? 

Les tags et les pièces. Le wildstyle (forme complexe de graffiti destiné aux initiés), les bubbles (genre de graffiti), le fait d’être dehors et les trajets entre le 93 et le 95. Le chemin entre les endroits où j’allais et les gares, c’était des points stratégiques pour être vu. 

Quel est ton meilleur souvenir de cette période ?

C’est une défaite paradoxalement. C’était dans mes premières années de collège, avec un pote, pendant une pause déjeuner. J’ai posé un truc sous un pont dont j’étais trop content mais j’étais genre à 10% de le finir. On est retourné en cours en se disant qu’on terminerait après les deux heures qu’il nous restait. Mais lorsqu’on revient sur place, je réalise que j’avais été repassé dans l’intervalle par un mec très fort que je n’ai même pas eu l’occasion de recroiser par la suite. J’étais vraiment dans un film hip hop ! J’ai du arrêter pendant neuf ans puis je m’y suis remis sur un coup de tête à New York, et j’ai réalisé à ce moment-là que j’avais grave évolué. 

Je voulais autre chose, je visais plus grand.

Tu as ensuite eu la danse à 14 ans. Qu’est ce qui t’a poussé à te mettre au break ?

La musique. Un grand du nom de Nordine du 9-5 avec une coupe afro m’a fait comprendre, aimer et sentir la musique. Ce fut le premier, après il y a eu d’autres rencontres qui m’ont influencé, mais lui, c’est le premier. 

Quel était ton personnage à toi ?

Moi, c’était avant tout la musique. Je suis un b-boy agressif et funky, mais surtout je laisse la musique me guider.

La danse devient alors le centre de ta vie. Qu’est-ce que vous recherchiez dans ce type d’événements ? La victoire ? La démonstration ?

Lorsque la musique est là, grandiose, poussée sur des grosses enceintes, dans une grande salle avec un max de personnes qui te regardent… Tu te retrouves au centre de tout ça et tous ces éléments se mettent à vibrer ensemble, avec tous tes gars derrière toi… A ce moment-là, toutes tes sensations sont décuplées. 

Tu te souviens de ton premier battle ?

C’était dans une boîte dans le 95 avec Bessy Bess, le gars avec qui je m’apprête à sortir notre projet 95 Zoo

Tu ne sembles pas pour autant tenir sur place et un peu avant 20 ans, tu décides d’aller à NYC. Qu’est-ce qui motive alors ce choix ?

C’était la France et ses aléas… Je ne voyais pas à ce moment-là ce que je pouvais tirer comme bénéfice d’être français en France, avec la tension sociale etc. Tout ça ne me correspondait plus. Je voulais autre chose, je visais plus grand. 

Comment se passent les premiers jours sur place ? Tu as des contacts déjà qui t’aident ?

Oui, j’avais des gens importants pour moi qui m’ont dit de venir et ont voulu m’aider sur place à New York. Ils m’ont vendu le rêve américain.

Sur place, tu reprends vite le break ? De quoi vis-tu alors ? 

Oui je break dans la rue puis deux mois après je commence à donner des cours de français à des personnes âgées, je demande cher et ça marche. Plus tard, j’ai lancé un biz’ de traduction. Je me suis fait alors un réseau d’amis énorme dans le domaine artistique et juridique. J’ai travaillé avec les agences de mannequins Ford Models et Elite Models, c’était une bénédiction !

Tu intègres ensuite un gang nommé les « Zulu Kings ». Peux-tu expliquer aux profanes que nous sommes quel est le principe de ce gang et ses valeurs ?

C’est plus compliqué que ça, c’est plus qu’un gang. Zulu Kings, c’est le premier crew hip hop qui date de 1973. C’est la première équipe à se donner un nom. Les cinq premiers Zulu Kings, qui étaient membres d’un gang appelé « Black Spades », accompagnés d’Afrika Bambaataa, ont arrêté la guerre des gangs à l’époque. Ces cinq personnes étaient des breakeurs. En l’espace de deux mois, il y eu les “first eleven”, la première génération. J’ai eu l’immense honneur d’avoir reçu l’enseignement de ces personnes. J’ai rencontré à l’époque dans un événement de danse à Rotterdam, notre président actuel, Alien Ness qui vient du Bronx. Entre le moment où il m’a repéré et mon intégration dans les Zulu Kings, il s’est écoulé 7 ans, c’est un process’ long qui peut durer plus d’une décennie.

© JuPi

Tu vas même jusqu’à danser devant Afrika Bambaataa. As-tu déjà eu l’occasion d’échanger avec lui ? 

En 2012, à l’occasion d’un événement Red Bull Academy à Soho, c’était hype. Afrika Bambaataa a fait un set d’1H45 et il nous a proposé avec mon gars Born, un coréen membre des Zulu Kings aussi, de chorégraphier son set. Tout ça devant 700 personnes, et tu réalises alors que tu es en train de danser devant Afrika Bambaataa, un type qui a fait des sons avec James Brown

Depuis le début de nos échanges, les notions de “savoir”, “partage” ou encore “éducation” reviennent fréquemment. Comment perçois-tu la nouvelle génération de rappeurs, souvent décrite comme moins portée sur l’éducation ?

C’est une question qui fait mal d’un point de vue émotionnel. Après si on pousse la réflexion un peu, on peut se dire qu’il y a toujours eu des mecs claqués et que c’est dans la nature humaine bien avant même toute notion de divertissement ou autre. Je ne sais pas si tu es familier avec la doctrine de la Nation of Islam : 85% des gens ne savent pas, 10% savent mais l’utilisent à des fin mauvaises et seulement 5% savent et essaient d’avancer vers la lumière. Ce sont des thèmes que j’essaie d’amener au travers de ma musique. Donc pour résumer, il y a toujours eu du mauvais et toujours eu du bon, il faut savoir chercher les bonnes choses là où elles sont. Grâce à Dieu et à un groupe d’âmes bienveillantes qui apprécient ma musique, je peux aujourd’hui en vivre modestement.

La violence aux USA est-elle différente de celle que l’on connaît en France ? 

Oui. Mais c’est différent de ce qu’on imagine vu de France. Je ne trouve pas ça forcément plus violent mais si on s’y met et qu’on commence à passer en revue tout ce qu’il m’est arrivé, en effet c’est plus dangereux sur le papier. Pour te donner un exemple, je n’ai jamais eu dans mon champ visuel une arme à feu en action en France, alors qu’aux US oui. Je me suis fait braquer par des flics à Las Vegas, avec un ami proche dont je tairai le nom pour des raisons professionnelles, il se reconnaîtra (rires).

Ils ont besoin de nous, la jeunesse française basanée.

En 2014, tu remportes la compétition Juste Debout à New York. Peux-tu nous en parler?

C’était marrant car à la base je ne comptais pas m’y inscrire, il neigeait dehors, et au final je m’inscris par curiosité. Je finis par m’endormir sur un canapé et en me réveillant je réalise que l’événement est blindé, des crews sont venus de la West Coast juste pour l’occasion, je revois des gars que je n’avais pas vu depuis longtemps et à ce moment-là je me suis dit qu’il fallait que je gagne. Et c’est ce qu’il s’est passé, même si je ne me suis pas trouvé fort et que je n’ai pas aimé ma prestation. Le seul round dont je suis vraiment fier, c’était le tout premier round, et je n’ai pas la vidéo malheureusement. J’ai gagné non pas parce que je maîtrisais ma performance ce jour-là, mais parce que je maîtrise très bien l’exercice-même du battle et les réflexes qui y sont associés, donc j’ai utilisé ça pour cette victoire en particulier.

Le break fait son entrée aux JO en 2024. Vas-tu t’impliquer dans l’organisation ?

M’impliquer c’est un grand mot. Mais chacun apporte sa pierre à l’édifice et j’en fais parti. Pour l’instant, c’est assez désorganisé et nous réglons des problèmes avec la Fédération de danse qui dépend du Ministère des Sports, qui essaie de récupérer le truc à son compte. Le Ministère de la Culture devrait s’impliquer, et je travaille avec une organisation qui a été reçue à l’Assemblée Nationale, dans le cadre d’un projet social. Les JO c’est très bien, mais il est temps qu’on s’occupe de nos b-boys et de nos b-girls qui galèrent et, plus globalement, il est temps que soient organisées des retombées concrètes pour les jeunes artistes défavorisés, et les jeunes du hood. C’est plus sur ces points qu’on travaille et qu’on s’implique déjà aujourd’hui. Avec l’organisation ON2H, qui compte des jeunes et des OG’s et des gens de ma génération (la middle school). Donc la route est encore longue mais nous essayons d’œuvrer pour que les choses aillent dans le bon sens. Ayant déjà nos propres carrières à développer, c’est un exercice difficile de jongler avec tout ça, mais c’est nécessaire.

Est-ce qu’on te verra lors des JO autour de l’équipe de France par exemple ?

Non je ne coacherai pas l’équipe de France parce que ce sont des décisions qui sont prises avec des intérêts qui ne sont pas alignés avec les miens. Mais rien de surprenant, nous n’avons pas cru une seconde que les JO n’allaient pas être politiques. Néanmoins, ils ont besoin de nous, la jeunesse française basanée. Je fais déjà entendre ma voix pour notre culture et c’est déjà pas mal. Certains des nombreux référents pour les JO sont des proches avec qui je travaille intimement, on prépare même des disques.

C’est seulement 4 ans après t’être installé à New York que tu commences à rapper… 

J’ai toujours eu le rap en moi au même titre que les autres disciplines. Je connaissais très tôt de nombreux couplets sans avoir les connaissances techniques. Dans le contexte de la culture entière, j’étais plongé dedans.

Qu’est-ce qui te pousse à te lancer dans le rap ? Trop de trucs à dire ?

Je suis un MC et je veux et vais devenir un des meilleurs rappeurs que le genre ait jamais connu, cet accomplissement se nourrit de plein de choses, dont notamment ce que j’ai à dire, mais il y a tellement d’autres raisons en plus de ça !

C’est important pour toi de t’imprégner de ton vécu pour pouvoir écrire ?

Je suis arrivé avec un bagage et je pense que c’est une chance. Pour autant, beaucoup arrivent sans bagage et la pincée de talent suffit à faire quelque chose de légendaire. Chacun la couleur de son pelage. 

Penses-tu qu’une fois que tu auras décrit suffisamment ton vécu, tu auras envie de passer à autre chose ?

C’est déjà le cas. J’ai un projet en duo avec Bassy Base du 9-5 Zoo, qui est le premier mec que j’ai entendu rapper. Les productions, c’est ma femme et moi. J’ai commencé à digger dès l’âge de 14 ans donc ça fait longtemps que je prépare cette nouvelle étape. Ce sera un projet d’une dizaine de titres. Ensuite, j’ai mon projet solo qui devrait arriver juste après, toujours en 2019. Là on est vraiment sur les détails, les questions de distribution ou autres, mais tout est prêt. Il y aura des invités nouveaux, je me suis éclaté sur les instrus, c’est coloré, poussé, j’ai vraiment essayé d’amener loin mon travail. 

Tu y abordes de nouveaux thèmes ?

Oui, des thèmes nouveaux pour moi. Il m’a fallu du temps pour appréhender ces sujets. Si un gars écoute ma musique et qu’il estime après écoute qu’il a appris des choses alors le contrat est rempli. 

Tu as également un projet sur lequel tu te retrouves « executive producer ». Tu peux nous en dire un mot ?

C’est un projet international avec des protagonistes que je préfère garder pour moi pour le moment. Je suis responsable de l’exécution de ce disque qui sera uniquement avec des artistes anglophones et qui brassera des genres différents. Je préfère m’arrêter là car je ne souhaite pas me faire piquer mon idée car on mise sur une puissance d’exécution internationale. 

Tu possèdes également une marque de vêtement. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans la mode ?

J’ai lancé ma marque de vêtements, luXe Collection en 2016 peu de temps après la sortie de la luXemixtape. Je voulais faire une marque depuis petit et j’avais même fait des études (courtes) en stylisme de mode à l’école LISAA, après le bac. Quand j’ai finalement eu le temps et l’opportunité de commencer, je me suis lancé; c’est les prémices d’une grande aventure pour moi. J’ai une vision sur le long terme à mener avec ces vêtements et j’y vais progressivement.

Quelles sont les valeurs que tu souhaites véhiculer avec cette ligne de vêtements ?

On est dans des mondes capitalistes, j’ai personnellement du mal avec les entités qui entreprennent des projets capitalistes en se cachant derrière une ou des valeurs, je propose surtout un univers. Comme quand tu lis un bon livre, que tu regardes un bon film, que tu joues à un jeu qui est bien écrit et bien réalisé etc. Ce sont des beaux vêtements qu’on aime porter.

On a pu voir porter cette marque par bon nombre d’artistes et pas que dans la musique. Comment se font ces connexions ?

C’est avec plaisir qu’on a pu retrouver luXe Collection dans la garde robe de certains artistes prestigieux dans différents domaines: le rap, la photo, les réalisateurs vidéo, le break, les danses debout, l’activisme hip hop, les hosts, les organisateurs d’événements, les b-boys à l’international, leur familles, en Israël, en Palestine, au Kazakhstan… Ils portent du luXe et on est vraiment méga honoré ! Les connexions se font parce qu’on est des artistes et que depuis petit on nourrit des relations entre nous. On aime les sapes ! En tout cas je suis super reconnaissant et je travaille sur la prochaine collection sur laquelle la marque va atteindre un autre niveau.

J’allais te demander si on pouvait s’attendre à te voir sur de nouveaux types de projets ou d’idées mais tu viens de montrer que oui…

J’essaie de me surprendre chaque jour, d’apprendre toujours plus chaque jour. C’est une question de valeurs. Je veux être dans la position où j’apporte le maximum de valeurs aux gens qui m’entourent et ça me permet ainsi de mieux m’épanouir dans mon quotidien.  

Qu’est-ce que tu souhaiterais qu’une personne qui s’intéresse à ton travail dans 10-20 ans retienne de ton parcours et de ton message ?

C’est qu’il puisse voir et comprendre le chemin que j’ai emprunté du début à la fin en comprenant la démarche. Il y a un milliard de raisons de dire que le monde est pourri et on a d’autant plus le devoir d’avoir une couche de légèreté et de représenter quelque chose de joli et c’est la force de notre culture : le style. Si tu parles de hip hop et si tu veux réunir les générations, c’est ça qu’il faut viser. Ce qui a uni les gens de la première génération, c’était le style et ce qui unira les générations entre elles ça restera le style. Si des anciens se sont perdus, c’est qu’ils n’ont pas su évoluer en terme de style. Booba, s’il est encore là aujourd’hui, c’est qu’il a su évoluer pour toujours être dans le coup. Le style !