Daupe!, le label qui presse Westside Gunn et Conway en édition limitée

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Daupe!, le label qui presse Westside Gunn et Conway en édition limitée

Lancé il y a environ cinq ans par le beatmaker britannique The Purist, le label Daupe! s’est tout d’abord fait connaitre en sortant des projets de Roc Marciano, Danny Brown ou encore Action Bronson. Mais s’est en la personne de Westside Gunn que le label anglais a trouvé son cheval de course, devenant ainsi le premier label à produire les versions physiques des mixtapes Hitler Wears Hermes du natif de Buffalo. Depuis, le succès est total puisque tous les exemplaires de ces précieuses tapes se sont vendus jusqu’à épuisement des stocks, permettant au label de s’imposer peu à peu comme un des porte-étendard du rap underground. Analyse.

Daupe!, « quality not quantity »

A travers Daupe!, qui s’avère être un label de distribution en grande partie, The Purist a remis l’album en tant qu’objet physique au goût du jour, devenant presque une pièce de collection. Chaque projet distribué par le label est édité sous plusieurs formats: vinyle, vinyle colorés, CD, cassette etc… Et quel que soit l’artiste, chacun de ces articles est généralement épuisé en moins d’une heure, voire quelques minutes pour les projets de Westside Gunn et Conway. La raison ? Daupe! réalise des pressages uniques, très limités (moins de 300 exemplaires), pour chacun des produits. Stratégie marketing ou réelle focalisation sur la qualité, comme le veut la devise « quality over quantity » sur la page Bandcamp du label ? Quoi qu’il en soit, la rareté attire les acheteurs, qui semblent toujours plus nombreux à vouloir s’arracher les produits du label britannique.

Pari réussi pour The Purist qui sera parvenu, à travers son implication auprès d’artistes en pleine ascension, à faire de son label la référence du rap underground. Pourtant Daupe! n’a pas cherché à étendre son activité ou sa gamme de produits en s’associant avec des artistes plus importants ou en vendant toutes sortes de produits dérivés, le label reste focalisé sur la musique.

Les stakhanovistes : Tha God Fahim et Mach Hommy

Ces deux rappeurs font souvent la paire, et pas toujours pour le meilleur, mais on va y revenir. Tha God Fahim et Mach Hommy dressent un pont entre Newark et Atlanta, deux villes aux univers historiquement très différents. À l’heure où les singularités locales tendent à s’effacer dans le rap, ce type de rapprochement n’en demeure pas moins rare.

Mach Hommy et Tha God Fahim (aka Tha Dark Shogunn) ne fonctionnent pas officiellement comme un duo, mais travaillent beaucoup ensemble. Chacun sort des EPs ou albums à son nom, en incluant l’autre sous la forme de featurings. La série des Dollar Menu fait exception : les deux emcees y sont sur un pied d’égalité. Musicalement, leur esthétique n’est pas radicalement différente de celui des autres artistes distribués au sein du label Daupe!. Les instrus sont à la fois dark et jazzy, au tempo compris la plupart du temps entre 75 et 80 BPM, parfois sans drum beat. Du côté du flow, il est haut perché et rapide chez God Fahim, un peu plus haché et inquiétant chez Hommy. On retrouve un autre gimmick caractéristique : le fameux « ta-ta-ta-ta-tat » censé imiter le son d’une arme automatique. Gimmick décliné sous des formes variées et dont on se demande quand il passera de mode…

On comprend donc mal l’attitude qu’ils adoptent vis-à-vis du reste du game et de leurs fans. Lorsqu’on les interroge sur leur musique, leurs prétentions sont démesurées. Les deux rappeurs se voient sur le toit du monde, ils représenteraient à eux deux l’orthodoxie du rap dans ce qu’il a de « street » et de « dark ». Point de crédibilité hors de leur conception de la musique. C’est comme s’ils évoluaient dans une bulle, inconscients de ce qui se passe autour d’eux. S’il faut bien reconnaître qu’ils sont bons (parfois très bons), on ne peut pas dire qu’ils font de l’ombre à Conway et Westside Gunn. Le problème, c’est qu’ils poussent leur démarche égotiste beaucoup trop loin. La plupart de leurs EPs récents ne sont pas disponibles en streaming et sont vendus sur Bandcamp au format CD ou cassette, pour la modique somme de 44$… pour les moins chers! La plupart des CDs sont à vendre à 1000$!

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Heureusement (c’est tout relatif), Daupe! s’est saisi du problème et débuté une collaboration avec God Fahim et Mach Hommy afin de distribuer le premier volume de Dollar Menu. Comme d’habitude, les vinyles ont été vendus en quelques minutes, occasionnant là encore de la frustration chez ceux qui ont raté leur chance, et de jolis profits pour ceux qui se sont empressés de revendre leur copie sur Discogs.

L’entente entre The Purist et les deux trublions aura été de courte durée. Le 26 juin dernier, à 16h59 heure française, de nombreux fans guettaient fébrilement leur écran en rafraichissant la page Bandcamp de Daupe!. La raison? À 17h précises, était attendu la sortie de Dollar Menu 2. Hors de question de laisser passer l’occasion de s’offrir un disque numéroté, ça fait toujours bien dans une collection de digger. Sauf que ce jour là, rien. Pas de disque. À 17h26, le compte Twitter de Daupe! annonce qu’il n’y aura pas de vente ce jour. Pas la moindre explication.

Il semblerait qu’un différend commercial soit à l’origine d’une dispute entre God Fahim et le label. C’est du moins la version que Tha Dark Shogunn a choisi de révéler dans une série de tweets incendiaires. Il y présente Daupe! comme un label vautour et malhonnête. D’un côté une démarche commerciale ultra élitiste orientée sur le vinyle, de l’autre un rapport à l’argent pour le moins obsessionnel. Pour vous en convaincre allez faire un tour sur le compte Twitter de Fahim. Voilà ce qu’on peut lire sur sa description : « Thegodfahim@gmail.com All Inquires $25 must be paypal ready… » C’est toujours dommage quand les ambitions démesurées des uns et des autres compromettent de si belles collaborations…

God save Sonnyjim

Pur produit britannique, Sonnyjim fait rayonner son rap luxueux au pays de la reine Elizabeth II. Alors qu’il évoluait plutôt sur un rap « boom bap », plus classique, à ses débuts, Sonnyjim a su adapter sa musique au fil des années pour s’orienter vers des mouvances plus actuelles. A travers ces changements de style, il a aussi appris à parfaire sa plume et travailler son flow. Dans le fond, mais aussi dans la forme, son écriture n’est pas sans rappeler celle de Roc Marciano, bien que Sonnyjim soit facilement dissociable de ses pairs américains grâce à son accent de Birmingham. Son dernier LP en date, intitulé Mud in My Malbec reflète tout à fait cette comparaison avec le rappeur de Long Island. Un flow ralenti sur des instrumentaux bruts, composés de simples boucles langoureuses.

Les couplets de Sonnyjim sont très visuels, imagés par des descriptions explicites, comme ceux des autres rappeurs (de plus en plus nombreux) qui s’essaient à l’exercice des beats sans drums. Il se présente comme un globetrotter épicurien qui s’adonne à tout type de plaisirs culinaires et sexuels ou dépense son argent dans des biens futiles. En bon érudit de la culture hip-hop, nombreuses sont les références qu’il fait aux classiques qui ont forgé le rap dans les années 90.

« They killed a calf cooked it in my honour
I was in my cousin’s Corsa
Now I’m in my Benz rolling blunts bumpin Muddy Waters cuttin corners »

Près de dix années sont passées depuis la sortie de son premier album Trading Standards et Sonnyjim ne compte pas pour autant ralentir la cadence puisqu’un projet en commun avec Vic Spencer devrait voir le jour très prochainement.

Vic Spencer

Cela fait déjà un certain temps que Victor navigue dans le milieu underground Chicagoan. Le danger quand on est dans cette situation, c’est de ne jamais frapper le coup décisif, celui qui vous sort de cette position d’éternel outsider. Il faut dire aussi que son attitude un peu chicaneuse ne lui attire pas que des amis. Certains se souviennent peut-être de son beef avec Mick Jenkins

En 2015, son album The Cost Of Victory excite la curiosité de Pitchfork et le fait un temps sortir de l’anonymat. On est loin du succès étourdissant d’un Kendrick Lamar, mais c’est suffisant pour commencer à rêver. Son flow est bien en place, les instrus sont catchy, son univers un peu gangsta est très maitrisé. Le morceau « Relapse » est un véritable miracle, et le reste de The Cost Of Victory est de très bonne facture.

Pour gravir les échelons du game, Vic ne cherchera pas à se rapprocher des rappeurs les plus confirmés. Une stratégie qui lui garantit de ne pas rester dans leur ombre. Il faut lui reconnaitre un certain flair, puisqu’il s’associe en 2016 à Big Ghost Ltd, avec qui il enregistre The Ghost Of Living, un des projets les plus intéressants de cette même  année, passé quasi inaperçu à sa sortie fin décembre. Spencer a désormais un pied dans l’arène aux côtés des stars montantes de Griselda. The Ghost Of Living est précisément l’album que Daupe! choisira pour figurer à son catalogue.

Un autre chicagoan haut en couleur profitera de l’appel d’air créé par Vic Spencer. Il s’agit du très prolifique Chris Crack. Ensemble, ils frappent à deux reprises. La première fois, c’était bien avant la hype, début 2016. Who The F** kIs Chris Spencer, est un album auto-produit de très haut vol. Chacun avec son style, les deux emcees remettent à l’honneur les codes du freestyle, entendu littéralement au sens d’un rap libre. Avec une voix acide et haut perchée pour Chris, profonde et caverneuse pour Vic, ils balancent leur vision décalée et sarcastique de la société américaine sans se soucier de structure ou de narration. Daupe! s’est encore une fois saisi du phénomène et a sorti cet été une version vinyle et cassette de Who The F**k Is Chris Spencer. Cette fois c’est bon, on sait qui the f**k est Vic Spencer.

La paire ne s’est pas arrêtée à ce premier méfait. Les deux emcees se sont retrouvés cette année pour nous concocter une nouvelle tape de leur avatar Chris Spencer. Sobrement intitulée Blessed, elle reprend les codes esthétiques qui ont fait le succès de Who The F**k Is Chris Spencer. On est en droit d’espérer que Daupe! se saisisse de l’affaire et nous propose un joli tirage vinyle. La suite? La voilà résumée dans un tweet plutôt explicite :

Hus Kingpin aka Lord Wavy

Hus Kingpin est né à Brooklyn mais a grandi à Hempstead, dans l’état de New York. Il forme rapidement avec SmooVth le crew Tha Connection, et débute sous l’étendard du label japonais Goon Trax. Les deux artistes feront un bon bout de chemin ensemble avant de bénéficier de différentes rééditions de labels plus influents. Ils sortent ensemble en 2016 HNIC Hempstead Niggas In Charge, en clin d’oeil au très bon projet de Prodigy sorti en 2000.

Hus est un vrai rappeur de la rue. Son flow décalé et ses lyrics durs ne sont pas sans rappeler un Prodigy au meilleur de sa forme. Il se lancera en solo avec un premier projet en 2013, Cognac Tape en collaboration avec Roc Marciano, d’ailleurs présent sur tous les morceaux. Aujourd’hui réédité par Mello Music Group, ce projet était le premier coup de gong donné par Hus pour signifier sa présence grandissante dans la place underground.

Désormais certifié par Roc Marciano et connaissant une audience grandissante, Hus rejette malgré tout le côté commercial et industriel que le rap peut connaître aujourd’hui. Respectant l’héritage du boom-bap new-yorkais des 90’s, il ne recherche pas la gloire et refuse de tomber dans le mainstream pour être libre de forger son propre univers sonore. Preuve en est, chacun de ses projets est une réelle expérience sonore. Tant au niveau des productions qu’au niveau des textes, Hus sait varier les thèmes en conservant une identité gangsta.

En 2017, il part s’installer à Los Angeles et enregistre 11 titres avec Big Ghost LTD pour un projet intitulé Cocaine Beach, comprenant des apparitions de plusieurs pointures underground (Planet Asia, Willie The Kid etc..). Ce projet sera celui que Daupe! choisira pour l’intégrer à son catalogue.

Playlist : les artistes Daupe! en 10 titres