Loud : « J’ai assumé de faire un style de musique plus large »

Loud : « J’ai assumé de faire un style de musique plus large »

Le québécois retrace le chemin depuis son premier album Une année record jusqu’à Tout ça pour ça, un nouveau disque qui confirme à la fois son talent pour le rap et son potentiel pop.

Fer de lance de la scène rap québécoise, Loud a longtemps roulé sa bosse en groupe avec LLA avant de se lancer dans l’aventure en solo. Une ride en Volvo bleue de près d’une décennie, qui a forgé son personnage narquois et son image soignée. Maintenant que ses clips font des millions de vues et qu’il a traversé plusieurs fois l’Atlantique pour se produire dans notre capitale (il sera d’ailleurs en concert à l’Elysée Montmartre le 23 octobre), celui que l’on a longtemps sommé d’effacer son accent pour rentrer dans le moule rit aux éclats.

Jamais loin, ses anciens compagnons de route continuent de lui prêter main forte. Lary Kidd, son frère de micro, se retrouve en featuring sur chacun de ses projets. Lorsqu’il n’est pas en train de lui refourguer une veste de sa marque Officiel. Son vidéaste William Fradette a affûté son objectif afin de produire des clips toujours plus léchés et Ajust, son producteur attitré, a trouvé en Realmind et Ruffsound des alliés de taille, qui lui ont permis de forger un son unique à la mesure de l’artiste.

Après le bien nommé Une année record, Loud a dévoilé Tout ça pour ça, un deuxième album aussi actuel que le premier. À l’image de son désormais célèbre coupe-vent Tommy Hilfiger, une touche 90’s s’est tout de même invitée dans ce projet. Le son se fait encore plus pop, avec un haut potentiel tubesque. L’intéressé nous raconte l’état d’esprit dans lequel il a écrit ce nouveau disque, son amour pour le rap américain qui transpire dans ses chansons, et l’authenticité comme condition sine qua non du succès.


BACKPACKERZ : Bon, Loud, il faut qu’on parle sérieusement. Dans le morceau « 56K », tu demandes si les backpackers sont encore nostalgiques. Tu parles de notre média, on est d’accord ? (rires)

Loud : Alors, est-ce que vous l’êtes ?

Non, justement. C’est la modernité de ta musique qui nous a plu sur ton premier album Une année record. Comment as-tu trouvé ce son singulier avec tes producteurs ?

Sûrement un mélange de nos influences. « 56K », c’est l’apport de Realmind. À la base, il vient d’Amérique du Sud. Il a produit des projets raggaeton et toutes sortes de musique latine. Il a des instincts et des codes musicaux différents quand il s’agit de produire. Maintenant, il est sur tous mes projets. « Nouveau Riche », c’est la même vibe. Ensuite, c’est beaucoup d’expérience et on se connaît bien. Ajust et Ruffsound, on travaille ensemble depuis dix ans. Pis, on a évolué avec le rap. C’est une musique changeante, de plus en plus mélodique. C’est devenu la culture pop et, à notre manière, on l’a intégré sans perdre le côté rap.

« 56K » est le titre qui t’a ouvert les portes de l’hexagone. Les paroles semblent prédire le succès qui est venu après. Est-ce que tu crois aux prophéties auto-réalisatrices ?

Non, il n’y a rien de superstitieux là-dedans. Par contre, je pense qu’affirmer haut et fort ses ambitions, ça aide. Tout comme s’adresser directement aux français. L’aéroport, les avions, c’est pour installer l’idée qu’on s’en vient.

Le clip a été réalisé par ton vidéaste William Fradette. Tu peux me parler de lui ?

C’est quelqu’un avec qui j’ai toujours travaillé. Même quand on ne les tourne pas, on théorise des plans de sortie d’albums ou des clips. Tous les deux, on est sur la même longueur d’ondes, donc il n’y a pas de compromis à faire entre nos deux visions. Il a plein d’idées, un bon sens du timing et il est hyper connecté. Quand il a une bonne idée, j’arrive à la flairer. Après, c’est un dialogue entre nous deux. Parfois, l’idée de départ évolue. En tout cas, on s’en parle beaucoup, on passe énormément de temps à y penser.

Une des idée géniales qu’il a eues, c’était de te mettre en feu dans « Devenir Immortel ». D’ailleurs, d’où il vient ce leitmotiv de passer à la postérité ?

En général, la postérité, c’est une des choses qui motive les gens à créer, toutes disciplines confondues. Pis, le rap, c’est peut-être un des seuls médiums où on peut se permettre de l’assumer, voire de le proclamer. Hors du rap, c’est tabou car ça peut sembler très égocentrique. Vouloir laisser une trace, un héritage, beaucoup de monde peut se reconnaître là-dedans.

Une mort symbolique (…) ça me fait beaucoup plus peur que de mourir pour vrai. 

La mort, c’est quelque chose qui te fait peur ?

Non, pas tellement. C’est plus un concept qui me fascine. Pas de façon morbide, ou quoi. Le principe que toute œuvre est éphémère, que du jour au lendemain, on n’entende plus parler de certains artistes. Sans qu’ils soient morts physiquement, c’est une mort symbolique. Ça, ça me fait beaucoup plus peur que de mourir pour vrai. Le risque de ne plus être pertinent, c’est un truc qui me motive à travailler, beaucoup plus que d’autres choses.

© JuPi

Le succès est arrivé, comme beaucoup d’artistes, après dix ans de travail. Tu sembles t’être imposé de ne jamais céder à la facilité. 

D’abord, ça s’est fait à l’instinct, en fonction de mes goûts. Les artistes dont j’admire le parcours, ils ont toujours été fidèles à leur style. Il s’en dégage quelque chose d’authentique, qui finit par marcher. La chance peut exister, mais c’est quand même une question de travail. Parfois, une opportunité tombe de nulle part et il faut la prendre, mais on construit sa propre chance.

À propos, qui sont les artistes qui t’ont le plus inspiré ?

Ceux qui m’ont inspiré du point de vue de leur carrière peuvent être différent de ceux qui m’ont influencé en termes de musique. Jay-Z évidemment. Nas pour sa musique, mais pas pour sa carrière, qui est moins emblématique. Kanye, c’est l’icône. Sa carrière, sa discographie, son aptitude à se réinventer, même à inventer les courants, c’est la référence. Longtemps, le rap était dicté pendant un an par son dernier album. Drake, évidemment, qui est plus de ma génération. Sa carrière a été menée sans faille. Certains albums et chansons sont discutables, mais son parcours est peut-être le meilleur exemple.

En 2007, Kanye qui bat 50 Cent dans les charts, ça crée carrément un changement de paradigme. L’émotivité, le fait de pouvoir chanter…

Exactement ! La façon dont il a utilisé l’autotune, même sans être le premier, a développé quelque chose de nouveau. Quand tu penses à Future, Young Thug, tout part de 808 & Heartbreaks. Même chose pour Travis Scott, Kid Cudi, et caetera.

D’ailleurs, Kanye a également fait tomber les barrières entre le rap et la mode. À ton échelle, tu portes souvent la marque de vêtements Officiel. Pourquoi ?

Il y a un lien naturel, car c’est la marque de Lary (Lary Kidd, ndr). Je suis fan de ce qu’il crée, il a toujours eu un œil pour la mode. Vue que la marque s’affirme comme montréalaise, je trouve ça intéressant de la porter ici. Le « Montréal Made Me » (slogan de la marque, ndr), il prend tout son sens quand je le porte en France.

À mes yeux, c’est un symbole de succès autant qu’un clin d’œil à tes origines. Quand j’écoute Tout ça pour ça, ton nouvel album, j’ai parfois l’impression que tu y as toujours cru, à ce succès. Je me trompe ?

I guess que j’en ai pas toujours été certain. Par contre, même s’il y avait une part de risque, je savais que c’est ça que je voulais faire. J’ai fait le maximum pour que ça arrive et j’ai toujours eu l’impression d’avancer. Encore maintenant, il n’y a pas vraiment de limite. À court terme, il y a toujours une nouvelle marche à gravir. Le succès a été super graduel et, jusqu’à maintenant, ce n’est jamais redescendu. Chaque step a été inspirant, donc il n’y a jamais eu de raison de se décourager.

Sur « Jamais de la vie », tu dis aussi vouloir une vie différente de celle de ton père. Pardon de jouer les psychanalystes de comptoir, mais ça a été déterminant ?

La formule est plus dramatique que ce que je veux dire. Je ne suis pas forcément en opposition avec mon père ou sa vie, que je respecte énormément. C’est juste qu’un travail stable, une stabilité financière, la job de 9 à 5 –ce que vous appelez le métro, boulot, dodo–, ça ne m’a jamais inspiré. Le rap, j’ai connu ça très jeune et ça m’a vite plu. La musique, quand ça fonctionne, ça te donne beaucoup de liberté. Il y a quelque chose de très addictif.

La sortie de ton deuxième album a été plus stressante que celle du premier ?

À fond ! J’ai attendu le bon moment pour le sortir. Le premier a tellement été un choc pour moi. Il y a eu un avant et un après. Donc forcément, ça met un stress. Après, j’avais confiance en ma vision et en les gens avec qui on a travaillé dur sur ce projet. J’ai assumé de faire un style de musique plus large.

Visiblement, ça fonctionne. Ton manager m’a dit en coulisses que tu avais été le premier artiste rap à remplir le Centre Bell (l’équivalent québécois de l’AccorHotels Arena, ndr). Qu’est-ce que ça représente pour toi ?

Juste avant mes trente ans, c’est symbolique ! Un rêve que je réalise. Quand on parle de faire l’histoire, faire des records, là c’est une preuve tangible, qui reste. J’espère que c’est un standard qui va se reproduire, et pas que pour moi. La musique au Québec, il y a parfois un esprit de groupe. Les gens restent entre eux et à certains moments, on s’est dit qu’ils ne voulaient pas nous voir, alors tant pis. J’espère que ça va déclencher quelque chose, qu’il y aura une suite.

N’importe quel artiste (…), s’il se rend compte que son objectif est à portée de main, il peut finir par y arriver.

Ouvrir la voie à d’autres artistes, tu en parles davantage sous l’angle de l’égo trip, d’habitude. Intéressant de voir que derrière, tu as une forte volonté de faire évoluer l’écosystème du rap québécois.

Plus on réalise que c’est possible, plus l’envie de faire se concrétise une fois qu’on se met à y penser. Au début, on l’envisage seulement comme un rêve. N’importe quel artiste à qui tu parles, s’il se rend compte que son objectif est à portée de main, il peut finir par y arriver.

© JuPi

C’est quoi tes objectifs pour le future, tes next steps ?

Cet album est dans la continuité du premier. Même s’ils ont de grosse différences, le principe reste le même. Le prochain, il faut s’asseoir pour tout repenser. C’est important de se réinventer. Sinon, je n’ai pas de paliers précis à atteindre. À court terme, le but est juste de continuer à produire. Être constant.

En même temps, tu viens de passer avec brio une des épreuves les plus casses-gueules pour un artiste : réussir son deuxième album.

Tellement ! Le deuxième album, ça passe ou ça casse. Quand le premier a fonctionné, c’est presque impossible de suivre le même chemin. Déjà, je pense que ce n’est pas une bonne idée de refaire la même chose. Personne ne peut ré-écrire le moment. Il y a un truc qui est perdu à jamais : tu n’es plus l’underdog. Une position qui, à mon sens, est la meilleure. J’ai adoré pouvoir jouer sur cet aspect-là, d’être un talent insoupçonné. J’en ai bénéficié jusqu’à mon premier album. Sur le second, il n’y a pas d’effet de surprise, que des attentes, dans le fond. Alors il faut y aller à fond, assumer sa position et surtout, ne pas se sentir coupable de son succès.

« Sometimes, All The Time » est en featuring avec la chanteuse Charlotte Cardin. Comment l’as tu rencontrée ?

En fait, je suis un fan de sa musique et vice versa. Lors d’un gala TV, on a joué un medley ensemble. C’est une artiste de Montréal et le milieu est petit. Même quand ce n’est pas le même style de musique, ça reste un même univers, dans lequel tout le monde coexiste. Je lui ai envoyé la chanson car elle se prêtait à un duo, pis elle a accroché.

En parlant de rencontres, il me semble que tu as connecté avec les belges récemment.

Caballero et JeanJass, on a fait des spectacles ensemble. Quand ils viennent à Montréal, on les accueille en studio. Roméo Elvis, je ne le connais pas personnellement mais on s’est croisés en festival.

Dans « Médailles » tu reprends  à ton compte son gimmick « Bruxelles Arrive », que tu transformes en « Montréal Arrive ». Qu’as-tu en commun avec lui ?

Le rap belge a longtemps existé à l’écart du rap français, comme le rap québécois. Eux, ils ont débloqué quelque chose et c’est venu jusqu’à nous. Tous sont arrivés de nulle part et se sont imposés dans la tête des gens. Au Québec, il manque un mouvement global. Pour qu’on parle d’une scène, il faudrait un nouveau projet qui marche. Côté labels, ceux qui ont raté la vague belge se demandent d’où va venir la suite : de la Suisse, du Québec ? Les pros viennent juste par curiosité, pour tester l’intérêt du public. Eux, ils veulent se convaincre qu’il y a une deuxième Belgique. J’espère que ça va être le cas. Qu’un projet comme celui de Lary va marcher.

J’espère que tu dis vrai. Ton frère Lary, c’est le seul autre featuring de Tout ça pour ça. Il était membre de ton ancien groupe LLA. Qu’est-ce qui est prévu de son côté ? 

Là il travaille sur son album. Logiquement, je devrais être dessus. Possible que ça arrive à l’automne. À mon avis, ça va être un moment important pour sa carrière.