Lomepal – Jeannine

lomepal-jeannine
Décembre 2018

Lomepal

Jeannine

Note :

Avec ce deuxième album, Lomepal confirme l’essai de FLIP avec un projet moins hip hop, d’apparence plus calme mais en réalité houleux de confidences. En effet, l’intime et la mélancolie frôlent l’indécence et nous touchent en plein cœur. Jeannine, prénom de sa grand-mère folle, mais également celui d’un passé mouvementé qui semble avoir dessiné les contours d’une personnalité forte et d’une musique libre. Au programme : introspection et déraison.

Les plus aguerris auront en tête une autre grand-mère bien connue dans le rap game portant le même homonyme. Depuis « J’essaye j’essaye » des Casseurs Flowters, le visage de Janine est effectivement bien connu du grand public et apparaît régulièrement sur les écrans géants des concerts d’Orelsan. Le parallèle est intéressant, d’autant plus avec la présence de ce dernier dans les featurings. Néanmoins, si Janine apporte quelque chose de solaire et décalé à l’oeuvre du rappeur de Caen, Jeannine, quant à elle, se traduit par des ramifications plus profondes et une histoire de famille tumultueuse.

Si si la famille

La famille, il en est question à bien des niveaux. D’abord, par l’histoire de sa grand-mère maternelle, cette personnalité atypique marquée par des troubles mentaux que Lomepal dépeint néanmoins de manière positive dans « Beau la folie ». En effet, cette femme aux milles anecdotes, cette femme qui a fait les soupes populaires en Inde, qui a déchiré ses papiers d’identité à la douane, qui se promenait nu quand bon lui semblait et qui déterminait son itinéraire en fonction de la position du soleil.

Les gens normaux se sentent bien dans la machine, grand-mère n’y a jamais trouvé sa place

Ces belles histoires sont en partie contées par la mère de Lomepal elle-même tout au long de l’album. Avec nostalgie, elle semble également vouer une réelle admiration à cette femme libre qui a mené la vie qu’elle voulait. Si on se doute bien que ce train de vie n’a pas toujours été rose, il lui a probablement apporté des vocations artistiques : sa mère est artiste peintre, une de ses sœurs est actrice, lui-même est musicien…

Les embrouilles sont évoquées à demi-mot mais on comprend que les figures masculines de la famille n’ont pas fait que du bien… entre l’ombre d’un grand-père tyrannique et l’absence de figure paternel. On se demande d’ailleurs s’il parle d’eux dans « Le lendemain de l’orage » :

J’ai jamais eu de bonnes raisons de les aimer, j’écrirais pas de messages d’excuse à ces messieurs

Sombre et instable

C’est justement dans « Le lendemain de l’orage » que Lomepal semble régler ses comptes et, sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, expliquer son spleen chronique. En effet, tout comme la famille, on retrouve la mélancolie à bien des niveaux. D’abord dans les intrus qui parviennent à constituer une atmosphère homogène, s’expliquant notamment par le mode opératoire : “En janvier 2018, Stwo, Superpoze, VM The Don, Mohave, Pierrick Devin et moi-même sommes partis à Rome nous enfermer dans un appartement pendant trois semaines, en fonctionnant comme un groupe, on est rentrés en France avec une vingtaine de maquettes, je n’en ai gardé qu’un tiers.”

Sur le fond, « Plus de larmes » traduit de manière très explicite ce spleen avec une dualité qui oscille entre l’autodestruction via les excès et l’envie obsessionnelle de gloire. A la manière d’une rockstar, il dit d’ailleurs avoir “peur de rejoindre le club des 27”. Mais l’une des choses qui semble le plus lui peser et auquel il dédie pas loin de 4 chansons, c’est l’amour. Dans « Dave Grohl », il raconte son train de vie de queutard, couchant avec des femmes différentes toutes les semaines sans jamais retenir leur prénom… jusqu’à ce qu’il rencontre cette fille l’été dernier le temps d’une nuit. Il ne la reverra jamais, idéalisant l’instant à la manière d’un amour juvénile. Heureusement, son pote JeanJass vient le réconforter dans « X-men » qui, à défaut de substance, a le mérite d’ambiancer.

Le point de grâce est atteint dans « Trop beau », d’une incroyable justesse entre les mots et l’instru de Vladimir Cauchemar. Le drama kitch fonctionne à merveille à la manière d’une vieille chanson française qui frôle la parodie mais s’équilibre parfaitement in fine.

Je te déteste comme cette phrase qui dit : c’était trop beau pour être vrai

Cette recherche de l’amour, on comprend dans « Le vrai moi » (même s’il est question d’une fiction) qu’il s’agit d’une quête salvatrice pour lui, qu’il ne sera complet que le jour où il la trouvera.

Équilibre et amitié

S’il n’a pas encore trouvé l’amour, il semble paradoxalement avoir trouvé son équilibre comme il le dit à plusieurs reprises dans l’intro « Ne me ramène pas » et le tubesque « 1000°C » en feat avec Roméo Elvis :

Un pied dans les flammes, un pied dans la glace
Séduit par les extrêmes, j’ai trouvé ma place

Mais surtout dans « Evidemment », l’un des plus beaux morceaux de l’album :

Dieu merci, j’ai enfin confiance en moi
Pourquoi vous voulez m’aimer maint’nant ?
Sert plus à rien de m’aimer maint’nant

Sa place, il la trouve en premier lieu auprès de ses amis auxquels il dédie un skit et deux morceaux. Le premier morceau, « La vérité », traite de la franchise avec humour que se doivent d’avoir les amis les uns envers les autres, en particulier dans la musique. Orelsan y intervient en clasheur sur une instru cartoonesque qui nous rappelle presque un « Jimmy Punchline ». Le second morceau, écrit par l’excellent Philippe Katerine, est une véritable déclaration d’amour à l’amitié dans une ambiance tendre et cotonneuse. Ces deux morceaux viennent apporter une vraie touche de légèreté et d’humour à l’ensemble du projet.

L’autre point sur lequel Lomepal semble s’être trouvé, c’est sur le plan artistique ! En effet, la musique de Lomepal oscille désormais entre rap, pop, électro et variété française. Sur FLIP, la transition était déjà notable et nous l’avions interrogé à ce propos et sa réponse était sans équivoque : “je pense que ce sera mon dernier projet rap. J’en écouterai toujours mais ça ne m’amuse plus d’en faire. Par rapport à ce que j’ai fait avant, le projet FLIP est ce que j’ai fait de plus abouti dans ce style et je pense clairement prendre d’autres directions. J’expérimente actuellement mais je ne peux pas en dire plus à ce stade.”

Quoi qu’il en soit, Lomepal réussi avec Jeannine à nous retranscrire les phases émotionnelles extrêmes qui le traversent. Une complexité entremêlée de paradoxes et d’incohérences qu’il arrive néanmoins à nous transmettre simplement. Autrement dit, un album intime et sincère qui nous ouvre les portes d’un esprit tourmenté, dément ou peut-être tout simplement affranchi comme l’était sa grand-mère…