ICO, le « petit con » qui passe de YouTube à La Cigale

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ICO, le « petit con » qui passe de YouTube à La Cigale

Inconnu il y a peu, ICO s’est imposé en un an dans le paysage du rap game francophone. Les plateformes comme Deezer et YouTube ne s’y sont d’ailleurs pas trompées en élisant l’artiste « Relève du Rap » pour les premiers, « Ones to Watch 2019 » pour les seconds. Excusez du peu.

Enfant de YouTube, ICO y est omniprésent, et chacune de ses vidéos collectionne plusieurs millions de vues. Doté d’un style d’écriture déjanté rempli d’images et de vannes à la volée qui marque les esprits, ICO n’en reste pas moins un MC capable de parler de sujets graves sur le ton de la dérision, le tout sur des airs entraînants. De sa chambre où il composa ses premiers morceaux aux plateaux TV, tout semble aller très vite pour cet artiste, qui s’apprête à jouer une de ses premières scènes dans la mythique salle de La Cigale. Nous avons donc voulu échanger avec celui qui a débuté dans la musique en tant que producteur pour en connaitre les origines, l’éducation et savoir ce qui l’a poussé à passer derrière le micro pour nous offrir ce premier album, sobrement intitulé Petit con.

BACKPACKERZ : Cela fait quelques semaines maintenant que ton album est sorti, quels sont les retours qui te sont faits ? 

ICO : Pour l’instant c’est très bon, aussi bien en termes de chiffres de ventes, que des retours du public ou de la presse. J’appréhendais un peu les retours presse avec mon image un peu sulfureuse, mais au final tous les médias semblent apprécier. Je suis donc très content du résultat.

YouTube occupe une place importante dans la montée de ta notoriété. Penses-tu aujourd’hui que cette plateforme soit devenue incontournable pour lancer de nouveaux noms et que la musique elle-même ne suffit plus à un artiste pour se faire une place ?

YouTube est vraiment l’endroit où il faut percer. Tous les gens qui font des grosses tournées aujourd’hui ont une grosse chaîne YouTube. C’est devenu une énorme cours de récréation, c’est le média numéro 1 et je pense que ça va durer. Je suis fan de YouTube, depuis petit je suis captivé par ce média, j’ai toujours voulu percer sur cette plateforme. Je suis d’ailleurs en partenariat avec eux pour la promo de mon projet, et cela s’est fait naturellement.

Tu as commencé par le beatmaking. Qu’est-ce qui a réellement motivé ton passage de producteur à rappeur ? 

L’argent, tout simplement…

Aujourd’hui, les producteurs sont vraiment mieux considérés et mis en avant , est-ce que tu envisages de garder cette casquette et produire pour d’autres artistes ?

Oui bien sûr. Un beatmaker peut gagner sa vie en faisant des prods, mais indéniablement moins qu’en tant qu’interprète. Pour autant, je garde ma casquette de producteur, les maisons de disques continuent de m’appeler pour des camps de productions avec d’autres artistes. Quand le projet est intéressant, je réponds positivement. Par exemple, pour le dernier album de Lorenzo j’ai été sollicité en tant que topliner. J’ai aussi passé deux jours en studio avec Seezy pour l’album de Lorenzo, on a fait le track “Power Rangers”. Je ne suis pas que rappeur et je dirais même plus que ma casquette de producteur durera plus longtemps que celle de chanteur. Il ne faut pas oublier que je suis musicien avant tout. Je peux faire de la musique jusqu’à la fin de ma vie, tandis que pour le chant, rien n’est moins sûr. Pour le moment, je suis dans un super trend mais je reste conscient que tout ça peut un jour me soûler. Et c’est bien que les maisons de disques commencent à vraiment essayer de valoriser le travail des producteurs, ça crée des ponts intéressants avec d’autres artistes.

On te parle souvent de ton platine en tant que producteur sur l’album de Loïc Nottet. C’était un accomplissement pour toi ?

Je m’en bats un peu les couilles, je dois te l’avouer. Ce n’est pas vraiment le mien. Je ne veux pas décrédibiliser le travail des producteurs, je suis d’avis que, quand un morceau pète, le producteur doit être crédité et être mis sur le même piédestal que l’interprète. Après, moi, en tant que producteur, ça ne m’a jamais touché de recevoir un disque de platine sur un album où j’ai produit pour un autre artiste. C’est super pour mon CV mais ce n’est pas le mien. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de devenir rappeur. L’argent de ce platine, je ne l’ai toujours pas reçu. En tant que producteur, tu es trop dépendant de la Sacem, des autres artistes, d’énormément de choses. Tu reçois l’argent quatre ans après, ça n’a aucun sens.

Sur ton projet, on retrouve de nombreux producteurs dont Junior Alaprod ou Ambitious. Ils sont à l’origine d’environ la moitié des titres, le reste c’est toi. Cet équilibre entre tes prods et celles des autres était-il voulu ou ça s’est fait naturellement ?

A la base, l’album n’était produit que par moi. J’avais une quinzaine de titres, que de moi. Je tenais beaucoup à cette idée que je savais tout faire moi-même et qu’il n’était donc pas nécessaire de travailler avec d’autres personnes. Puis à l’écoute du projet, je trouvais que ça manquait de propositions un peu plus variées, que c’était assez monochrome. Et c’est justement lors d’un camp Universal où j’ai rencontré Junior Alaprod que j’ai commencé à m’ouvrir. Quand tu écoutes les deux tracks que j’ai bossés avec Junior et Ambitious, ce sont clairement deux titres que je n’aurais jamais réalisés seul. “Tututu”, qui est dans la veine de Bramsito et Booba, un peu afro-trap, et “Fiat Panda” qui est clairement une couleur que je n’aurais jamais obtenue seul. Ça a permis à l’album d’avoir une vraie couleur, et je suis très heureux du résultat.

Quand on est soi-même producteur, l’écoute des prods à sélectionner pour son propre projet est différente j’imagine. Comment s’est passé ce travail de sélection ?

Je suis méga difficile sur ce sujet. Sur une centaine de prods que je vais recevoir, il y en a peut-être deux qui vont me rester à l’oreille. C’est ce qui est compliqué, quand tu sais produire, ça te crée des biais et ça te bloque vraiment. Sur ces 100 prods, il y en a en réalité une vingtaine qui sont vraiment bonnes, mais mon oreille de producteur me rend beaucoup plus exigeant. Il faut que je me calme un peu sur ce point.

En tant que producteur, tu es trop dépendant de la Sacem, des autres artistes, d’énormément de choses.

Tu es signé dans l’équipe de Roméo Elvis. Comment s’est faite la connexion ?

Je suis artiste indépendant avec ma propre structure et j’ai un deal de distribution avec Believe. Je suis managé par l’équipe de Back In The Dayz, qui sont également les managers de Roméo Elvis, Caballero et JeanJass. C’est avec eux que je taffe tous les jours pour braquer le game.

Qu’est-ce que cette équipe t’a apporté dans la conception de l’album ?

Ils m’ont apporté exactement ce dont j’avais besoin. Je n’ai jamais eu besoin de personne pour faire de la musique, j’en ai toujours fait seul dans ma chambre depuis que je suis petit. J’ai mon propre studio. En revanche, du côté administratif, ils m’ont énormément apporté, comme l’interview que nous faisons aujourd’hui. Je ne peux pas gérer mes relations presse, ma tournée et faire mon album. Ils m’ont aussi aidé pour aller négocier en maison de disque, éviter les pièges associés aux contrats.

© JuPi

Justement, le jour où tu signes ton contrat, que ressens-tu ?

Je suis content de m’être entouré de cette équipe-là. Lorsque j’ai commencé à faire mon buzz depuis ma chambre, tu as toutes les maisons de disques qui t’approchent, et à ce moment-là tu es seul face à elles. Tu es un petit artiste et des noms de grandes maisons de disques que tu écoutes depuis tout petit viennent te faire du pied. Tu arrives donc sur Paris avec ton petit sac à dos, tu rencontres tous ces gens qui te proposent des contrats totalement crapuleux. Tu es un petit gars à qui on propose 50 000 euros tu ne vas pas lire les clauses. Tu signes direct ! Ce que tu ne sais pas, c’est que dans les clauses il y a une phrase qui dit que le contrat est reconductible obligatoirement chaque année pendant 5 ans pour 5 projets, donc au final c’est 10 000 euros par an. Les comptes ne sont plus bons… Je me souviens toujours de cette scène où l’on m’a proposé ce contrat, j’ai alors voulu prendre un peu de hauteur, pour peser le pour et le contre, et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’équipe de Back in the Dayz. C’est la meilleure structure en Belgique, ce sont les numéro 1.

Deezer t’a sélectionné pour faire partie du projet La Relève. Comment accueilles-tu cette nouvelle ?

Sans vouloir paraître prétentieux ni arrogant, je trouvais l’invitation légitime. Il faut regarder les chiffres avant tout, ils parlent d’eux-mêmes, quand tu as des millions de vues et que tu as moins d’un an dans le game, c’est en effet normal d’être convié. J’ai été très touché par cette invitation et j’ai essayé de l’honorer du mieux que j’ai pu en essayant de me démarquer. C’est une très bonne expérience dans l’ensemble.

Quand tu as Élie Semoun et Éric Judor qui, sur le plateau de Clique TV, lisent tes paroles sur le plateau en se marrant sur la qualité de tes rimes, qu’est-ce que tu ressens ? 

Je me dis qu’on s’approche du but en étant sur un plateau avec des gens que tu regardes depuis que tu es tout petit. J’étais super flatté d’avoir reçu l’invitation de Mouloud sur son plateau et je l’en remercie.

YouTube est devenu une énorme cours de récréation

Combien de temps t’a pris la conception de cet album ?

Un an depuis le premier track. Il faut savoir que dans cette même année, j’ai sorti une trentaine de clips, un toutes les 3 semaines, j’ai énormément taffé. C’était très compliqué d’allier ce travail avec la préparation de l’album. Lors de la dernière capsule, l’album était prêt, j’ai fait du coup un peu de teasing.

On te parle souvent de « Stéphanie » car les gens considèrent que c’est ton seul son sérieux, et tu sembles partager ce point de vue. Pour autant, derrière des instrus entraînantes et ton humour décalé, la plupart des sons traitent de vrais sujet : la célébrité , la peur de l’infidélité, le mal-être des artistes, l’éducation… j’ai plutôt l’impression que tu utilises cette légèreté apparente pour parler de thèmes en réalité très sérieux…

Merci beaucoup pour cette analyse ! Ma pire hantise, c’est d’être catégorisé comme le chanteur à blagues. C’était exactement le but de cet album, venir avec un projet solide et cohérent, qui dure dans le temps. Il fallait que je garde ma patte du gars léger, drôle, tout en étant marquant. Je suis content d’avoir gardé cette légèreté tout en évoquant de vrais sujets. C’est pourquoi je suis beaucoup revenu dessus lors de sa conception pour trouver le juste équilibre. La première version était trop sérieuse, la seconde beaucoup trop golri, et au final j’ai trouvé le bon équilibre.

Justement, j’ai cru comprendre qu’il y a derrière le texte de « Stéphanie » une histoire qui t’a touchée…

Je n’ai jamais vraiment répondu à cette question, je n’ai pas fait ce morceau pour dire que c’était une histoire vécue ou non. J’ai fait ce morceau pour faire passer un message, évoquer ce sujet mais pas pour parler de moi. Après dans mes morceaux, il y a des éléments de réponse, comme dans le premier titre, où j’évoque toutes mes ex, il y a une Stéphanie…

As-tu eu des retombées de personnes touchées de près ou de loin par ce sujet ?

A l’infini oui ! L’accueil est super même si je ne vois pas trop comment ce morceau aurait pu être mal accueilli.

Finalement, ce genre de morceau est assez rare, aussi sérieux dans leur légèreté…

Le morceau reste léger. Si on enlève la dernière phrase, je ne trouve pas le morceau si lourd que ça. Mais je pense que ça impacte plus les parents en effet, qui ont tendance à se projeter pour leurs enfants.

Tout va vite et je dois avouer que je n’ai pas le temps de réaliser

Tu rends un bel hommage à tes parents dans « Caramel » et à l’éducation qu’ils t’ont donnée. Tu penses que tu n’en serais pas là où tu en es aujourd’hui sans ça ?

Absolument pas. Sans eux, sans l’éducation que j’ai reçue, je n’en serais absolument pas là. Ce sont eux qui m’ont inscrit à l’école de musique pour faire du piano et du solfège, ce sont eux qui m’ont poussé à poursuivre les études. Depuis que je suis petit, j’entends cette phrase qui dit “qu’il faudra que je me batte plus que les autres car les gens n’aiment pas le caramel.”

Je me souviens de ma première année d’université à l’examen d’oral, un de mes professeurs me dit “tu sais il y a très peu d’Africains qui réussissent mon examen”… Mes parents avaient donc raison de me répéter ça, même si petit tu ne réalises pas pourquoi. Grâce à Dieu, ce mec a été renvoyé l’année suivante, ce qui m’a permis de valider mon année et de poursuivre des études supérieures qui m’ont apportées le bagage nécessaire en comptabilité, négociation et fiscalité, pour ainsi être capable d’aller négocier en maison de disque. Donc pour moi, ce morceau était important pour remercier mes parents pour tout ce qu’ils ont fait pour moi.

Quel regard portent-ils sur ta musique et ta carrière ?

Ils sont hyper bienveillants. Après, je ne te cache pas qu’après avoir fait des études de commerce, j’avais un super boulot avec un beau costume et une belle voiture de fonction. Ce fut alors un peu difficile pour mes parents de voir leur enfant tout plaquer pour la musique. Mais ils sont très fiers de ce que je fais à présent.

Tu vas jouer à La Cigale en février, alors que ce sera l’une de tes premières scènes. Qu’est-ce que cela te fait ?

Je brûle beaucoup d’étapes… Je ne réalise pas trop… Clique TV, La Cigale, on a lancé une ligne de vêtements qui est déjà sold out, sur l’album on fait le million de vues en quelques jours… Tout va vite et je dois avouer que je n’ai pas le temps de réaliser.

Tu as déjà commencé à penser à la suite ? 

Le premier album n’est pas vraiment terminé… Ça n’a pas encore été débloqué mais il y a encore pas mal de morceaux cachés qu’il faudra trouver…

ICO – Petit con