Jazzy Bazz – Nuit

Luxe, calme et volupté

Nuit se présente comme une virée nocturne dans la Ville Lumière. Luxueux s’il en est, le voyage s’apparente plutôt à un trajet sur les sièges en cuir d’un gros Range Rover, ou d’une Mercedes rutilante. Exit le bitume glacé et les égouts fumants de P-Town. Le parisien observe sa ville lunettes sur le nez, derrière d’épaisses vitres teintées. Une main sur le volant en bois, l’autre sur le chrome du levier de vitesse, le macadam fond sous ses roues et dégouline comme la lave. Les instrumentales soyeuses composées par Monomite, Loubensky, The Hop, Kezo et Fox enveloppent Paris d’un voile satiné. « Ma vie est dure, tu peux l’habiller de velours », dixit l’intéressé dans « Cinq heures du matin. » Quoi qu’il en soit de ses belles, les producteurs ont, eux, pris l’artiste au pied de la lettre.
Les lignes de basses étirent le temps à l’infini, les synthés traînent langoureusement et les guitares électriques pleurent. Cuivres, bois et cordes dialoguent avec harmonie, tandis que la rythmique des 808 ancre l’œuvre dans notre ère.
J’prends la routine et je la fais groover.
Le process créatif est fidèle à cette phrase. Jazzy Bazz s’inspire de son quotidien à Paris, entre flirts malheureux et errances alcoolisées sur ses boulevards, pour en restituer une image sublimée. Comme un rêve éveillé, bercé par la chaleur de l’été. La distance mise entre la Capitale et lui est explicite sur la pochette, signée David Delaplace : loin du tumulte, Jazzy Bazz scrute la rue et stalke le voisinage à sa fenêtre. Bien que grillée au sens propre comme au figuré, la lumière au néon qui éclabousse le papier peint ajoute au faste.

Poétique justesse

Éminemment poétique, Nuit révèle une foule d’images plus évocatrices les unes que les autres. Distillées sous forme d’habiles punchlines ou de métaphores soignées, elles créent un album photo des plus riches. Sur le portrait de famille, des visages connus apportent du grain à la photo. La technique de Nekfeu monte en puissance sur « Éternité », cette fois sans négliger le fond au profit de la forme, et incendie la pellicule sur « Stalker ». Venimeuse et enivrante, la voix de Bonnie Banane infecte ce même titre comme un poison. Et le tour de table ne fait que commencer !
Dans leurs fauteuils capitonnés, le cousin Alpha Wann et le frère Esso Luxueux renforcent le ton désenchanté d’« Insomnie ». Lonely Band effleure « Sentiments » du bout de sa plume et Sabrina Bellaouel illumine « Minuit » comme un quartier de lune. « Des parfums qui font rejaillir des souvenirs. Des joies et des peines, des larmes et des sourires » : la poésie atteint le summum dans « Parfum ». Sur fond de saxophone et de guitare sèche, des volutes odorantes s’échappent du vinyle et chatouillent les narines. Tel un beau papier glacé, le mix subtil vient enfin parachever ce disque. Les effets sur les voix, qui se dédoublent et s’entrelacent à l’envi, lui confèrent un joli supplément d’âme.

Mise à nu

Vulnérable, Jazzy Bazz montre avec Nuit une facette nouvelle. Les textes introspectifs donnent à voir un homme plus sage, toujours en proie à des questionnements existentiels. L’amour, en filigrane dans presque chaque morceau, tient le premier rôle. « Quand j’parle d’autres meufs, j’suis dans mon personnage poupée », avoue le Don Juan. Malgré son prétendu détachement, Iván ose déclarer sa flamme sur « Laeticia ». « J’me sens stupide de l’exprimer en musique. C’est difficile d’assumer cet amour à sens unique. » Que sa muse soit fantasmé ou non, la prise de risque est, elle, bien réelle. « J’serai un vrai bonhomme quand j’saurai dire je t’aime. » Apparemment, voilà qui est fait.

Personnel et organique, Nuit est sûrement l’album le plus atemporel de Jazzy Bazz. À l’ultra-Parisien brut succède un romantique en mal d’amour. Un rêveur les pieds sur terre, qui redéfinit les contours de son identité. Un dur au cœur tendre, prêt à dévoiler ses failles pour mieux asseoir sa force. Très concis, l’album offre une belle variété d’ambiances, du crépuscule jusqu’à l’aube, avec le renfort d’un casting trois étoiles. Entre chien et loup, le véhicule de Jazzy Bazz roule sur les pavés parisiens comme sur un tapis de velours. Une caresse après le coup de poing P-Town.
Florian Perraudin-Houssard

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