Les liens qui unissent Daft Punk et l’univers hip-hop

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Les liens qui unissent Daft Punk et l’univers hip-hop

Artistes français les plus populaires de la planète, Daft Punk et leur aventure ont pris officiellement fin il y a quelques jours avec l’annonce de leur séparation. L’occasion pour nous de revenir sur les différents liens dans leur carrière qui ont uni le duo electro au hip-hop.

L’histoire retiendra que c’est le 22 février 2021 que le duo Daft Punk a annoncé officiellement sa séparation avec un montage énigmatique intitulé « Epilogue ». 30 ans après des débuts au sein de leur premier groupe Darlin’ aux influences très rock, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont donc décidé de mettre fin à leur aventure commune qui leur a permis de devenir les artistes français les plus connus dans le monde. Une première tentative musicale très courte, aux côtés notamment de Laurent Brancowitz (qui intégrera ensuite, lui, le groupe Phoenix), qui va toutefois permettre au futur duo de trouver leur prochain nom de scène en reprenant une critique acerbe qui qualifiait leur musique de « daft punky trash ». Les Daft Punk sont donc nés et rapidement les deux acolytes vont se réorienter vers un son beaucoup plus électronique.

Si l’un de leur premier morceau commercialisé, « The New Wave », sonne très techno et présente certaines bases que le duo va garder par la suite, leur sortie suivante marque, elle, un tournant et le véritable point de départ de l’aventure Daft Punk. Le morceau « Da Funk » est d’une efficacité rare reprenant au passage le fameux « Bounce, Rock, Skate, Roll » du groupe Vaughan Mason And Crew. Un mélange disco et électro qui puise ses influences dans un son teinté de funk et qui n’est pas sans rappeler l’héritage P-Funk de George Clinton et son collectif Parliament. Avec ce titre, Thomas et Guy-Manuel se sont appropriés à leur façon cette influence pour créer leur propre style, comme Dr. Dre l’avait fait précédemment avec le G-Funk pour le hip-hop.

La suite, c’est leur premier album Homework qu’ils sortent au tout début de l’année 1997, le 20 janvier exactement. Un projet fondateur pour les Daft Punk sur lequel on retrouve au milieu de la tracklist le morceau « Teachers » qui rend hommage aux artistes qui les ont les plus influencés dans leur construction artistique. Une séance de name-dropping parmi laquelle ils citent bien évidemment George Clinton, mais aussi Dr. Dre dont l’album The Chronic fût une véritable claque pour le duo en termes de sampling et de reprises. Le producteur de Compton qui partage également des racines électro avec le duo, comme en témoigne ses débuts au sein du groupe World Class Wreckin’ Cru au milieu des années 1980 dans cette scène électro-hop trépidante de Los Angeles.

Direction 2001 à présent avec leur sortie suivante, Discovery. Un projet qui va permettre au duo de s’imposer définitivement aux yeux du grand public avec des hits qui vont même être joués sur les radios généralistes. Un succès planétaire pour un groupe dont l’identité visuelle, pensée et maîtrisée de A à Z, intrigue et fascine autant que leur musique. Les Daft Punk gagnent donc de nouveaux fans parmi lesquels une communauté hip-hop qui va rapidement s’emparer de plusieurs extraits tirés de leur discographie. On y reviendra un peu plus tard, mais le « Stronger » de Kanye West est certainement la reprise la plus connue du hit « Harder, Better, Faster, Stronger ». Un single épique du duo dont l’un des remixes officiels réalisé par les Netpunes, et avec la voix de Pharrell Williams, apportent une nouvelle lecture à ce morceau dans un registre bien différent de l’original.

Sur ce même album Discovery, le beatmaker GB Hitz va s’attaquer au monumental « One More Time » pour le « LTFU (One More Time) » de Machine Gun Kelly, tandis que Davaughn va utiliser une petite partie du « Something About Us » pour créer le titre « We Up » de 50 Cent et Kendrick Lamar. Le morceau « Aerodynamic » va lui aboutir à deux créations distinctes, « Summertime » de Wiley et « The Joker » de Pacewon & Mr. Green (extrait de leur excellent album en commun The Only Color That Matters Is Green). De leurs côtés, Snoop Dogg et Lil B vont s’approprier plus ou moins subtilement les titres « Around The World » et « High Fidelity », extrait du premier projet du duo, pour donner vie à leurs adaptations respectives, « Around The World » et « Hipster Girls ».

Quant à Swizz Beatz, son utilisation du morceau « Technologic » pour le « Touch It » de Busta Rhymes va tellement plaire aux Daft Punk qu’ils reprendront même ce titre pour le show de leur tournée Alive. Parmi les autres samples piochés dans la discographie du duo, on peut également signaler les très bons « GarageBand » de Charles Hamilton et « Recognize » de G-Side qui s’emparent parfaitement des morceaux « Doin’ It Right » et « The Son of Flynn » extraits respectivement des deux derniers projets des français, Random Access Memories et Tron: Legacy.

Et pour conclure sur cette partie sampling, comment ne pas évoquer le morceau « Raise It Up » du groupe Slum Village sur lequel J Dilla reprend un extrait du « Extra Dry » de Thomas Bangalter. Un sample non déclaré qui aurait pu coûter très cher au crew de Detroit mais les Daft Punk et leur manager Pedro Winter décident plutôt, en contrepartie, de demander au trio de leur faire un remix du titre « Aerodynamic ». Un véritable cadeau pour Dilla, dont ils sont tous fans, qui relève ce défi haut la main dans un univers électro qu’il apprécie également. Le résultat sera intégré à l’album remix Daft Club, tout comme la reprise des ‘Tunes citée précédemment.

Dans la même période du début des années 2000, on retrouve une partie du duo Daft Punk en featuring sur le fameux single « 113 fout la merde ! » du trio 113 (Rim’K, AP et Mokobé). Pas du tout prévu à l’origine sur ce titre, c’est lors d’une visite surprise pendant l’enregistrement que Thomas Bangalter s’invite, avec son vocodeur, sur cette production du magicien DJ Mehdi qui avait préparé ce cadeau pour le groupe. L’un des featurings rap français les plus prestigieux dont la spontanéité va aboutir à un véritable hit pour le groupe de Vitry-sur-Seine. Jamais sorti officiellement en vinyle pour le grand public, l’année dernière, à l’occasion du Disquaire Day 2020, les fans ont enfin pu mettre la main sur quelques exemplaires très précieux lors d’une édition spéciale incluant également une version Dub inédite ainsi que l’instrumentale et l’a cappella du titre original en face B.

Bangalter et DJ Mehdi se retrouveront quelques années plus tard, quand ce dernier, qui avait déjà engagé un tournant électro, finira sa mutation au sein du label Ed Banger Records de Pedro Winter. Son album Lucky Boy, et surtout sa déclinaison Lucky Boy at Night paru en 2007, permettra à Thomas Bangalter d’offrir au beatmaker une nouvelle version détonante de son morceau « Signatune ».

Dans un autre domaine, mais pas moins intéressant, en 2009 le jeu vidéo DJ Hero nous présente dans sa playlist quelques mash-ups inédits entre les Daft et différents artistes hip-hop. Si Cut Chemist est à l’origine du mélange des morceaux « Lee Majors Come Again » des Beastie Boys avec le fameux « Da Funk », le duo électro s’occupe lui-même des dix autres remixes. Dans ce lot, trois mash-ups supplémentaires avec des titres rap qui mixent « Jack Of Spades » du Boogie Down Productions avec « Short Circuit », « Bust A Move » de Young MC avec « Around The World », ainsi que ce « Strange Enough » du groupe N.A.S.A., Ol’ Dirty Bastard et Fatlip (The Pharcyde) avec une nouvelle fois « Da Funk ». Quatre créations inédites qui méritent une véritable écoute attentive avec un travail d’une précision chirurgicale et truffé de détails intelligents.

Très sélectifs dans leurs associations, les Daft Punk se font extrêmement rares quand il est question de s’impliquer dans des projets extérieurs et travailler avec d’autres artistes. Cependant, deux personnalités de la planète hip-hop vont dans les années 2010 devenir des illustres collaborateurs. Tout d’abord, Pharrell Williams avec son groupe N.E.R.D pour lequel le duo frenchy produit le magnifique single « Hypnotize U » (extrait de leur album Nothing). Une connexion évidente et surtout redoutablement efficace qui, quelques années plus tard, va aboutir à deux nouvelles collaborations, cette fois-ci sur l’album Random Access Memories des Daft. On retrouve en effet Pharrell sur deux titres, le tube planétaire « Get Lucky » bien évidemment, mais aussi un « Lose Yourself to Dance » tout aussi entraînant.

Pour compléter sur le chanteur originaire de Virginie, on ne peut pas non plus passer à côté de ce sublime « Gust of Wind » réalisé une nouvelle fois avec le duo casqué. Un morceau tiré du second album solo, GIRL, de Pharrell en guise d’apothéose pour une entente musicale quasiment parfaite qui a offert à ce dernier une seconde jeunesse et l’a surtout réinstallé en haut des charts avec ces hits. Dans le même genre, en 2016, The Weeknd et les Daft Punk signent avec les morceaux « Starboy » et « I Feel It Coming » deux autres collaborations ultra efficaces et populaires.

Et en ce qui concerne notre seconde personnalité, il s’agit bien évidemment de Kanye West. Pour revenir enfin à son « Stronger », co-produit également par Mike Dean, ce morceau marque le début d’une collusion musicale, pour l’instant indirecte, entre les Daft et Ye. Si le duo français n’a pas participé à l’élaboration de ce titre, ils accompagnent toutefois le rappeur sur scène lors des Grammy Awards de 2008 pour le live de ce hit. Un titre qui lors de cette même soirée remporte aussi le prix de la catégorie Best Rap Solo Performance.

Les trois artistes vont laisser passer quelques années puis se retrouver enfin en 2013 pour quatre véritables collaborations sur le sixième album solo, Yeezus, de Kanye. Un projet particulier pour le rappeur qui décide de créer une œuvre brutale, sans concessions, et dont le morceau d’ouverture « On Sight » est très loin des standards de ses opening-tracks habituels. Ye avait pour ambition de bousculer son auditoire, voire le choquer, et pour se faire il est allé puiser dans les racines musicales de sa ville de Chicago pour se rapprocher du style acid-house. Un genre qui ne pouvait que parler également au duo français.

Les deux titres suivants sur la tracklist, qui contiennent également des contributions des Daft Punk, évoluent eux dans des sphères musicales légèrement différentes mais avec toujours comme ligne de mire un rendu qui se veut radical. Le très rythmé « Black Skinhead » sonne autant tribal que punk et peut compter sur des drums entraînants du duo français qui portent littéralement ce morceau. Dans un autre genre, « I Am A God » se rapproche plus par certains aspects de la trance et du dancehall avec ce sample vocal de Capleton qui ne dénote pas, bien au contraire. Surnaturel et paranoïa, Kanye s’approprie finalement très bien ces co-productions des Daft dont il a sélectionné des éléments bien distincts et complémentaires pour parachever son travail.

Et pour être tout à fait complet sur ce projet, l’ultime apport des Daft Punk sur le titre « Send It Up » est peut-être un peu plus difficile à déterminer, notamment avec les autres nombreuses contributions de Brodinski, Gesaffelstein ou encore Arca. Pour conclure sur Yeezus et ces collaborations, un véritable challenge s’est installé entre les trois artistes avec au final des morceaux importants dans la discographie du rappeur de Chicago.

En conclusion, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, nés au milieu des années 1970, ont grandi comme beaucoup en côtoyant plusieurs styles musicaux dont le hip-hop fût une des inspirations. Durant toute leur carrière, plusieurs liens se sont tissés entre leurs deux mondes aboutissant à des créations en tout genre qui lieront à jamais leurs univers respectifs. Et si aujourd’hui le duo Daft Punk n’est plus, il n’est pas à exclure qu’à l’avenir de nouvelles attaches se forment entre le rap et ses deux désormais ex-membres. On pense notamment à Bangalter, à suivre donc…