Denzel Curry – ZUU

Mai 2019

Denzel Curry

ZUU

Note :

Avec son nouveau projet, Denzel Curry a décidé de mettre à l’honneur Miami et plus précisément sa ville natale de Carol City. Une région toujours ensoleillée qui cache une réalité beaucoup plus sombre dont ZUU se fait le parfait écho.

Miami n’a jamais vraiment été considérée comme une place forte du Hip Hop, reléguée toujours très loin derrière des villes comme New York, Los Angeles, Atlanta, Chicago ou Detroit. Et pourtant, cette ville côtière de Floride possède une histoire musicale bien distincte qui aura marqué elle aussi cette culture. Et si le morceau Hip Hop le plus populaire de cette ville a été signé par un rappeur de Philadelphie (Will Smith et son tube « Miami »), cette région a connu plusieurs périodes notables.

Bienvenidos a Miami

C’est dans les années 80 que la scène de Miami va se faire remarquer pour la première fois avec le mouvement Miami Bass (aussi connu comme Booty Music ou Booty Bass). Un style uptempo influencé par l’electro-funk et défini par l’utilisation à outrance de la boîte à rythme Roland TR-808. Ajouter à cela un langage très cru à caractère sexuel et vous obtenez la recette qui a fait danser toute une génération jusqu’au début des années 90. Un style incarné notamment par deux personnalités marquantes : Luke Skyywalker (leader du groupe 2 Live Crew), et DJ Uncle Al qui nous a quitté en 2001.

A la toute fin des années 90, ce sera au tour de Trick Daddy et Trina, les deux têtes d’affiches du label local Slip-N-Slide Records, de relancer un certain regain d’intérêt du rap game pour Miami. Un label qui signera aussi furtivement Pitbull (avant qu’il n’explose sur TVT Records), et Rick Ross qui incarnera avec DJ Khaled et le duo de producteurs Cool & Dre une nouvelle vague de succès pour la ville en 2005.

Des étapes importantes pour l’histoire musicale de Miami qu’on retrouve constamment dans la discographie de Denzel Curry, que ce soit dans ses textes ou dans les sonorités des instrumentales qu’il choisit. Son nouvel album ZUU n’échappe pas à la règle et fait état une nouvelle fois de cet héritage.

Welcome to the ZUU

Je ne vais pas revenir sur le début de carrière de Denzel puisque ce travail a été remarquablement fait il y a 3 ans sur ce site avec un très bon dossier qui lui a été consacré. Entre temps, l’artiste (qui a aujourd’hui 24 ans) a ajouté une nouvelle ligne à son palmarès avec la sortie l’été dernier de son projet TA13OO. Un album divisé en trois actes, très différent dans son approche comparé à ce ZUU. Sur cette dernière sortie, son auteur a opté pour une structure beaucoup plus classique et un thème principal récurrent qui est résumé tout simplement dans le titre de cet opus avec ce surnom donné à sa ville de Carol City.

Bien avant de se lancer la première écoute, on peut humer l’air de Miami uniquement en regardant cette pochette sur laquelle Denzel Curry y arbore un jersey old school des Marlins, l’équipe de baseball de la ville. On note aussi avec ce logo, la référence au groupe local Poison Clan qui adoptera au début des années 90 ce style d’artwork sur leurs deux premiers albums. Et enfin, si cette vue en plongée n’est pas sans rappeler une certaine vibe West Coast c’est peut être parce que cet album a été enregistré à Los Angeles avec comme ambition affichée par son auteur :

Make my version of The Chronic

Sur l’intro qui porte le nom de ce projet, ‘Zel rentre rapidement dans le vif du sujet posant les bases de ce qui sera le fil rouge de cet album : « This what you made me, Carol City raised me / Trick said « I’m a Thug, » that’s the hate you gave me ».

Une énergie caractéristique du personnage qu’on retrouve sur le single « RICKY » qui reprend le prénom de son père et dans lequel il revient sur les différents conseils donnés par ses parents : « My daddy said : Trust no man but your brothers / And never leave your day ones in the gutter / My daddy said : Treat young girls like your mother / My mama said : Trust no ho, use a rubber ».

Un morceau clippé dans lequel il rend hommage à son frère Treon ‘Tree’ Johnson décédé en 2014 avec ces combats de rue pour lesquels ce dernier était bien connu à Carol City.

Sur « WISH», Denzel accueil son premier invité en la personne de Kiddo Marv, et bien évidemment il est lui aussi originaire de Miami comme tous les autres featuring que l’on croisera sur cet opus. Les deux artistes s’échangent quelques souvenirs de leur vie dans le sud de la Floride avec en fond ce magnifique sample disco/funky « Genie » du B.B. & Q. Band.

Avec « BIRDZ », Rick Ross et ‘Zel signent leur deuxième collaboration après « Knotty Head » sur Imperial en 2016. Un titre qui transpire les rues de Carol City produit par le duo Australien FnZ (Finatik N Zac) omniprésent sur ce projet. Une bonne occasion de s’arrêter une nouvelle fois sur le travail de ces deux beatmakers qui depuis quelques années façonnent l’identité sonore de Denzel Curry et réalisent une nouvelle fois un travail somptueux dans leur domaine.

Sur ce projet on retrouve aussi les habituels Ronny J et Mickey De Grand IV, ainsi qu’une première collaboration sur « AUTOMATIC » avec le producteur de Memphis Tay Keith (à qui l’on doit notamment la dernière partie du beat « SICKO MODE » de Travis Scott). Une coopération qui en appellera certainement d’autres avec un résultat des plus satisfaisant.

Used to be on LSD, but now my life is all a trip

Pour le second single de cet album, c’est sans surprise le titre « SPEEDBOAT » concocté par Rugah Rahj qui a été retenu. Un choix pertinent pour l’un des emblèmes de Miami symbole parfait du style de vie de cette région : luxueux, rapide et dangereux.

Un morceau dans lequel Denzel revient entre autre sur le décès l‘année dernière de son ami XXXTentacion avec quelques références comme « My dawg didn’t make it to 21, so I gotta make it past 24 » et « My dawg is gone and the result is to have my teflon ». Indéniablement l’un des gros temps forts de ce projet.

L’entame de la seconde partie de cet album se fait via deux intermèdes. Sur « BUSHY B INTERLUDE », ‘Zel s’offre une réinterprétation du titre « Poppin » de Bushy B dont le défaut principal est sa longueur frustrante d’une seule petite minute… Et sur « YOO », c’est un dialogue imaginé par le comédien Plus Pierre qui vous décrochera certainement un gros sourire et vous incitera peut être à adopter la #YoOoOoOoOooOO attitude.

« CAROLMART » est un nouvel hymne à Carol City sur lequel on retrouve aussi Ice Billion Berg. Une référence au flea market (marché aux puces) de leur ville qui a la bonne idée de reprendre le « So Fresh » de Trina et Plies. On ne peut pas faire plus Miami-esque, à savourer !

On reste dans quelque chose de très local avec le morceau suivant « SHAKE 88 » aussi léger qu’addictif et sur lequel Sam Sneak (le DJ de Rick Ross) y fait une apparition à la fin. Le genre de titre qui serait parfait comme bande son d’une mission de GTA Vice City dont l’objectif serait d’aller prendre du bon temps dans un strip club avant de le braquer tranquillement.

L’interlude « BLACKLAND 66.6 » permet à ‘Zel de rendre un nouvel hommage à SpaceGhostPurrp, leader du crew Raider Klan, qui a joué un rôle important dans la mise sur orbite de sa carrière. Une interlude qui sert aussi d’introduction au dernier morceau de cet album : « P.A.T. » (feat. PlayThatBoiZay) pour Project And Turmoil, avec un clin d’œil au rappeur Project Pat. Un son dans la pure lignée du style revendiqué par le collectif Floridien : abrupt et assourdissant. Un retour aux sources qui offre par la même occasion une conclusion parfaite à ce projet.

It’s all about Miami-Dade, Carol City

ZUU n’est ni plus ni moins qu’un hommage à l’environnement qui a façonné Denzel Curry. Résident maintenant à Los Angeles, il avait ce besoin vital de se reconnecter à ses racines et d’offrir à Miami un testament puissant. Le format court (30 minutes au compteur) offre à cet album une lecture claire, rapide, avec une thématique des plus basiques qu’il s’applique à rendre intéressante et divertissante. A l’approche de l’été, ce projet qui respire le comté de Miami-Dade (et plus particulièrement Carol City) coche toutes les cases et marquera à coup sûr de son empreinte cette année 2019, ainsi que sa discographie.

A noter que cet opus sortira dans une édition vinyle collector comprenant une box de six 45 tours avec des artworks inédits. Un objet qui devrait ravir les collectionneurs et déjà en précommande pour une livraison prévue pour le mois d’août.

Denzel Curry sera aussi à retrouver sur scène le 9 décembre prochain à la salle Wagram.