Lous and The Yakuza : « Il faut que les gens me démythifient »

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Gore

Ecoutez le premier album de Lous and The Yakuza

Lous and The Yakuza : « Il faut que les gens me démythifient »

En marge de la sortie de son très attendu – et maintes fois repoussé – premier projet long format sobrement intitulé Gore, Lous nous reçoit sans ses Yakuzas pour un échange des plus agréables car alimenté d’une spontanéité et d’une vitalité remarquable.

Lous a tout de la grande ‘Soul’ : mettant autant de cœur à choyer ceux qui l’épaulent dans ses projets qu’à codifier le moindre de ses visuels, ou à improviser jusqu’à la dernière petite harmonie de la nonantième piste de ses chœurs. Une énergie motrice quasi-incandescente la poussant, elle et son équipe de l’ombre (et de la lumière), sur le devant d’une scène musicale internationale qui n’en croit toujours pas ses yeux ; et donc ses oreilles.

Soutenue par une imagerie esthétiquement aussi riche que ses morceaux fourmillants d’arrangements, elle est une des éminentes représentantes de cette scène hybride où se marient désormais aux yeux d’un public – enfin – élargi une vaste palette des styles musicaux issus de notre période contemporaine dans un joyeux métissage sonore. Et quitte à atomiser les frontières mentales, elle s’attache à déboulonner le mythe rattaché à l’artiste ; celui qui le dote des vertus les plus hautes et lui attribue la place – incroyablement – excessive d’idole. Car chez l’animal doté de conscience, artiste ou pas, tout est gore.

Ton album sort enfin après de multiples reports (ndlr : 3 fois). Excitée ?

Je suis trop contente, je suis excited. Je ne me dis pas : « Enfin ! » mais juste : « Trop bien. » Je vous avoue que je l’ai écrit en 2017 donc ça fait un petit bout de temps hein. (rires) Oh my god ! J’ai fini de le produire en 2018 donc ‘wooo’ !

Ton univers est très tissé. Quelle est la part de spontanéité dans tout ça ? Est-ce que tu es du genre à aller au studio sans avoir rien préparé ou est-ce qu’il y a un travail de réflexion avant ?

Non pas du tout. Ce qui était problématique d’ailleurs. On va lancer un documentaire bientôt où El Guincho (ndlr : son producteur et celui de Rosalia, entre autres) explique à quel point c’est le bordel dans ma tête et que c’était dur ! Je suis en mode : « Ouais on va faire du rock » le lundi, puis le mardi : « Ouais ouais mais j’adore le reggae » puis mercredi : « Oh on va faire du R&B ! » et du coup bah je fais tout et puis lui il est en mode : *imite un cri d’exaspération intense*. Moi je compose et lui il est en mode Oh my god, what the Fuck !? et il arrange quoi (rire machiavélique).

Alors oui tu pars dans tous les sens, mais il y a quand même cette fameuse ligne directrice. Comment arrives-tu à rester cohérente ?

Parce que je suis cohérente. Je pense que c’est à l’image de ma personnalité. Après y’a pas de meilleure option, surtout dans la musique. Tu peux être très structuré comme un James Blake et c’est extraordinaire. Être fou et structuré comme FKA Twigs. Tu peux aussi être heureux et libre comme JUL. Je n’écoute pas sa musique mais il me transmet une de ces joies de vivre, je ne sais pas quelle drogue de la joie il prend mais je veux la même ! La musique ça le rend tellement heureux, je trouve ça tellement beau à voir.

C’est pur, sans filtre…

Ouais, on dirait un enfant, et c’est trop beau en fait. Enfin tout ça pour dire que je ne pense pas qu’il y ait une façon plus noble qu’une autre pour créer de la musique… C’est clair que moi, je suis un peu… un peu tendue quoi. Je suis complètement tarée dans la création.

D’ailleurs concernant les visuels, tu te dis aussi tarée, pour te citer…

De ouf ! Ils font un plan, je dis : « Vous pouvez me ramener le prompteur ? » et puis je leur dis : « Ah mais en fait vous voulez pas plutôt venir tourner par ici parce que comme ça je fais cheum en fait… et puis faites ça, et ça, et ça… »

Avec Lous and the Yakuza, on a réussi à fédérer un nombre incalculable de personnes.

C’est toujours la même équipe pour tes clips ?

Ouais.

C’est peut-être aussi ça qui te permet de garder une cohérence…

Bien sûr. Pareil pour l’album. C’est El Guincho, même si il y a Ponko et Mems qui ramènent leur sauce de temps en temps, mais ça reste une personne aux commandes ; j’ai besoin de ça. Je ne vais pas faire confiance à trop de gens. Tu ne peux pas avoir 25 personnes sur ton album qui comprennent ta vision à moins d’avoir passé énormément de temps avec eux. Un album comme Astroworld où il y a 123 personnes créditées, je pense que c’est beaucoup de gens de son entourage, et des gens qu’il a beaucoup écouté, comme des Tame Impala. Et sortir un son comme « Skeleton », It makes sense ! Parce que tu vois que c’est vraiment les inspirations de Travis. Je pense que le jour où j’aurai cette expérience en carrière, je commencerai surement à avoir plus de gens crédités ouais.

Tu es entourée mais tu parles énormément de solitude dans tes textes…

Oui of course! C’est pour ça que je dis que si je pouvais je vivrais seule, it’s a fact !

Comment tu arrives à répondre à tes besoins de solitude ?

La nuit ! Bon après je travaille comme un chien le soir, car je passe deux-trois heures sur le design. Mais it gets lonely dans les hôtels parfois. C’est vrai que c’est une question d’équilibre parce que je peux me sentir oppressée parfois avec cet agenda ! Et puis avec tous les gens que tu rencontres dans une journée, tu ne peux pas approfondir tes liens avec eux et je déteste ça, ça me soûle ! C’est quelque chose que je dois apprendre à gérer, à juste voir des gens passer et sortir. C’est bizarre parce que dans la vraie vie c’est pas comme ça, tu rencontres pas 15 000 personnes par jour et puis tu n’en entends plus jamais parler. Actuellement c’est un peu difficile.

Du coup tu as dû kiffer ton confinement…

En confinement, j’ai enregistré 32 titres…

AH !

Oui, avec Krisy, il venait tous les matins.

Ta musique est très appréciée en dehors de nos frontières. Penses-tu qu’en France on est un peu plus rigide ? 

Ah mais de malade ! Je pense que vous avez beaucoup plus de jugement avant d’apprécier un artiste.

Est-ce que tu as l’impression qu’on n’est pas prêt ici ?

Non, je pense juste que c’est un autre type de culture en fait. Je ne juge pas la France, surtout qu’il y a des gens dans mon label qui aimeraient bien que je perce un jour ici (rires). J’ai beaucoup voyagé, chacun son truc quoi. Ici, peut être que les gens vont se dire : « Mmmh ok… » alors que d’autres vont être possédés direct du genre : « I LOVE YOU, YOU ARE MY QUEEN, JE VEUX MOURIR. » Trop intenses !

Il n’y a pas de demi-mesure…

Aucune ! C’est soit t’es un hardcore fan, soit c’est I don’t care. Mais c’est à l’image de ma musique : il faut des réactions parce que si les gens sont mitigés à vie sur ma musique, ça craint tu vois. (rires)

C’est vrai que c’est difficile d’être modéré sur ta musique…

De ouf ! T’aimes ou t’aimes pas ! Je me souviens quand on a commencé mon album et que j’ai dit que je voulais travailler avec El Guincho, y’a nonente pour cent de gens qui m’ont regardé en mode : « What the Fuck !? Pourquoi ? Déjà on ne le connait pas, il ne fait pas un son français… » Exactement ! Je ne suis pas française, c’est un petit détail que les gens ont tendance à oublier… Et étant donné que je ne suis pas française, je n’ai rien de français.

Lous and The Yakuza - Gore

Gore | © Lee Wei Swee

C’est aussi vrai qu’on a tendance à catégoriser la musique francophone dans la musique française…

Ouais et même belge ; je suis même pas belge bruh ! Je suis rwandaise et congolaise, je suis blédarde de chez blédarde, j’ai rien à voir avec la culture d’ici. Mais maintenant voilà, je suis ici, on mélange nos cultures, on se met bien tu vois ! C’est un truc assez chelou pour moi. Du coup, quand on a commencé mon projet, j’étais un peu choquée, en France y’a personne qui travaille avec des producteurs espagnols. Bon, depuis y’a pas mal de monde qui est parti gratter mon producteur (nouveau rire machiavélique).

Chaque pays a sa façon de voir la musique, maintenant que je voyage beaucoup et que je découvre des cultures, je remarque pleins de choses. C’est dingue l’accent qu’ils mettent sur certains aspects. Par exemple en Angleterre, ils te demandent le nom de tous les membres de ton groupe, mais en France t’as déjà vu quelqu’un demander à Angèle qui joue de la batterie avec elle sur scène ?

On s’intéresse très peu aux crédits en France…

Mais ouais. Et moi je m’appelle Lous and The Yakuza donc pour moi c’est trop important. A tous les interviews je fais du name-dropping all the time ! On me reprend, on me coupe : “Non mais on t’interviewe toi en fait. » Ouais mais en fait je viens avec une équipe qui est énorme. On est genre 100 personnes. Avec Lous and the Yakuza, on a réussi à fédérer un nombre incalculable de personnes ! On en a signé aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, et chacun d’entre eux s’est investi. Franchement, c’est tellement loin de l’image éclatée qu’on m’avait donné des labels même si il y a plein de trucs éclatés obviously. Après je pense que je participe à créer tout ça. Si je créais une vieille meuf endormie qui regarde le ciel toute la journée, il ne se passerait rien tu vois. Il faut être très investi, être tout le temps actif. Il faut aussi avoir… deux téléphones ! (elle sort deux téléphones et nous montre un mois de son agenda avec au moins autant de rendez-vous qu’il y a de secondes dans une heure).

Mais est-ce qu’à un moment tu ne vas pas prendre un peu plus de temps pour toi ?

Si, peut-être l’année prochaine, ou en 2022.

En 2022 ?

Ouais, parce qu’en fait je suis designer aussi, et je design un immeuble de 7822m², ce qui fait que je n’ai pas beaucoup de vie en fait. Je dessine tout ce que tu vois chez moi  !

L’expression des sentiments est quelque chose de très ‘neuf’ dans l’histoire de l’humanité.

T’as pas peur de péter des plombs à un moment donné ?

Oh bah si, je pète les plombs de temps en temps le soir, mais au calme. Et le matin je me réveille, je suis déter’. Après je pense que c’est une bénédiction, je prends tout comme un cadeau. Et tu vois, je passe beaucoup de temps à briser l’imaginaire que je renvoie. Je renvoie une image qui est beaucoup trop intense…

Et de quelque chose de très sophistiqué…

Ouais, très polish. Du coup, c’est à moi de bien faire attention à ce qu’il n’y ait pas de vénération, parce qu’il y en a déjà beaucoup. Je prends beaucoup de temps à répondre aux commentaires. Et tu sais dès que tu réponds à quelqu’un, tout son mythe se détruit : « C’est une meuf comme nous en fait. » Et en fait, OUAIS ! Je réponds surtout aux messages les plus intenses. Il faut que les gens me démystifient. Moi je suis dans mon truc, mais en tant qu’artiste, on ne se rend pas compte de ce que l’on renvoie auprès du public.

Par exemple, Damso, il est juste bre-sson, juste nor-mal. Il est comme ça dans la vraie vie. C’est mon pote depuis des années. Mais le mystère qui pull-up dans la tête des français, c’est une dinguerie ! Quand je vois certains trucs sur Twitter… Mais lui il ne fait rien, et est-ce que ce n’est pas l’artiste le plus silencieux de tous les temps ?! Il n’a rien fait pour les mettre dans ces délires ! Le mec il se la coule douce, il fait sa musique, il est content et that’s it !

Donc, même en ne disant rien, tu finis par être mythifié ! Donc je pense que c’est un peu à nous de briser cet aspect un peu fanatique. Moi j’essaie du mieux que je peux, mais je n’ai pas le contrôle sur tout non plus. En tant qu’artiste, je pense qu’on a une responsabilité sur l’idolâtrie. Je ne supporte pas que l’on me voie pour plus que ce que je suis, ce qui est tout le temps le cas d’ailleurs. On met les artistes sur un piédestal, alors qu’on est comme vous en fait. On dit de la merde aussi, on dit plein de merde ! Sauf que je suis pas filmé quand j’en dis !

C’est vrai qu’on a tous, à un moment donné de notre vie, été le stan de quelqu’un…

Mais moi aussi ! Mais c’est à cause de l’intensité qu’on renvoie, parce qu’on est des vecteurs d’émotion. Et ce qui est pour nous assez viscéral et assez inné, pour des gens comme moi ou Dems, Kris, où les gens de notre entourage on n’est pas dans tous nos états en mode : « Oh ouais, mon âme, mon œuvre, ma vie… » On fait juste notre son, et on kiffe de ouf. Avec le recul, je me rends compte que l’expression des sentiments est quelque chose de très ‘neuf’ dans l’histoire de l’humanité, on est dans une période où les gens se parlent, et c’est pour ça qu’avant les artistes étaient vénérés ; car c’était les seuls à parler d’émotions.

D’ailleurs tu disais que tu faisais de la musique pour toi avant tout. Qu’as-tu envie de transmettre aux gens ?

La vérité ! La vérité vraie ! En tout cas, la mienne. C’est ça que j’ai envie de transmettre aux gens.

Comment s’est faite la connexion avec Hamza ?

C’était tranquille, j’ai appelé le producteur de l’album de Damso, Prinzly. D’ailleurs la prod’ de « Laisse-moi », c’était une prod’ qu’ils avaient fait avec Damso. Et il me l’a faite écouter et j’étais là : « – Mais… elle est incroyable cette prod’ ! – Oui mais c’est la prod’ de Damso. – Ah ben ça va être ma prod’ ! » Donc je l’ai prise et puis après j’ai enregistré. Et puis après l’enregistrement avec Krisy, on était là : « Mais c’est incroyable, mais c’est INCROYABLE. » Je l’ai envoyé à mon mixeur Alex Tumay (ndlr : mixeur de Young Thug, Travis Scott, Childish Gambino entres autres…) qui me dit : « Oh my god, it’s a hit ! » Et puis j’appelle Prinzly à qui je dis : « Oh my god it’s a hit ! » Parce que nous on fait des tournantes d’auto-congratulation : « Oh, on est extraordinaires » Krisy est en mode : « Oh quel enregistrement ! » Moi je suis en mode : « Oh quel lyrics ! » et l’autre : « Oh quel flow ! », on s’autokiffe de la hell.

Du lancement de fleurs constant !

Non, c’est des forêts ! (rires) On se lance des forêts entières ! Non non c’est très sombre comment on se kiffe !

Eh bien c’est important d’être bien entouré !

De ouf ! Et tout le monde est hyper positif. Et pour finir : je dis à Prinzly, ouais j’aimerais bien avoir Hamza dessus. Il me dit : « Attends j’envoie un message à Hamza ». Il envoie : « Lous, elle aimerait bien que tu poses sur un son. » Hamza répond : « Ok. Envoie le son. » Voilà… C’était ça la collab’ ! (éclats de rires) C’était comme pour le son avec Damso. On était en train de bouffer, il préparait des pâtes d’ailleurs. Il m’a dit : « On va au stud’ ? » Je lui ai dit : « On va au stud’. » Et on a fait « Cœur en miettes«  ! C’est très spontané. Mais c’est à l’image de Bruxelles aussi.


Cette interview a été menée avec Théo Hauquin

Remerciements : Angèle Häfliger-Brethès, Florent Salvarelli et l’hôtel Grand Amour

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