KAYTRANADA x Aminé – KAYTRAMINÉ

19 mai 2023

KAYTRANADA x Aminé

KAYTRAMINÉ

Note :

L’artiste de Portland s’unit au DJ / Producteur canadien KAYTRANADA afin de nous proposer un projet ensoleillé à l’ADN hip-hop.

C’est l’une des premières surprises de 2023. L’annonce de leur collaboration en a étonné plus d’un. Pourtant, leur duo sonne comme une évidence. Pour cela, il faut remonter dans les archives à l’époque Soundcloud, là où tout à commencé pour nos deux compères.

Une évidence artistique

Désireux de se faire un nom sur la scène rap, Aminé sort plusieurs mixtapes dont la fameuse Calling Brio en 2015. Cette dernière connaît un succès d’estime et se voit propulsée dans les oreilles de milliers d’auditeurs grâce au morceau « Not at all ».

Cette chanson a toute son importance puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un remix de KAYTRANADA, ce discret musicien capable d’hypnotiser les foules dans des vidéos à plusieurs millions de vues. Sans le savoir, nous assistions aux prémices d’un duo déjà incontournable. L’alchimie est présente, le natif de l’Oregon semble faire corps avec la palette sonore du producteur québécois.

Depuis, du temps a passé et leurs carrières respectives se sont développées.
Aminé a su se détacher de l’étiquette de “one hit wonder” que beaucoup de détracteurs ont voulu lui attribuer.
Fort d’une discographie solide comportant des titres couronnés de succès (« Caroline », « Compensating », « Shimmy »…) sa versatilité lui permet de sortir du champ purement hip-hop en étant invité par d’autres artistes (on pense à Disclosure avec « My High » par exemple).
De son côté, KAYTRANADA est devenu un grand nom dans le milieu musical.
Son dernier projet en date, BUBBA sorti en 2019 a été un véritable carton, au point de glaner quelques Grammy en chemin. Cette reconnaissance lui permet d’obtenir un nouveau statut dans l’industrie tout en multipliant les collaborations (The Weeknd, Kelela, Ravyn Lenae…).

Leurs expériences ont été essentielles dans cette réunion artistique intitulée KAYTRAMINÉ. Chacun a su faire évoluer son art pour composer cet album.
Le premier avant-goût se nomme « 4EVA » avec l’inépuisable Pharrell Williams à la co-production. Couleurs chaudes, couplets et refrains catchy… Le ton est donné, l’été peut commencer.

Contre-pied musical et hommage au hip-hop

Kaytra and Aminé, we the summer” affirme fièrement Aminé sur « Westside ».

Cette phase laisse place au doute. Lorsque l’on s’attarde sur les featurings de l’album, on s’aperçoit que le casting est très orienté hip-hop et bien loin de la vibe ensoleillée de « 4EVA ».
Tout comme leur single phare, la cover de l’album est assez trompeuse.

Sur un fond bleu azur arborant un logo psychédélique, les deux acolytes offrent leurs plus beaux sourires sur les transats roses.

Ce second degré (que l’on connaît notamment pour Aminé) leur permet de prendre une direction artistique complètement éloignée des codes du rap et de son imagerie plus violente. Leur stratégie est donc plutôt risquée mais maline de leur part. Toutefois, un simple coup d’œil à la tracklist suffit pour apercevoir cette constellation de grands noms : Freddie Gibbs, Big Sean, ou encore Snoop Dogg constituent ce casting 5 étoiles. Seule Amaarae, la sensation Afropop du moment semble offrir un peu de diversité au sein de l’album.

Néanmoins, KAYTRANADA est un véritable caméléon et peut proposer autant des sons Dance, R&B, Soul, que purement rap.
En effet, ses collaborations avec JID, Freddie Gibbs ou Lancey Foux l’année dernière sont de véritables piqûres de rappel pour le public.

La facilité aurait été de reproduire plusieurs hits dont lui seul à le secret et aboutir à un BUBBA 2.0.
Cependant, il s’éloigne de ce confort en prouvant une fois de plus qu’il est impossible de l’enfermer dans un genre spécifique. Cet album est donc un prétexte parfait pour exploiter tout son talent en exploitant divers styles (trap minimaliste sur « Westside », boom bap sur « K&A »…)

Outre la démonstration technique, on y voit un réel hommage à cette culture qu’ils affectionnent tant.
Le canadien démontre qu’il sait tout faire en élargissant sa palette musicale pour rendre hommage à ses pairs.

Par ailleurs, il ne s’en est jamais caché et n’hésite pas à parler de ses héros musicaux lors des rares interview qu’il peut donner. L’un d’entre eux est le très célèbre Madlib. Comme tout bon élève de l’école Madlib qui se respecte, KAYTRANADA a appris à digger afin de dénicher les meilleures boucles mélodiques.

L’influence de son maître à penser se ressent particulièrement sur les morceaux « Rebuke » et « K&A » en ce qui concerne le choix du sample ainsi que sa manière d’être découpé.

L’ambiance laid back tout comme la production qui est scindée par un surprenant beat switch dans l’outro « K&A » peuvent rappeler le travail du Beat Konducta (notamment Madvillainy 1 & 2, Pinata, Bandana)
Du moins, l’empreinte de ses idoles est plurielle : l’ombre des Neptunes plane sur l’instru épurée et minimaliste de « STFU3 » (rappelle « Drop it like it’s hot »), « Eye » s’apparente à ce que Timbaland et Danja ont pu réaliser avec la programmation des synthés sur « Summer Love » de Justin Timberlake, la minutie d’un J Dilla

La liste est assez variée pour peu qu’on y prête une oreille attentive.
En revanche, si les hommages sont explicites (comme le titre « Master P ») ou implicites à travers ces quelques inspirations musicales, on peut constater que cet album s’extrait de la case mainstream qui semblait lui tendre les bras.
Finalement, en étant presque composé intégralement d’anti-tubes, cet album prend l’auditeur de court.

Bataille d’ego-trip

Le contre-pied réside également dans la prestation globale du MC.
Dès l’introduction (« Who He Iz »), le message est clair et les premières secondes suffisent pour comprendre le caractère du projet. Des drums sèches, des synthés à la fois hypnotisants et menaçants accompagnent le flow nonchalant d’Aminé aux paroles pleines d’intentions:

We make heat shit, y’all make weak shit / KAYTRAMINÉ in this bitch, smokin’ on your album” (« Who He Iz »)

Le message est bien reçu, ils ne sont pas ici pour plaisanter et ils vont le prouver. Entre quelques vannes légères disséminées ici et là, Aminé affirme son statut de MC avec un ton bien assumé:

Lord, kill my ego, please take off my cool / I don’t want to be compared to these fools” (« Westside »)

Bien qu’il saupoudre ses textes de phases plus légères comme à son accoutumée, Aminé se met au niveau des productions de son partenaire. Ces solides prestations poussent de façon surprenante le curseur de l’ego-trip, quitte à transformer le projet en un “anti-album estival”.

Stupid motherfucker, I’ve been cute since a kid (True)
Type of face your mama wanna stick on the fridge (True)” (« STFU3 »)

L’apport des invités permet au rappeur d’élever son niveau d’écriture et de gagner en technique sur des productions pourtant peu évidentes. (en particulier sur l’outro « K&A », le véritable bijou de cet album)
Toutefois, la présence de tous ces guests prestigieux démontre l’ambition d’Aminé à vouloir se frotter aux plumes les plus affûtées du game… quitte à être éclipsé sur son propre travail.

En effet, tous les artistes offrent de solides performances et parviennent à s’intégrer dans l’univers du duo. On pense notamment à Big Sean sur « Master P » qui prouve qu’il faut toujours compter sur lui en 2023 grâce à l’élasticité de son flow et les différentes cadences qui lui sont propres.

Cette confrontation musclée face aux plus grosses pointures du paysage rap était peut-être une marche un peu trop haute pour lui. Sa présence n’en reste pas moins convaincante puisqu’il arrive à tirer son épingle du jeu grâce à son atout majeur: sa créativité au micro.

Est-ce peut-être le plus grand bémol de cet album ? Sans doute, car on attend plus de la part de l’artiste qui reçoit une myriade d’invités de marque.

Sous l’ombre du soleil

Bien que ce projet soit résolument calibré rap, quelques morceaux se parent de couleurs chaleureuses et estivales.
« 4EVA » en est un parfait exemple et ce n’est pas pour rien qu’il a été sélectionné comme fer de lance pour KAYTRAMINÉ.
Ce n’est pas la première fois que Pharrell coopère avec KAYTRANADA puisque leur duo a déjà pu faire des merveilles sur « Midsection ». (issu du dernier opus BUBBA)

Loin de l’ambiance kompa qu’offrait leur précédent morceau, « 4EVA » propose une formule plus classique voire conventionnelle lorsqu’on connaît le travail du producteur. Sans prise de risque, ce single reste diablement efficace.
En revanche, le titre « Sossaup » permet à Aminé de sortir de sa zone de confort. Les sonorités de ce titre aux accents afropop s’inscrivent dans la parfaite continuité de ce que KAYTRANADA a pu créer par le passé ou lors de ses dernières collaborations. (Notamment en ce qui concerne l’ambiance sonore créée par ses drums atmosphériques et ses nappes synthétiques présentes sur « On The Run » de Kelela ou encore ‘Girl’ de The Internet).
La voix d’Amaraae se marie parfaitement à la cadence mélodique plus rapide qu’à l’accoutumée du rappeur. Une telle rencontre artistique se doit d’être réitérée à l’avenir!

Pour conclure cette chronique, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que ce projet figure parmi les sorties les plus intéressantes de cette année 2023.
L’angle hip-hop qui a été préféré pour cet album est un risque qui aurait pu impacter la qualité globale de l’œuvre voire perdre une partie du public visé initialement. Néanmoins, cela montre le caractère des artistes à vouloir challenger son auditoire et lui proposer une direction artistique plus singulière. Le duo a progressé sur bien des aspects, que ça soit sur la façon de construire les productions tout comme sur la technique au micro. En revanche, la qualité du casting est à la fois un atout comme un désavantage pour Aminé. Il délivre de bonnes prestations qui peuvent s’avérer discrètes face aux excellentes apparitions de ses invités.

Malgré tout, il s’agit d’un premier opus d’excellente facture qui ne demande qu’à avoir une suite.

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Chronique rédigée par DE BOCK Steven