Lou Phelps, un retour Extra Extra

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Lou Phelps, un retour Extra Extra

Près de deux mois après sa sortie, Lou Phelps est revenu pour nous sur ce nouveau projet, mais pas que. Son début de carrière, la discipline qu’il s’est imposée pendant le confinement ou encore la scène montréalaise, nous avons eu la chance de rencontrer un rappeur sincère et qui nourrit de grandes ambitions pour l’avenir.

On ne l’avait pas entendu sur un projet depuis 2018. Louis-Philippe Celestin alias Lou Phelps a sorti Extra, Extra fin octobre 2020. Entretien avec un artiste qui, en restant accompagné de son frère, Kaytranada, veut sortir son épingle du jeu.

Bientôt deux mois après la sortie de ton dernier projet, comment te sens-tu ?

Je me sens très bien par rapport à la sortie du projet. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Des propositions de livestreams, des propositions de labels, des contrats d’éditions… Il y a beaucoup de choses qui se passent en ce moment. Je me suis mis à 1000% sur ce projet, ça se ressent et les gens l’ont remarqué.

Franchement c’est un projet avec beaucoup d’énergie et différent précédent, 002/Loveme où tu jouais plus sur le côté émotionnel. Là, on voit que t’as envie de t’amuser (sur Must Be), tu peux être un peu plus sombre (sur New Friends) ou avoir cette envie de “te battre” (sur Fire). Même sur Nike Shoe Box, t’as envie de mettre des “jabs” !

Ouais c’est totalement ça !

Cela se ressent vraiment sur le projet. C’est aussi bien diversifié même si la plupart des productions sont faites par ton frère, on remarque aussi la présence de Lakim, Jasper ou Tek.Lun. Comment as-tu procédé pour l’enregistrement de ce projet ?

J’ai commencé à enregistrer fin 2019, exactement à la même période après le 25 décembre. Je me suis dis qu’il fallait que je travaille sur un album. L’année passée, j’ai commencé à enregistrer un paquet de sons, pas mal de trucs. J’avais perdu un peu l’inspiration parce que je pensais que 002/Love Me était le projet qui allait faire avancer un peu plus les choses mais au final cela n’a pas été le cas. A partir de ce moment-là, je me suis dit que j’allais enregistrer le plus grand nombre de sons possibles. Au moins, je savais qu’au moment où je serai prêt à sortir un projet, j’aurai déjà toutes mes idées et n’aurai plus qu’à créer quelque chose d’homogène. 

Ça fait donc un an que je travaille dessus. A vrai dire, c’était le moment où je sortais d’une relation vraiment toxique. Dès que j’ai pu m’ extirper, je n’avais rien d’autre a faire a part rester chez moi, jouer à Call of Duty et faire de la musique. J’ai changé ma routine pour vraiment me dire que je faisais quelque chose. C’est le confinement donc je me levais et faisais une balade avec mon chien vers 10h. De 11h a 18h, je passais mon temps à enregistrer, écouter des beats et surtout faire des beats. J’ai vraiment beaucoup travaillé sur l’aspect production.

On t’avait déjà vu a la prod sur “Miss Phatty” sur ton projet précédent si je me souviens bien? 

Ouais exact. J’ai placé quelques drums mais pour être honnête c’est Kaytra qui a fait le plus gros du travail. Il fallait que je me change les idées donc j’ai beaucoup travaillé. Puis un jour j’ai entendu l’instrumental de Nike Shoe Box (produit par son frère Kaytranada) puis je me suis dis qu’il fallait absolument que je pose dessus. A partir de ce jour-là, je ne me suis pas arrêté. A la base, je voulais sortir un album mais je ne pensais pas que la pandémie allait durer aussi longtemps !

Je t’avoue que moi non plus ! 

A la base, je voulais sortir un vrai album en août mais mon management m’a déconseillé de le faire. Le fait de ne pas pouvoir partir en tournée dans la foulée, c’est comme s’ il manquait un ingrédient au bon déroulement des choses. Cela faisait deux ans que je n’avais pas sorti de vrai projet. Il fallait que je sorte quelque chose donc j’ai préféré sortir un EP, Extra Extra. Ça fait quelques mois que le projet était prêt mais il fallait bien planifier les choses avec mon équipe (son directeur artistique, son manager et lui-même)

Donc finalement cette pandémie t’a aussi permis de te recentrer sur la musique, c’est ça ?

C’est ça. Mais finalement c’est quelque chose dont j’avais vraiment besoin. Pour être honnête, j’avais beaucoup de petits jobs à côté. Par exemple : partir en tournée avec Kaytranada pour gérer les tournées, être DJ de temps en temps… Avoir ces petits jobs m’empêchait un peu de me focus sur la carrière dont j’avais vraiment envie. La pandémie a tout ralenti et m’a clairement fait comprendre que je devais rester focus sur moi-même.

On sent que le projet est bien travaillé mais on voit aussi que tu sais poser sur différents types d’instrumentales. On sent également que ton son a évolué avec le temps et on te sent plus confiant sur cette mixtape, à quoi c’est dû ?

J’avais besoin de ce break. Je pense être une personne qui n’apprend que lorsqu’elle échoue. Depuis que j’ai commencé à rapper, j’ai toujours pensé que j’étais le meilleur. (en faisant le parallèle avec ses anciens projets) A un moment j’ai ré-écouté mes anciens projets : les premiers projets sous The Celestics, je pensais que c’était incroyable mais maintenant je trouve ça vraiment horrible. J’ai poursuivi avec 001/Experiments qui avait été nominé aux Juno Awards (Album Rap de l’année en 2017) mais qui n’a pas eu le succès escompté. Je me suis demandé comment faire évoluer mon son. A un moment, je me suis dis que les gens aimaient vraiment les sons groovy/bouncy à la Kaytra donc je me suis dis que j’allais partir sur un projet dans ce genre avec 002/Love Me. Avec ce type de sons je pensais que cela pousserait les gens à écouter et que cela fonctionnerait. Jusqu’à ce jour il y a encore Come Inside qui passe bien mais lorsque je l’écoute, je me dis quand même que c’est rien par rapport à ce que je fais actuellement.

On avait quand même Come Inside, Tasty qui était bien groovy ou encore 2 Seater avec Planet Giza. Après c’est vrai que ça a l’air un peu plus poussé sur ton dernier projet.

Je voulais vraiment faire un projet sans featuring. Que ce soit juste moi et que je fasse les chansons au complet. Je pense que l’exposition de producteurs déjà c’est assez gros ! C’est mon frère qui fait mes beats donc je sais que les gens écoutent parce que c’est produit par Kaytranada ou Tek.Lun. Ce qui, je trouve, est bon dans tout ça, c’est que je fais justice à ces beats!

On a entendu parlé de toi sous Louie P. mais il me semble que tu avais un groupe avant The Celestics ?

Ouais j’étais dans un collectif, Alaiz, qu’on avait monté en 2012. Le collectif était composé de avec Da-P, High Klassified, Dr. MaD, un peu tout ces gens de la scène Montréalaise qui sont plus dans l’axe anglophone du Hip-hop. On était 13 dans le collectif mais je pense qu’il y avait quelques personnes qui prenaient la musique un peu plus sérieusement que les autres. Ensuite des histoires de jalousie ou autre ont fait que ça n’ a pas pu fonctionner. On était 13, sans manger, sans réel contrôle de qualité…

On a vraiment commencé à entendre parler de toi avec The Celestics avec ton frère. Comment la fin du groupe t’a permis toi aussi de rebondir? Est-ce que cela t’a permis de trouver ton propre son ?

Au début je ne m’en rendais pas compte mais maintenant avec tout ce qui se passe dans ma carrière, on peut dire que c’est finalement quelque chose de positif que mon frère ait pris la décision de faire son propre chemin. De l’autre côté, imagine si je l’avais forcé à rester dans The Celestics, il n’aurait peut-être pas pu être nominé pour 3 Grammys! Tu sais comme on dit “une chaîne est aussi solide que son maillon le plus faible”.

Faire sa carrière en solo, c’était aussi une possibilité pour vous deux de vous exprimer. Ça reste ton frère, j’ai l’impression que vous travaillez tout le temps ensemble ?

Moi dans ma tête, je me dis juste qu’on a changé de nom. On s’est séparés mais on travaille tout le temps ensemble. La majorité de mes beats viennent de lui donc il n’y a vraiment aucun problème avec ça.

Si Lou Phelps pouvait parler à Louie P, qu’est-ce qu’il lui dirait ?

Il lui dirait “Prends ton temps !”. Focus sur “Comment faire des classiques ». Avant, j’étais focus sur le simple fait de sortir de la musique parce que je me disais que forcément à un moment ça allait marcher. Mais ce dont je me suis rendu compte, c’est que les gens qui font et sortent de la musique allaient tous les jours au studio. Ils devenaient meilleurs eux au fur et à mesure de leurs sorties et je comprenais pas donc j’étais dans ce schéma de sortir puis attendre de voir si ça perce. Je pense que j’étais beaucoup trop pressé que les choses marchent pour moi.

Quand j’avais 16 ans (l’âge où il a commencé à rapper sérieusement), je voulais être un enfant vedette. A 18 ans je voulais être multimillionnaire! Alors ce que je dirai a Louie P c’est : « Calme toi, relax, prends ton temps et les choses vont bien se passer. »

Au final le monde de la musique, c’est un peu une question de timing. Ton frère par exemple a toujours eu une reconnaissance mais c’est surtout ces dernières années que les reconnaissances “suprêmes” sont arrivées. Tu es dans une vibe qui plait pas mal en ce moment.

Tu vois c’est là ou il y a eu une différence entre mon frère et moi. Lorsque lui était dédié à sa musique depuis le premier jour, moi, je voyais vraiment ça comme un but inatteignable. C’est comme te débrouiller au basket mais savoir que tu ne feras pas la NBA. Je me disais que je pouvais potentiellement le faire avec un peu de chance. Je n’ai jamais mis tous les ingrédients nécessaires jusqu’au moment où j’ai quitté l’école. C’est ma mère qui m’a forcé à quitter l’école et à partir en tournée avec Kaytranada. A partir de ce moment-là, je me suis dit : “Bon qu’est-ce que je fais ? J’ai pas de diplôme, dans quoi je me lance ?”

Je me suis toujours dit qu’il fallait que je trouve une manière de vivre en faisant ce que j’aime. Honnêtement, je vis à 100% car je ne fais rien d’autre que de la musique et je suis capable de survivre. Même si je survis, c’est pas grave, j’en suis heureux car je fais ce que j’aime.

Montréal, c’est une ville qui compte pas mal d’artistes qui sont dans une certaine vibe. Je pense à Planet Giza, KALLITECHNIS, Nate Husser… Puis le fait qu’il y ait du rap en anglais ou en français fait qu’il y a quand même une sacrée variété dans cette ville. Que penses-tu de la scène montréalaise ?

Depuis que j’ai commencé, la scène de Montréal a beaucoup évolué. Le truc c’est que tu vois que des villes comme Toronto, New York ou Londres ou d’autres ont leur propre son. A Montréal, on en est à un point ou on est en train d’essayer des choses pour créer notre propre son mais nous n’y sommes pas encore. Il nous reste encore une étape à franchir. 

A un moment, mon but primordial était de mettre Montréal sur la carte. Mais au final Montréal s’en fout. Montréal procède de cette façon : si les gens te voient faire des choses ils vont juste apprécier le truc se dire “Ok Lou Phelps, je vois qui c’est” mais les gens ne vont pas forcément te donner le support qu’il faut ensuite. J’ai l’impression que la scène de Montréal ne se voit pas tout le temps dépasser la ville et que parfois les artistes se contentent d’être appréciés par la ville. Moi j’ai envie de plus, d’être aussi connu que Drake. J’ai envie d’être “The biggest thing in rap” ! En tout cas, c’est mon état d’esprit, c’est l’état d’esprit qui me permet de me dépasser. Avec mon nouveau projet, j’ai des bons chiffres de streaming mais même là, Montréal ne me soutient pas forcément plus que ça.

Tu ne penses pas que ce soit lié au fait de ne pas pouvoir se produire en live en temps de pandémie ?

Aucunement. Si il n’y avait pas eu la COVID, j’aurai fait un show mais qui serait venu? Bien sur, les gens qui aiment et font partie de notre scène, la scène dans laquelle je rappe, ils sauront que je fais un show ou autre. Mais c’est pas comme si les gens allaient promouvoir ce que je fais.

Tu veux dire que les gens écoutent mais ne partagent pas forcément ce que tu fais?

Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens de Montréal qui partagent spécialement ma musique. Je pense des fois que c’est juste par orgueil. Genre “Oh lui je l’ai déjà croisé à Appartement 200 ou au SuWu (deux bars hip-hop de la ville)”. Les gens veulent avoir la chance de me rencontrer pour discuter de ma musique et ensuite partager. Donc je me suis mis dans une mentalité ou je devais juste penser a moi et moins à ce que ma ville pense de moi. 

La scène est quand même folle entre Lunice, Planet Giza, Rowjay, Freaky, ou en musique électronique avec Jacques Greene ou Martyn Bootyspoon.

J’ai l’impression que ça fonctionne bien pour tous les styles musicaux mais moins pour le hip-hop, le RnB voire le jazz. Il y a d’excellents musiciens à Montréal. Je pense que la ville est très inspirante pour un artiste mais que peu restent sur la longue durée dans la ville. Beaucoup d’artistes sur la scène mainstream sont bons.

Mais est-ce qu’on aura de la reconnaissance de la part des médias ? Non. Il y a la barrière de la langue, la barrière de l’accent… Quand tu rappes en anglais, un accent peut ressortir et les anglophones détestent l’accent québécois ! Si tu réussis aux USA, tu peux réussir partout. Mais si ce marché-là n’aime pas ton accent, comment vas-tu faire pour réussir ? A partir de ce constat, tu es amené a explorer d’autres marchés, l’Europe, l’Afrique, l’Australie… Parfois, je me dis qu’être un artiste montréalais, c’est quand même un vrai défi.

C’est vrai que je ne voyais pas ça sous cet aspect. Je vois la scène grandir depuis les années SoundCloud donc je me dis que vous allez forcément finir par y arriver !

Moi j’ai un très bon pressentiment et que les choses vont se passer en 2021!

J’espère que 2021 nous donnera le retour des prestations live…

J’ai vraiment hâte de recommencer à me produire sur scène. Surtout le Extra Extra, je m’imagine faire “Fire” en live et j’ai juste hâte !

Le dernier projet est sorti sur Celestial Morals. Est-ce ton label ? 

En 2012, j’ai décidé, avec ma copine de l’époque, de monter une marque de vêtements. Il s’avère que ça n’a pas trop marché donc j’ai transformé la société. Mon manager m’a expliqué ensuite que je pouvais sortir n’importe quoi sur Celestial Morals. Je me suis dis que je voulais l’utiliser pour sortir Extra Extra et pourquoi pas reprendre une marque de vêtement ou en faire une plateforme qui pourra aider d’autres gens…

Des collabs à venir ? 

J’ai deux projets déjà prêts. J’étais censé produire un projet avec Madlib mais ça ne sera finalement normalement qu’un EP. J’ai des sons avec Stwo, avec Da-P, Tony Stone… On essaye de trouver d’autres rappeurs avec qui je peux collaborer… Des choses arrivent. J’ai l’impression que la pandémie m’a bien aidé à cadrer les choses et à avancer sur mes projets. Il y a peut-être un label en jeu donc on prend le temps de faire les choses.

Lou Phelps – Extra Extra