Hakill, au-delà des frontières Sénégalaises

Hakill, au-delà des frontières Sénégalaises

Largement méconnu en France, Hakill est pourtant un fer de lance du Rap Sénégalais. Il nous a ouvert les portes de son quartier lors d’un séjour express à Dakar, pour évoquer tout un tas de sujets. Ses débuts dans le Rap, son enfance dans les rues de Grand Yoff, ses aspirations, sa vie au Sénégal. Portrait au long cours.

Hakill n’est pas un nouveau venu. Loin de là. Déjà trois albums pour celui qui rappe en Wolof bien sûr, mais aussi en français, en anglais, et en Soninké, héritage familial oblige. 3e Baraam, sorti en 2017, prolongement de sa mixtape SVRVX sortie en 2016 et premier projet sorti en tant qu’artiste indépendant. Vient ensuite Idole, sorti en 2019, dont la production est mieux maîtrisée, et enfin Yigo, sorti a l’été 2021, son projet le plus abouti à ce jour.


Il n’en reste pas moins méconnu du public français, même si un désir de rapprochement avec l’hexagone est assumé chez lui. ”Aujourd’hui, je rappe plus en français. Je suis sur un projet entièrement français, je n’avais jamais fait ça dans ma carrière. J’ai toujours rappé en français en vrai, mais à chaque fois c’était un ou deux sons sur dix-huit ou vingt dans un projet. Je suis arrivé à un moment où je ne me dis même pas que je n’ai plus rien à prouver ici, mais j’ai envie d’autre chose. J’ai envie de me challenger, d’aller vers un autre public, vers quelque chose de nouveau. Aujourd’hui, je m’oriente carrément plus vers le marché français. Vers les francophones en général.”

“L’Afrique francophone, la France évidemment, la Suisse, la Belgique, etc. C’est quelque chose de totalement assumé chez moi. Je vais pas attendre la fin de ma carrière et avoir des regrets. Depuis le début, tout ce que j’ai voulu faire, je l’ai toujours fait. Là, j’ai envie de le faire parce que je sais que je peux le faire et que sens que c’est le moment. J’ai envie de m’exporter. Je suis à un stade de ma carrière ou j’ai fait le tour du Sénégal. Il y a quatorze régions dans ce pays, j’ai été rapper partout. Des tours, des concerts, j’ai tout fait ici. Maintenant je veux montrer ce que je sais faire hors des frontières du Senegal.”

Le Mbalax, toujours

Alors que le Rap arrive lentement à maturité au Sénégal, en particulier auprès de la jeunesse, le Mbalax demeure le genre musical le plus apprécié et célébré dans ce pays abritant une population d’environ dix-sept millions d’habitants. Apparu dans les années 70, prolongement de l’effrénée pulsation du Sabar, le tambour traditionnel sénégalais, il occupe une place prépondérante dans l’identité musicale du pays, projetant parfois son influence imposante sur les autres genres musicaux. Témoin privilégié, Hakill est longuement revenu là-dessus.

“Il y a une grande différence entre la France et le Sénégal. Chez vous, le Rap est la musique numéro un, et vous avez une population qui dépasse les soixante millions d’habitants. Chez nous, au Sénégal, le Mbalax reste la musique la plus écoutée, et notre population ne dépasse pas les vingt millions. Ici, la vente de disques ne rapporte pas. C’est plus les shows, concerts qui vont te rapporter de quoi un peu manger, et encore. On n’est pas assez structurés. On n’a pas encore de vraie industrie viable, qui va rémunérer les artistes et les gens qui bossent avec eux correctement. C’est à toi de créer ta propre économie, car le Rap ici ça ne rapporte pas. On ne va pas se mentir, j’aime le Rap à mort, je l’ai d’abord fait car c’est ma passion, et cette passion est intacte. Mais comme tout le monde on a besoin de manger. « 

Au Sénégal, le Mbalax reste la musique la plus écoutée.

Il poursuit son comparatif de la scène sénégalaise avec la France.« La manière dont je suis connu ici, si j’étais en France par exemple, mais ce serait une toute autre vie que je mènerais. C’est pour cela qu’ici, il faut te créer une économie, faire tes business en parallèle pour pouvoir rapper. Si tu as une petite notoriété, c’est à toi de l’utiliser intelligemment pour te créer des opportunités. Je suis en train de démarrer une nouvelle carrière. »

 

Hakill a également une grande admiration pour le parcours de Disiz. Il nous a expliqué pourquoi. “L’histoire de Disiz est super inspirante à mes yeux. Originaire du Sénégal par son père si je ne me trompe pas, il a sa carrière en France, mais je ne sais même pas si les gens en France savent qu’il a fait une petite carrière ici au Senegal. Il avait même fait un gros hit qui avait bien marché à l’époque ici avec le chanteur décédé, paix à son âme, Ablaye Mbaye. »

« J’y pense en me disant que je redémarre une nouvelle carrière. Je vais vers un public qui me connait pas du tout, je veux montrer à ce public ce que je sais faire. Je vais venir, sans prétention aucune en me disant Ok, j’ai fait ce que j’avais a faire au Sénégal, mais ici je suis nouveau, et j’ai tout à prouver. C’est la mentalité que j’ai. »

Le commencement

Après avoir dressé un état des lieux et compris où il en est artistiquement et quelles sont ses aspirations en tant qu’artiste, on a voulu revenir avec lui dans le passé, savoir comment il s’était construit musicalement. “Comme tout Sénégalais, j’ai commencé par écouter du Mbalax. Tu ne peux pas y échapper. Tu nais dedans, tu grandis dedans, à la maison tes parents écoutent constamment du Mbalax. Je pense que tous les Sénégalais savent de quoi je parle. Le Rap, je ne me souviens pas exactement comment ça a commencé, mais j’ai commencé à me plonger dans le Rap via le Rap francais. Dans mon quartier, j’avais un gars sûr, on était les seuls à écouter du Rap. Il était plus âgé que moi, avait de la famille en France, donc il était déjà assez calé sur la chose.”

“Je me souviens qu’il me faisait écouter ce qu’il découvrait, et moi j’avais accroché. Kery James, Booba, Soprano à l’epoque Psy 4, Rohff, on était vraiment à fond. J’écoutais peu de Rap Galsen, à l’époque le Rap n’existait pas comme aujourd’hui, même si j’aimais beaucoup Simon Bisbi Clan. Avant le Wolof j’ai commencé à écrire mes textes en français, mais je me souviens que les gens n’aimaient pas. Ils ont naturellement tendance à écouter un gars qui rappe en Wolof plutôt qu’en français, peu importe ce qu’il raconte, ce que je peux comprendre.”

“Je me souviens aussi de ma première fois dans un studio, à Patte d’Oie, c’était avec un pote du collège. On était en groupe à cette époque. On avait vendu tout ce qu’on pouvait pour nous faire de l’argent et nous payer une séance de studio. À cette époque, j’étais à fond dans Kery James, j’étais influencé par son timbre, donc je voulais poser comme lui. Au début on a souvent cette influence, puis en grandissant on s’affirme artistiquement. Même si je rappais en Wolof principalement, que j’ai aimé le Rap US bien sur, j’ai toujours plus écouté du rap francais. Le premier album de Booba (‘Temps Mort’, ndlr) c’était quelque chose”.

 

Bakel, Grand Yoff, et après ?

Hakill est né à Bakel, une municipalité agricole située à l’extrême est du pays, non loin de la frontière avec la Mauritanie, dans la région de Tambacounda. Mais il a grandi à Grand Yoff, à Dakar. Il est longuement revenu sur cette période de sa vie. “Grand Yoff, c’est un peu chaud. Il y a de tout dans ce quartier, un vrai mélange. Là-bas, tout le monde traîne dehors quand tu es petit. On traine avec nos gars, on fait nos conneries. Mais contrairement à d’autres je peux dire que j’ai été un gamin heureux. J’avais mes potes, on jouait au foot dehors, on faisait tout ce qu’un gosse de Grand Yoff fait à cet age là. Je me souviens qu’on faisait le Boudiou, c’est-à-dire qu’on partait à Maristes chercher dans les ordures des touristes pour y trouver des choses qui pourraient peut-être nous servir. Ça c’était vraiment quand on était tout petits.”

“Après, quand tu grandis, tu cherches autre chose. Tu veux de l’argent, tu vois ce que les encore plus grands que toi font pour en avoir, donc tu veux faire comme eux, même si t’es pas dans la légalité. Dans ces moments-là, les parents sont très importants. Car il y a une bascule qui se fait. Quand tu as la chance d’avoir des parents stricts, présents, qui comprennent que c’est un chemin à ne pas emprunter, c’est une chance. De ne pas finir comme ces grands que tu voyais frais à l’époque, à qui tu voulais ressembler, mais qui sont aujourd’hui en prison ou morts. J’ai fait des études, je ne saurais même pas comment te dire comment j’y suis arrivé. Le Rap m’a tellement aidé. J’ai arrêté les études en troisième année, quand j’ai compris que je devais m’y consacrer à 100%. C’est marrant d’y repenser car je viens d’un quartier qui n’est pas du tout Rap à la base. Je suis passé plus d’une fois pour un fou, seul dans mon délire à écouter, kiffer et rapper.”

“Dans mon quartier, ça écoutait du Reggae, il y a un artiste qui s’appelle Dread Maxim qui était super populaire. Je l’ai tellement écouté. Ce gars ne le sait pas mais il a contribué à me faire plus aimer la musique. Mon grand frère, l’aîné de notre famille, écoutait tout le temps du Reggae. Donc forcement cela m’a façonné musicalement. Si le Rap a un peu supplanté le Reggae aujourd’hui, à l’époque, après le Mbalax, les gens écoutaient du Reggae. J’ai tellement de souvenirs.”

 

“Bakel, c’est là où je suis né. C’est le village là bas. Vraiment l’autre bout du pays. On est Soninkés. Mes grands parents sont toujours là bas, pareil pour mes oncles, mes tantes. Je suis le dernier de la fratrie né à Bakel. Les autres sont tous nés à Dakar. J’ai quand même eu la chance de vivre un peu là bas, d’y avoir des amis. Mais c’est le village là bas, la vie y est totalement différente de ce qu’on peut voir à Dakar. L’aspect humain est important, les gens sont plus terre à terre ici, on prend le temps de faire les choses. »

“Il n y a pas les mêmes infrastructures qu’à Dakar, tout le monde se connaît, et quasiment toutes les familles se connaissent. Je viens de la famille Ndiaye, donc on est ce qu’on appelle là-bas les ‘Chefs de Village’. Il y a aussi les familles de ‘Marabouts’, les familles de ‘pêcheurs’, etc. Différentes castes. Je viens de là-bas, et je veux y faire quelque chose aussi. Pas seulement un concert, mais quelque chose de plus global. J’en parle avec différents partenaires pour avoir la meilleure structure possible et faire quelque chose de bien et pérenne .”

2015 fut l’année de la release de son premier projet officiel, Ich Yo Boy. Une époque différente, puisqu’il était encore un quidam au Sénégal. Il nous raconte. “Je faisais des freestyles partout, tout le temps. J’avais très faim à cette époque, j’étais un nouveau rappeur, et personne ne me connaissait, il fallait que je fasse ma place. Je suis venu avec rien, je ne connaissais personne non plus, et je ne savais pas trop par quel chemin passer. C’était l’époque Facebook. Je faisais des freestyles dans la rue, mes potes me filmaient, c’était les premiers smartphones, l’image était pourrie.”

“Ça me fait sourire de repenser à cette époque, parce qu’on essayait de faire ça bien, de scénariser un peu le truc, avec les moyens du bord, on se disait que c’était lourd à l’époque. Mais j’avais trop faim. Je postais ces freestyles sur Facebook et c’est comme ça que j’ai commencé à me faire connaître. Je me faisais partager par toujours plus de personnes. je sentais qu’il se passait un truc mais j’avais la tête dans le guidon, je rappais tout le temps. J’ai ensuite eu l’opportunité de rejoindre le label Rep’Tyle Music. Là-bas il y avait un rappeur que je connaissais car il venait du même quartier que moi. On se croisait à tous les Freestyles, à tous les battles de rue, donc lui et moi on se serrait les coudes, pour de vrai. Nos freestyles, concerts, on était partout. Mais je voulais quand même faire mon truc alors j’ai décidé de quitter le label rapidement après. Tout part de là.”

 

Citoyen

Depuis 2021, le Sénégal a été le théâtre de protestations déclenchées par l’arrestation d’Ousmane Sonko, homme politique sénégalais et leader de l’opposition, accusé de troubles à l’ordre public et par le silence du président Macky Sall quant son désir (ou non) de briguer un troisième mandat présidentiel, ce qui serait contraire à la constitution. La situation a rapidement évolué en une série de manifestations qui ont duré plusieurs jours et qui ont été marquées par des revendications de justice sociale, de meilleures conditions de vie, et de lutte contre la corruption. Ces événements prirent fin il y a quelques semaines suite à la décision du président sortant de ne pas briguer un troisième mandat. Apres un mois de mai 2023 d’une violence inédite au Sénégal.

“Pas mal de choses se sont passées en 2021. Par rapport à ma carrière, c’était la release de mon album Yigo. Avant les événements, j’étais tout le temps en studio, focus sur mon projet. Ensuite, il y a eu ces événements. Les manifestations ont commencé en mars 2021, et ça a failli partir en vrille. De mon côté, je ne me sens pas l’âme d’un artiste dit engagé. Mais je suis un citoyen avec une voix qui porte. C’était normal pour moi de montrer que j’étais du côté du peuple. On fait de la musique, on divertit les gens, ok, mais on est conscients de ce qui se passe chez nous. On est conscients des difficultés qu’il y a chez nous. Donc quand il y a des manifestations, on se doit d’y aller comme tout le monde.”

“Après je suis un artiste, et mon art reste ma meilleure arme. C’est pour cela que j’ai décidé de faire un morceau, avec un clip réalisé pendant les manifestations, pour retranscrire cette réalité que nous vivons. Ce morceau, « Fii » (en français : ici, ndlr), devait figurer sur mon album. L’enregistrement avait commencé bien avant les manifestations. Ce dont je parle décrit exactement les raisons pour lesquelles on manifestait. Grâce à ce morceau, le monde entier a pu voir la réalité du Sénégal d’aujourd’hui. Cela me paraissait important de le faire. Même si beaucoup d’entre nous veulent partir, le Sénégal reste notre pays, et on l’aime malgré tous ses défauts.”


Vous pouvez retrouver Hakill sur les reseaux sociaux FacebookInstagramSoundcloud.

Credit photos : LADEGAINE