KOTA The Friend, un ami qui vous veut du bien

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KOTA The Friend, un ami qui vous veut du bien

Natif de Brooklyn, 3 EPs à son actif et une décontraction totalement assumée, KOTA The Friend vient de vivre sa première tournée européenne. Rencontre avec un optimiste pour qui la musique signifie à la fois lutte contre phobie sociale et véritable expérience de vie.

BACKPACKERZ : Tout d’abord, bravo pour cette tournée européenne et pour ton premier concert à Paris ! C’était comment ?

KOTA The Friend : Merci ! J’ai pris beaucoup de plaisir c’était une expérience incroyable pour une première en Europe et un premier show à Paris ! C’est une ville qui me fascine, je suis tombé amoureux direct.

Beaucoup de rappeurs nous disent qu’il y a une énergie très spéciale ici, est-ce que tu l’as ressentie ?

A 100% ! Il semble y avoir beaucoup de hip-hop heads par ici. Les gens sont à fond sur les lyrics, on sent vraiment qu’il y a une passion pour le rap. La foule est vraiment connectée, c’est assez indescriptible.

Parlons un peu de ta première rencontre avec le hip-hop…

Je pense que c’est assez difficile de remonter à mon premier contact avec ce genre musical, ça a toujours été autour de moi dès le plus jeune âge. Mon premier gros choc, je l’ai vécu après avoir piqué quelques CD à mon grand frère et écouté Jay-Z ! Je suis devenu un gros fan de The Blueprint et certains titres de Shawn comme “Hard knock Life” m’ont profondément marqués. Même si je n’avais pas forcément l’âge de tout saisir, en grandissant j’en comprenais davantage à chaque écoute et c’est vraiment avec lui que les aspects techniques et poétiques du rap m’ont frappé. Pour moi, il était comme un peintre qui dressait le portrait de la rue en apportant des nuances que tu pouvais comprendre seulement si toi aussi tu venais du coin. Il m’a indirectement enseigné tous les codes propres à cette musique.

En écoutant ta musique, on entre dans un univers bien particulier qu’on pourrait attacher au son de L.A alors que tu viens de Brooklyn. Comment expliques-tu cette nuance ?

Beaucoup de gens pensent effectivement que je viens de Los Angeles parce que j’ai une attitude décontractée et ça se ressent dans ma musique. J’ai plutôt l’impression d’avoir trouvé mon propre truc sans trop me soucier de comment je devais « sonner ».

Le côté marketing et réfléchi des morceaux, c’est tout ce que je déteste

Je fais très peu de morceaux qui parlent de New York, je préfère faire de la musique sur le moment présent. Je trouve que c’est important d’avoir un son qui évolue avec toi, avec les endroits que tu visites et les gens que tu rencontres car la musique et la créativité ça doit être fluide. Par exemple, le côté marketing et réfléchi des morceaux, c’est tout ce que je déteste. Je n’essaie jamais d’atteindre une audience particulière en créant un certain type de son, je fais juste de la musique.

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© ladegaine

C’est quelque chose qu’on constate bien quand on écoute tes trois projets : la spontanéité et l’évolution. Au fil des projets tu sembles plus confiant et plus libéré…

Je pense que les changements dans ma vie, dans ma tête y sont pour beaucoup. Les choses ont commencé à bien prendre et j’ai été contraint de penser différemment. Pour continuer à gravir les échelons, il fallait que je pousse ma réflexion et comme ma musique réfléchit naturellement qui je suis, elle a évolué elle aussi.

Tu parles souvent d’incompréhension et d’anxiété sociale, est-ce que la musique est pour toi la meilleure façon de t’exprimer et combattre ce sentiment ?

Ma musique a définitivement aidé les autres à mieux me comprendre. J’ai toujours lutté contre des problèmes de communication, même enfant. Les gens avaient du mal à me comprendre et inversement mais je pense que cette passion est venue mettre à plat tout ce que je n’arrivais pas à exprimer. Ça m’a fait beaucoup de bien et à mon entourage aussi.

Écrire et enregistrer dans sa chambre ou en studio est une première étape. Ces troubles ne t’ont pas freiné tes premières fois sur scène ? Comment as-tu appréhendé l’exercice ?

Je n’ai jamais ressenti d’appréhension ou de craintes particulières. Au contraire, j’essaie toujours d’arriver sur scène comme si j’entrais chez un psy : c’est ma thérapie, mon moment où je peux me laisser aller et tout sortir. Ce que je dis dans ma musique est rempli de faits de ma vie quotidienne et je cherche vraiment à toucher le maximum de monde avec ça. J’ai la sensation de pouvoir venir en aide par le biais d’un message positif et, pour l’instant, cela passe par le hip-hop mais les choses peuvent bouger…

Par le biais de la vidéo par exemple ? Il nous semble que tu veux également évoluer en tant que réalisateur.

Effectivement ! Je réalise déjà tous mes clips et j’apprécie particulièrement cet aspect créatif et expressif que tu peux avoir via ce format mais je cherche toujours de nouvelles idées pour m’améliorer.

En parlant de tes clips, il y a une particularité intéressante. Tu proposes toujours les sous-titres en jaune en bas de vidéo et, si par malheur tu les oublies, on te le rappelle systématiquement dans les commentaires. Il semblerait que le concept ait bien pris ! C’était quoi l’idée derrière ça ?

[Rires] Il y a toujours un mec pour le rappeler c’est clair ! J’ai eu l’idée quand je cherchais à réaliser mes premiers clips. Personne ne savait vraiment à quoi je ressemblais et je n’avais pas d’argent pour payer un réalisateur. J’ai donc décidé de le faire moi-même mais je voulais que les gens se concentrent autant sur les paroles que sur le visuel.

Ça va au-delà de musique, c’est une expérience humaine et je suis heureux de pouvoir la vivre.

Pour moi, les deux sont tout aussi importants et je voulais aussi laisser une possibilité aux gens de screenshot et partager certains moments avec les lyrics juste dessous. Les gens ont rapidement accroché et ça m’a encouragé à continuer pour aller jusqu’à en faire une sorte de “signature”.

On trouve l’idée assez cool aussi ici, surtout pour nous qui ne sommes pas natif anglais et qui passons des heures entières sur Genius pour comprendre tout ce que vous dites..

Je ne l’avais jamais vu comme ça mais c’est vrai que dès l’instant que ta musique traverse les frontières les gens ont forcément envie de capter tous les détails. Je vais pousser ça à fond !

Il y a deux ans, ton principal objectif était de faire une tournée à travers le monde. Aujourd’hui c’est fait, Europe en prime ! Quel bilan tires-tu de cette expérience ?

C’est vraiment un très gros chapitre qui vient de se refermer. J’ai toujours aimé la musique et même avant de vouloir en faire une carrière je voulais voyager et découvrir le monde. Le fait de pouvoir le faire à travers la musique, c’est une vraie réussite. J’ai vraiment besoin de ça, échanger des idées, découvrir des cultures, etc. Je pense que les gens sur cette planète ont besoin de se comprendre, mais pour ça il faut se rencontrer. Si j’ai la possibilité de voyager et de comprendre, alors je pourrais moi-même être meilleur et aider des gens à l’être. Ça va au-delà de musique, c’est une expérience humaine et je suis heureux de pouvoir la vivre.

Quel est ton prochain gros objectif ?

Sortir un très bon album ! Je n’ai pas l’impression d’avoir sorti quelque chose qui y ressemble encore. On me dit souvent que j’ai déjà fait trois albums mais je vois plutôt ça comme des EPs d’introduction. J’ai la sensation de n’avoir commencé à prendre tout ça au sérieux qu’il y a deux ans et je pense pouvoir faire beaucoup mieux. Ce nouveau projet, je veux y mettre toute mon énergie et encore plus que tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Attendez-vous à un vrai masterpiece !

Tu as déjà une vision particulière pour cet album ?

Pas vraiment, c’est un peu la page blanche pour l’instant, je profite de cette tournée. Tout ce que je sais c’est que je vais commencer par enregistrer quelques chansons et je verrais la tournure que tout cela prend.

Tu as collaboré dans le passé avec Sylvan LaCue, Khary etc… tu vises des collaborations particulières sur ce nouveau projet ?

C’est une question intéressante ! Je vais produire une bonne partie du projet mais j’aimerais bien que No I.D. vienne produire dessus. Pour les artistes j’aimerais beaucoup inviter Jorja SmithDaniel CaesarNoname… pas beaucoup d’artistes mais tous avec une trempe soul dans laquelle je me reconnais. Quoi qu’il arrive, ce sera un projet différent et plus abouti. Je vise au moins une année entière de travail alors que j’ai mis simplement quelques mois pour chacun de mes premiers projets.

Tu parlais de production et on sent que c’est aussi quelque chose qui te tient particulièrement à cœur, comment as-tu débuté dedans ?

J’ai d’abord pris une grosse claque niveau inspiration avec Pharrell et The Neptunes. Les drums qu’ils utilisaient, les sons qu’ils produisaient, tout cela sonnait vraiment comme unique et j’ai toujours voulu que l’on retrouve ça aussi chez moi. Je m’en suis beaucoup inspiré pour créer mes premières musiques jusqu’à ce que je trouve ma propre patte.

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© ladegaine

Beaucoup d’artistes commencent par la production et se font découvrir sur les réseaux. Tu penses que ton explosion est aussi en partie due à toutes les plateformes qu’on trouve aujourd’hui ?

Je pense que ça joue forcément. J’apprécie vraiment le potentiel de toutes ces plateformes et je trouve que ça aide beaucoup notre génération d’artistes à se faire connaître. Maintenant c’est très facile d’enregistrer dans sa chambre, mettre ça sur Spotify, SoundCloud etc… et se faire repérer. Pour les diggers c’est aussi une super opportunité de toujours découvrir du son frais. Tu te rappelles de LimeWire ?

Tu parles bien du citron où un téléchargement sur deux était du porn ?

C’est clair (rires), mais pas que ! C’est une des plus belles choses qui soit arrivée sur internet ! J’ai commencé à beaucoup digger avec ça au tout début et j’ai construit toute ma culture musicale avec ça. Mes parents n’écoutaient pas The Doors ou The Beatles mais il y avait tout sur LimeWire ! C’était incroyable ça m’a ouvert sur un tout nouveau monde. En tout cas, Spotify, YouTube et autres ont vraiment permis aux artistes indépendants de pouvoir gagner un peu d’argent avec leur musique et c’est un gros pas en avant même si le contrat est très mauvais.

On pouvait lire en 2016 que tu étais en indépendant, c’est toujours le cas?

100% indépendant ! Je ne suis pas secrètement signé quelque part et chaque chose que j’arrive à produire c’est grâce à l’argent que je mets sur la table. Je suis tellement en indépendant que chaque clip que tu peux voir sur YouTube, c’est moi qui le tourne.

Vraiment ?

Oui ! Je pose la caméra, j’appuie sur enregistrer, je cours devant la caméra et je commence mon truc. Généralement, je me tiens droit, presque figé, je commence à rapper et les gens qui passent me prennent pour un fou [rires].

Tu penses à éventuellement signer quelque part dans le futur ?

J’ai déjà eu quelques contacts avec différents labels, ça peut être une possibilité surtout si je veux atteindre des grands noms pour mon projet. Ça rendra la chose beaucoup plus simple mais je cherche encore la meilleure formule pour moi, ma famille et ma musique.

Tu abordes beaucoup le sujet de l’authenticité, c’est quelque chose que tu veux conserver même si tu signes quelque part ?

J’ai besoin de pouvoir rester moi-même et jusqu’ici je ne suis tombé que sur des labels qui le comprennent bien sans que j’ai même à l’expliquer. J’ai trop d’intégrité et de dignité envers ma musique pour me soucier uniquement d’un chèque. Je cherche plutôt un deal où on me donnera simplement toutes les ressources nécessaires pour aller de l’avant.

Le hip-hop actuel regorge de sous-genres aussi nombreux les uns que les autres. Est-ce que tu les apprécies même s’ils peuvent être très différents du tien ?

Ça m’arrive de temps à autre. Je ne vais pas te mentir il m’arrive d’apprécier la trap par exemple même si je ne suis pas fan du message véhiculé. Je vais facilement turn up sur un instru trap mais l’écrit est tellement éloigné de ce que moi je cherche à dire et tout est tellement contrôlé et dirigé par les labels pour passer en radio (ou streamer à fond) que ça m’intéresse beaucoup moins.

Qu’est-ce qui tourne en boucle chez toi en ce moment ?

Daniel Caesar et Noname. C’est à peu près tout en ce moment j’écoute énormément ces deux artistes.

On va clore sur une question très importante. KOTA The Friend, ça vient d’où ?

KOTA est un prénom qui vient du japonais et à plusieurs significations dont joie, chance etc… C’est aussi la transformation d’un nom Amérindien (KODA) qui veut dire ami, mais je préférais la prononciation KOTA. J’ai ajouté le “The Friend”, comme ça, parce que tout le monde a besoin d’un ami ! Les vrais amis sont difficiles à trouver et encore plus à garder, si je peux être une inspiration pour être un bon ami, alors c’est cool.


En attendant le prochain album, vous pouvez retrouver les trois premiers projets de KOTA sur toutes les plateformes. Cette interview a été menée et préparée avec l’aide de Théo Hauquin.