Roots, Rap, Reggae : de Kingston à NYC

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Roots, Rap, Reggae : de Kingston à NYC

« Hip hop, the whole chemistry of that came from Jamaica

 

Voici les mots d’un certain Kool Herc, ce nom vous dit sans doute quelque chose puisque bien évidemment on parle de celui qui est considéré comme le papa du rap, le père fondateur de la culture Hip Hop. Dj Kool Herc est tout simplement le premier DJ de l’histoire du rap. New-yorkais d’origine jamaïcaine, il a quitté le soleil de Kingston en 1967 pour venir s’installer à New York avec dans ces valises un paquet de référence Rastafari et notamment la musique Reggae.

Aujourd’hui, sur The BackPackerz on ralentit quelques minutes le temps de vous parler Hip Hop et Reggae.

Quand le Reggae inspira le Hip Hop

Le Hip Hop a été énormément influencé par la musique Reggae, que ce soit musicalement parlant ou même culturellement. Ce son quasi mystique a été à l’avant-garde du développement de nombreux styles musicaux. Il a notamment influencé le disco, la pop, le ska et le Hip Hop.

Inscrit au panthéon du rap, Afika Bambaata, Kool Herc et Grandmaster Flash vont très vite trouver dans le reggae une puissance lyricale qui colle avec leur réalité et leur philosophie. Kool Herc va dès son arrivé à New-York donner du crédit à ses racines jamaïcaines :

Hip-hop….the whole chemistry of that came from Jamaica…..In Jamaica all you needed was a drum and a bass. So what I did was go right to the ‘yoke’. I cut off all the anticipation and just played the beats. I’d find out where the break in the record was and prolonged it and people would love it. So I was giving them their own taste and beat percussion wise….cause my music is all about heavy bass

C’est avec l’arrivée de Kool Herc à New York et ses références Reggae que le Hip Hop a pu s’émanciper en utilisant les codes de la musique Rasta.

L’art du Toast

Le « Toasting » est un terme de la musique jamaïcaine qui décrit le fait qu’un musicien Reggae ou Dancehall vienne poser sa voix sur des instrumentales appelées « Riddim« . Cette pratique était extrêmement répandue dans les soirées Reggae Jamaïcaine (Sound System). En réalité dans la culture Reggae, il existe deux sortes de DJ. D’un côté, les Selectors dont le rôle est simplement de passer des galettes en soirée afin de faire danser la foule venue en masse sur le Dancefloor des Sound Systems. De l’autre, on retrouve les Deejay, leur mission était double. Ils devaient à la fois satisfaire l’auditoire avec une sélection de vinyle bien sentie, mais aussi manier l’art de « Toaster » quelques lyrics sur le tempo des Riddims.

Quand Kool Herc débarque à New York, il arrive dans le but d’animer quelques soirées en faisant du « Toast » à la manière d’un U-Roy en Jamaïque. À l’instar des Sound Systems, DJ Kool Herc organise très vite des block parties qui deviennent populaire et attirent de plus en plus de monde dans les rues du Bronx. Les visiteurs les plus téméraires viennent prendre le Mic de Herc, le emceeing était né.

Le Dub

Cette musique est un dérivé du Reggae, il s’agit de la pureté du son Rasta. Le Dub a été inventé par des ingénieurs du son, des hommes de studio élevés au rythme de la musique. La légende raconte que le Dub a été inventé fin des années 60’s presque par accident pendant l’enregistrement d’un vinyle inédit en vu d’un Sounds System (Dubplates). D’après le producteur Bunny Lee, le Dub est né très précisément en 1968 grâce à une Duplate gravée au studio Treasure Isle pour un certain Ruddy Redwood. Un jour de 68, alors qu’il se trouvait en studio avec son ingénieur du son Byron Smith, lors du mixage d’une bande, ils diffusèrent accidentellement le titre dans les enceintes sans que la piste des voix n’ait été activée. Tout ce que l’on pouvait entendre dans les baffle du studio était la track en version instrumentale. Un caisson de basse à la limite de l’implosion, une ligne de drums envoutante, le tout écouté sous un épais nuage de fumé de weed – On garde ! Ruddy décida à ce moment là de conserver ce son uniquement instrumental pour le passer en soirée. Le Dub était né. Après ça, la face B des Duplates est devenue naturellement la face en version Dub. Les faces B, ça vous rappel rien ? Par la suite, des spécialistes de cette musique se sont démarqués. C’est le cas du  légendaire King Tubby qui a commencé à bidouiller la piste instrumentale en rajoutant de la reverbe ou de l’écho. King Tubby est considéré aujourd’hui comme le réel inventeur du dub car il a su lui donner une dimension artistique.

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King Tubby et ses machines

Il est intéressant de faire le parallèle avec le Hip Hop. Effectivement, le Dub est au Reggae ce que le Beatmaking est au Hip Hop. D’abord, dans la façon d’aborder la musique. En effet tout comme le Dub, le Beatmaking est une musique de mécanicien, de bidouilleur. Comme pour le Dub, l’idée du Beatmaking est de pouvoir faire vivre sa musique, faire en sorte qu’elle se suffise à elle même. Tapis dans l’ombre et derrière ses machines le Beatmaker est au service de sa mélodie. A partir d’un sample ou d’un battement de batterie il peut construire un morceau d’une complexité rare.

Ensuite, comme pour le Dub, le Beatmaking est une musique de sensation, de ressenti, une poésie sans mots. L’objectif étant de faire apprécier sa musique à son auditoire en lui délivrant un message sans utiliser de voix pour le porter. Le Dub tout comme le beatmaking sont des musiques qui repose sur l’émotion.

Les Sound Systems

Le Reggae tout comme le Hip Hop est une musique que l’on vit, que l’on partage. C’est aussi des styles de musique qui sont venus bouleverser les mentalités avec un message fort. Dans ce contexte, les rassemblements étaient bien souvent vus d’un mauvais oeil par les autorités. C’est pourquoi les précurseurs de ces musiques ont dû apprendre à s’organiser seuls. C’est comme ça qu’en Jamaïque les premiers Soud Systems ont vu le jour. Le sound system est une sono mobile. Souvent chargé dans une camionnette, l’objectif étant de pouvoir être déplacée de façon rapide à tout moment. Cette nouvelle façon de consommer de la musique est apparue en Jamaïque dans les années 1950. Né quelques décennies plus tôt au carnaval de Trinidad et Tobago, une île des Caraïbes, le sound system s’impose très vite dans les rues jamaïquaines pour remplacer les orchestres de mento (la version jamaïquaine du calypso), trop coûteux et difficile à déplacer. Munis de quelque enceintes placées sur un terrain vague et d’un bon Deejay les premiers sound Systems fleurissent sur toute la Jamaïque. Il existait enfin un espace de liberté où l’on pouvait venir fumer un peu de marijuana et danser sur les derniers tubes des Deejays à la mode.

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Soud System Jamaïcain

Coté Hip Hop, on arrive très vite à faire l’analogie avec les premières block parties du Bronx ou même les premières block parties parisiennes où vont se former les premiers groupes de  Hip-Hop français  ( Dossier : Les débuts du Hip-Hop en France ). On retrouve ici l’envie de se retrouver tous ensemble dans la rue pour venir danser et s’amuser autour de la bonne musique. Les block Parties étaient souvent l’occasion pour tout un chacun de se faire connaître, la rue ne mettant aucune barrière et parfaitement adaptée pour accueillir le matos démesuré des DJs.

S’émanciper avec la musique

Le Reggae et le Hip Hop émanent tous les deux d’un malaise de la société. Les deux mouvements musicaux se rejoignent sur de nombreux points notamment sur la place de la lutte contre le racisme.

Il est important de s’arrêter un instant sur l’histoire de la Jamaïque pour mieux comprendre le message délivrer par la musique Reggae. La Jamaïque de 1670 à 1962 était sous l’égide britannique. Durant ce laps de temps sur cette île de la Caraïbe, la majorité de l’économie locale reposait sur l’emploi d’esclaves par la Grande-Bretagne. La Jamaïque est alors très vite devenue une des plaques tournantes de la traite des noirs. Fort de ce douloureux héritage, la jeunesse Jamaïcaine a très vite après son indépendance voulu s’ en prendre au système raciste de la Jamaïque, qui continuait de placer les blancs en haut de l’échelle sociale, et les noirs en bas. Dans Crazy baldhead, Bob Marley chante :

Didn’t my people before me/ Slave for this country/ Now you look me with a scorn/ Then you eat up all my corn

Un message appuyé par Peter Tosh :

And I ask why am I black, they say I was born in sin, and shamed inequity. One of the main songs we used to sing in church makes me sick, ‘love wash me and I shall be whiter than snow.

En parallèle de cette dénonciation de ce système raciste, un vrai message spirituel était délivré. Fort de la religion Rastafari, la musique Reggae était un message d’amour et de tolérance.  Des thèmes que l’on a tout de suite retrouvés avec l’arrivée du Hip Hop aux Etat-Unis à travers le discours d’Afrika Bambaataa et du mouvement Zulu Nation – Peace unity love and having fun – . Le rap devient peu à peu le champ d’expression privilégié du message radicalisé de la nation noire des Etats-Unis d’Amérique.

The Universal Zulu Nation stands to acknowledge wisdom, understanding, freedom, justice, and equality, peace, unity, love, and having fun, work, overcoming the negative through the positive, science, mathematics, faith, facts, and the wonders of God, whether we call him Allah, Jehovah, Yahweh, or Jah.

Zulu Nation

Zulu Nation

La Marijuana

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Peter Tosh – Album « Legelize It »

On ne pouvait bien évidemment pas passer à côté de la Marijuana. Dans la culture Reggae et Rasta cette herbe (préféré le terme Ganja) était utilisée à des fins spirituelles et religieuses. Les adeptes du mouvement Rastafari utilisaient le cannabis comme une aide à la méditation. Fumé du cannabis était également un moyen de rendre hommage à Sa Majesté Hailé Sélassié Ier, empereur d’Éthiopie et accessoirement, messie de la religion Rastafari.

L’usage du cannabis dans la culture Hip Hop est beaucoup plus sporadique. Cependant, la weed prend une place importante dans la culture double H et il est souvent plus fréquent de voir un artiste live sous THC que parfaitement sobre.

Quand le Hip Hop influence la nouvel génération de Rasta

Le Revival du Dancehall

Alors que le Reggae a massivement influencé la culture Hip Hop à son démarrage, c’est bien l’inverse qui se produit actuellement. La population de la Jamaïque est de plus en plus ouverte vers le monde et aujourd’hui la jeunesse regarde énormément ce qui se passe du côté des États-Unis. Alors que le Hip Hop a construit sa propre histoire à mesure que le mouvement grandissait à travers les États-Unis et au delà, c’est maintenant à la culture Reggae de se tourner vers le Hip hop pour s’en inspirer. Le reggae dancehall fait son grand retour dans les sound systems, et à la différence d’autrefois, aujourd’hui le dancehall vient squatter tous les clubs de la Caraïbe.

Linval Thompson

Linval Thompson – Initiateur du early dancehall

D’abord d’un point de vue musical les choses ont nettement évolué. Le Reggae traditionnel n’existe pratiquement plus et a été majoritairement remplacé par ce que l’on pourrait appeler du Néo-DanceHall. Loin des sonorités qui ont fait sa renommée à travers les mytiques Barrington Levy et autre Linval Thompson. Le DanceHall d’aujourd’hui porte et véhicule un message plus dur. Les messages politiques sont maintenant loin derrière et comme les starlettes du Hip Hop, on préfère ici se concentrer sur ce qui fait vendre; à savoir le sexe, la cocaïne et les guns. Le message s’est radicalisé, il n’est plus temps de trouver des solutions, mais plutôt de déverser sa rage dans des lyrics affutés à la machette. Le dancehall hardcore possède dorénavant ce coté bling bling et subversif emprunté au Hip Hop. Des artistes comme Bounty Killer émerge sur le devant de la scène avec des titres comme Coppershot, véritable hit dont les lyrics glorifient la culture des armes à feu. Ou encore des Buju Banton qui en 1993 sur le titre Boom Bye Bye préconise tout simplement d’ assassiner les homosexuels en leur tirant dessus ou en les brulant , ou les deux (« comme une vieille roue de pneu »).

Côté plus mainstream c’est Sean Paul qui a su tirer son épingle du jeu en réussissant l’exploit de s’imposer sur le territoire américain.

Au niveau de l’attitude aussi les choses ont évolué. Les chanteurs de ce Néo-DanceHall utilisent les mêmes codes vestimentaires que les gansta rap des US. Ils roulent dans les mêmes voitures, portent les mêmes chaines en or qui brillent et boivent le même champagne. Ce mimétisme poussé à son paroxysme en est même absurde. Je vous laisse en juger par vous même :

Une alliance parfaite ?

À la genèse du Hip Hop, ce dernier à su capter, s’inspirer, s’imprégner du Reggae. Le Hip hop a su s’émanciper de cette culture Reggae et créer son propre style. En revanche en perte de vitesse, le son jamaïcain et le Néo-Dancehall post 2000’s ont sans doute pris au Hip Hop tout ce qu’il y a de pire. Car au lieu de se réinventer, certains artistes jamaïcains se sont contentés de repomper un semblant de recette miracle du Hip Hop mainstream. Cependant, tout n’est pas à jeter et certains ont réussi à porter leur domaine au top. A coté du Dancehall, le Nu Roots a pris fièrement la succession du Reggae traditionnel avec des artistes comme Kabaka Pyramid ou encore le chanteur Chronixx qui apparaît dans le dernier Joey Bada$$ et qui a déclaré sur le Hip Hop :

Citation Chronixx

Extrait du titre de Chronixx en featuring avec le jeune et talentueux Joey Badass (Chronique de B4.DA.$$)

https://www.youtube.com/watch?v=kcvsoBtnNrE

Pour finir, restons donc sur une note positive ! Vous trouverez ci-dessous quelques sons crossover Hip Hop-Reggae qui font du bien pour nos oreilles.