Avec Ridicule, Ryu MC enfonce le clown

Avec Ridicule, Ryu MC enfonce le clown

C’était écrit : Ridicule ne pouvait sortir qu’un 1er avril, mais attendre 2015 pour l’album de Ryu MC a fait trépigner un bon paquet de riders. Sacré V.I.P. sur les morceaux chauds du Club Splifton d’Aelpéacha, le rappeur du Val Mobb (crew localisé dans le Val Maubuée, le « val des mauvaises buées », Marne-la-Vallée) débarque avec un album varié, mais cohérent, intégralement produit par Aelpéacha.

« Ridicule a bientôt 10 ans en fait, il était temps que ça sorte, tout simplement », lâche Ryu MC à l’entrée d’un rond-point, sur la route du skatepark à proximité de Montévrain, Seine-et-Marne. « Ça fait longtemps que j’ai entamé ce travail avec le A (Ndla : l’un des nombreux surnoms d’Aelpéacha), et rien que l’introduction a été enregistrée en 2006. » Le temps ne se rattrape pas, mais Ryu MC le passe en bonne compagnie de ses riders, au premier rang la Splifton, où il officie en tant qu’« électron libre » : « Ils m’ont toujours appelé quand il y avait des sons de cul .»

Du cul, du cul et encore du cul

Et dès qu’il s’agit de cul, Ryu MC est comme le barreau de chaise au petit matin : au rendez-vous, et il a bien sûr sa place sur l’hymne des fins de concerts de Aelpéacha, « Yapaqulachatte », aux côtés de J’L’Tismé et MSJ, dès 1999. « Bien qu’il y ait beaucoup plus de sexe maintenant, qu’il soit plus accessible, les gens restent dans une sorte de puritanisme hypocrite. La sexualité, je trouve que c’est un truc qui se défend : tout le monde le pratique, y prend plaisir, y pense. Et quand je chantais « Yapaqulachatte« , c’était en pleine connaissance de cause. »

Si certains morceaux de Ridicule sont playlistables, inutile de souligner que la plupart sont NSFW, à moins d’être prêt à supporter les regards accusateurs des collègues. Enfin… Ça peut valoir le coup d’essayer. Bien entendu, il ne pouvait y avoir un album de Ryu sans le domaine où excelle le MC : « Le premier texte que j’ai interprété sur scène était un texte de cul, avec Booyave Tribe, formé au lycée, une sorte de parodie du groupe californien Boo-Yaa T.R.I.B.E.. Le refrain c’était « Booyave, tel est le mot d’ordre, booyave, booyave, booyave ». » C’est assez clair ? Si les paroles sont crues et le style direct, le grand soin apporté force l’admiration même chez les plus pudiques. Les rimes choquent ou font éclater de rire, restent toujours accompagnées par un mixage et des instrus au top.

C’est le cas par exemple de « Bondadada », parodie cul de « Da Da Da », titre new wave 80’s du groupe allemand Trio. Le rythme minimaliste, seulement kicks et synthé, porte le flow de Ryu MC vers un refrain catchy, le tout sur un air de Miami bass, genre popularisé par le 2 Live Crew. La parodie est une des traditions en vigueur chez Splifton et consorts, comme elle peut l’être chez un Blowfly, notamment : « En fait, j’ai jalousé Le A et JL’Tismé pour le morceau « Suce lèche ma teub  » [sur Cinquante-Cinquante, en 2007]. On avait fait « Sex Express », mais on l’a mis sur Garde la position, d’Aelpéacha. Ah oui, et Bonda veut dire « cul » en créole. » On l’aurait parié.

Dans Ridicule, la parodie fait la paire avec l’autodérision : « C’est tout l’esprit que je veux communiquer aux gens, qu’ils s’éclatent un minimum avec le son, cette musique… » Écouté au premier degré sonore, « J’fais mes gammes » morceau inaugural et grandiloquent, conduira ainsi l’auditeur de Ridicule sur une piste pour mieux la détourner.

Toutes directions

Une des premières sorties notables dans laquelle Ryu MC est impliqué remonte à septembre 1997 et la mixtape What’s the Flavor ? 25 de DJ Poska, le fameux artisan des compilations Première classe. Il officie alors au sein de Yusiness, qui apparaît donc sur la même tracklist que Oxmo Puccino, les Sages Po, Metek ou La Brigade.

Grâce à une maquette composée par… Aelpéacha, la Yusiness, qui rassemble alors Epsi, Yugson, Joke, MSJ, Ryu MC et Yoka, se fait suffisamment entendre pour attirer l’attention de Funky Maestro. Et donc des DJ du collectif La Face B (Kost, Poska, Goldfingers, Doze), qui emmènent Yusiness, entre autres, sur le premier volume de Nouvelle Donne et le deuxième de Hostile Hip-Hop. La première compilation Hostile Hip-Hop a été un succès, la seconde, un peu moins, mais quelques opportunités se présentent pour Yusiness : « On est vite partis avec MSJ… De toute façon, les groupes de rap signés était obligés de dénaturer à fond ce qu’ils faisaient. Moi, c’est ce que je me suis refusé de faire », assène Ryu MC.

https://www.youtube.com/watch?v=nlBGsY205z8

Pour tous ces rappeurs de la troisième génération, aussitôt signés dès la sortie d’une mixtape, la réception fut parfois difficile. Si Ryu MC s’en est sorti haut la main (sa présence régulière aux concerts de la Splifton en atteste), l’album apportait avec lui son lot de solos, pour un habitué des groupes. « Le solo, j’en faisais déjà à l’époque du Blagamass, mon deuxième groupe. Et le taff avec les autres groupes, c’est super enrichissant en terme de style : tu fais ta shit, mais il faut qu’elle soit en minimum en cohésion avec celle des autres. » Avec Hostile Hip Hop 2, Ryu fait la connaissance des gars de 16/9, autre groupe invité, avant de rejoindre des groupes comme Ors Piste ou Mind’as, « l’under de l’underground ».

« Yusiness avait un gros niveau de technicité pour l’époque, mais je mettais énormément de mots. Et j’ai appris la simplicité, cette variété dans les flows ». L’album en rend compte avec des sonorités boom bap, West, créoles et spliftonesques, toutes plus soignées les unes que les autres. On parie que « Le Moment M », avec les scratchs de DJ Lumi, du Val Mobb, fera bouger la tête de nombreux Backpackers (« L’heure change » aussi, sans doute)… Pour que des instrus aussi variées s’enchaînent si facilement, il n’y avait pas 36 solutions : « Le A est un putain de motherfuckin’ musicien, je connaissais sa valeur dans la musique, et je savais qu’il faisait d’autres choses que de la West. Il sait quoi me proposer comme son, celui que personne d’autre n’aurait pris. »

Autant de destinations

Avant d’évoquer l’une de ses instrus, arrêtons-nous sur l’album Ridicule, l’objet : sur la pochette, « une grimaçe à dix doigts » de Ryu MC, évidemment réalisée sans trucages. Puis une photo de chiottes imprimée sur le CD, et une fois celui-ci inséré dans l’autoradio, Ryu rivé dans un arbre, à oualp’. Une bon résumé visuel des intentions de Ryu MC, à laquelle il faut ajouter le skate, un autre terrain de jeu exploré dans « 4 A Ride », qu’on croirait littéralement enregistré pendant une session au skatepark. « Ce qui me fascine dans ce sport, c’est que même quand tu tombes, tu peux te relever et retenter des choses, c’est une sorte de philosophie de vie de dingue. La connerie, c’est de ne pas croire en ce que tu fais. Moi j’y crois tellement fort que quand je dis que ça me tuera, c’est que j’irai au bout de ma connerie. Ce dans quoi je vis, c’est ce dans quoi je vais mourir, donc le ridicule me tuera. »

En embuscade à la sortie de l’album, « Le ridicule me tuera » vient surprendre une dernière fois, avec son désopilant refrain et ces couplets déprimants qui résonnent encore sur le jeu de guitares de Joffrey Drahonnet (3 minutes sur 8).La plupart des albums produits par Aelpéacha comportent de tels morceaux de bravoure : « Dans ces rues », « Splifton Southside Sarcelles Fonk », « Dans la caisse » ou « Le Mal de la Vie ». « Le ridicule me tuera » se classe sans peine à leurs côtés.

L’autre surprise au sein de Ridicule, c’est l’interprétation de certains morceaux en créole, et les références musicales à la Guadeloupe. Dès la mixtape de Poska, Ryu mélangeait phases en créole et d’autres en français, mais l’exercice s’était fait plus rare dans la suite de sa discographie. « Pour mon album, parce que c’est personnel, il fallait quelque chose de personnel, et mon amour pour mes origines, mon île, ma négritude, je devais les représenter. Si je fais un zouk, je ne vais pas faire un zouk qu’en français… Certes, « Valé » est un faux zouk, parce qu’il y a du rap dedans, mais mon refrain, je voulais qu’il soit en créole, et ma petite intro aussi », souligne le MC.

Pour « Gwokal », Ryu MC et son frangin (qui assure aussi la basse sur « Valé ») se sont fait plaisir avec une autre reprise-parodie, de la chanson « Pas Fan Di Ou » du groupe haïtien Les Aiglons : tandis que son frère martèle un gwoka, tambour traditionnel guadeloupéen, Ryu fredonne et balance quelques paroles, dont « kouni a manman’w », une des pires insultes en vigueur dans le pays (on vous laisse poser des hypothèses de traduction). Au premier rythme s’ajoutent ceux d’un ka (tambour), des chacha (sorte de hochet qui va de pair avec le gwoka) et la cuica (tambour à friction), autant d’instruments traditionnels. Aelpéacha lui-même et d’autres larrons surviennent peu après, dans le rôle des répondeurs, une configuration là aussi traditionnelle. Le tout en un peu plus d’une minute, le temps d’un délire. C’est là la magie des riders : même à la limite de ce qui peut être considéré comme le bon goût, le tout est exécuté avec tellement de finesse que même les paroles les plus grasses finissent par fasciner. Ah, oui, et « Gwokal » veut dire « grosse bite »

Inimitable

La fameuse instru faite pour Ryu MC et personne d’autre, c’est celle de « Com 1 Ver OQ », morceau apparu pour la première fois sur la compilation d’Aelpéacha, Lache 7 Merde (2006). « J’ai pris ce nom au sens littéral, et j’ai fait du lourd et du puant. Mais certains m’ont dit que j’étais passé en mode prof de français sur ce son, avec les « couches sédimentaires » et tout, ce vocabulaire très spécifique… », se rappelle Ryu MC. Décidé, il faut l’être pour se lancer dans une chanson complète sur la merde, dans des conditions particulières, qui plus est. « Sur Lache 7 Merde,  » Com 1 ver OQ  » était « One Shiotte », parce que tous les couplets ont été enregistré d’un coup, alors que je les avais écrit dans la semaine. Et j’ai enregistré assis, avec une voix particulière, pour simuler le mec en train de chier. C’était du grand n’importe quoi, et ça devait être sur Ridicule. » L’heureuse collaboration sur « Com 1 Ver OQ » se multiplie tout au long de l’album : le producteur connaît bien le MC, et ça s’entend. « Je ne voulais qu’un seul et unique producteur. Le A s’est lui-même qualifié de beatmaker sur Ridicule, parce que j’ai largement participé à la réalisation, mais je connaissais son savoir-faire en termes d’instru. »

ryu mc interview ridicule copie 1 - copie

On retrouve aussi sur Ridicule les habitués des productions Studio Delaplage, avec S.O.B., MSJ ou DJ Easy K, mais aussi les interventions de musiciens ou MCs issus des autres groupes de Ryu MC, comme Mirage et le saxo du Magnetik Band (formation d’une dizaine de musiciens), ou RadG et Téma l’Alien, avec lesquels un trio était apparu pour la première fois en 1999. Quant au Val Mobb, le crew principal de Ryu MC, il s’est créé il y a environ 5 ans, et rassemble des têtes brûlées comme Daïz, Mirage, Losee Loss, DJ Lumi, DJ Lyrik, Lemdi, Smoof et Moax, Walter, Pirate Nitro, Sexan ou La Belle Deum’s.

Ryu MC travaille « avec ceux qu’il connaît », et tous sont visiblement partants pour une deuxième tournée, « avec des trucs un peu plus modernes », et sûrement en moins de 10 ans, cette fois. Mais on y trouvera sans doute la même indépendance, la même liberté de ton, la même persistance dans une brillante débilité. « Jusqu’au bout du bout du bout. Cap Horn, comme je dis souvent », promet Ryu MC.