20syl, des projets plein la MPC (partie 1)

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20syl, des projets plein la MPC (partie 1)

À la naissance de The BackPackerz, il existait au sein de la rédaction une « hit list » des artistes et activistes que nous souhaitions rencontrer et avec qui nous voulions discuter de l’avenir du Hip-Hop. Dans cette liste, des personnalités internationales dont vous pouvez déjà retrouver les interviews sur le site, comme le légendaire Bobbito Garcia pour son rôle dans l’émergence de la scène Hip-Hop 90s ou bien 9th Wonder pour son travail sur l’éducation par le Hip-Hop. Et du côté français, il y avait tout en haut de cette liste le producteur / rappeur nantais 20syl, membre d’Hocus Pocus et de C2C et qui se lance à présent dans un projet en solo, avec la sortie de son premier EP, Motifs.

Depuis sa première apparition sur mixtape en 1996 avec Première Formule, ce diplômé des Beaux-Arts a contribué au renouveau de la scène Hip-Hop française. Jazzy et soul dans les années 2000 puis aux accents plus électroniques depuis quelques années, la signature sonore de 20syl est un mélange d’avant-gardisme musical et de célébration d’un passé qu’il puise dans son ample collection de vinyles.

Voici donc ci-dessous la première partie de notre interview avec 20syl, dans laquelle l’intéressé nous parle de ses multiples projets.

Bonne lecture !

The BackPackerz : Peux-tu nous parler de ton premier EP solo, Motifs, qui sort le 16 juin prochain ?

20syl : Il s’agit d’une série de sons que j’ai collectés récemment. En gros, on peut dire que cet EP regroupe mes prods préférées de ces six derniers mois. Plusieurs invités seront présents, à commencer par Rita Jackson aka Rita J, une super rencontre, qui était déjà sur l’album de C2C et aussi en tournée avec nous. C’est une nana de Chicago qui rappe super bien, avec une super présence vocale et physique. On trouvera ensuite Ibrahim Maalouf, le trompettiste, que j’ai rencontré sur un tournage. On a enregistré un truc direct à ce moment-là, que j’ai conservé pour l’EP, en le retravaillant. Le morceau est assez cool et c’est sûrement celui qui sonne le plus “old school” de l’EP, même s’il garde tout de même cette petite touche électronique. Le dernier invité est Oddisee, le MC/producteur de Brooklyn dont je suis fan. Il est, je crois, plus connu pour ses prods que pour ses raps, mais je peux vous dire qu’il est ultra sous-estimé en tant que rappeur. Il est vraiment très fort, j’ai eu la chance de pouvoir le faire venir chez moi pendant sa tournée française, et il a posé son couplet de façon super impressionnante en one shot, et le morceau est devenu un de mes préférés de l’EP. Motifs est un EP sur le thème des “patterns”, ce concept d’assemblages, de répétitions, de compositions en termes de touches de couleurs,  qui est finalement au centre de mon boulot. La pochette reflète aussi le thème, avec ce jeu entre un motif naturel – les zébrures – et un motif artificiel, le damier. Cela illustre le fait que je passe de l’un à l’autre, du motif très mathématique au motif plus organique, ce qui a toujours été au coeur de ma musique. C’est vraiment en réalisant cette pochette que je me suis rendu compte à quel point cela collait parfaitement à l’univers musical que j’essayais de développer.

Était-ce une volonté de ta part de réaliser un projet solo et de ne plus être systématiquement associé à un groupe ?

Premièrement, ce n’est pas une question d’ego. J’avais surtout envie de réaliser un projet pour lequel je n’ai de comptes à rendre à personne. Avec cet EP, je savais que si je voulais aller au bout de mon idée, du début à la fin, je pouvais le faire. L’égoïsme potentiel n’avait donc pas pour but de se mettre en avant mais plutôt d’assouvir cette envie de mener un projet de A à Z. Dans Hocus Pocus, par exemple, je m’en remettais beaucoup à l’avis des musiciens, de Greem,…il y avait toujours des concertations et donc des compromis. D’où cette volonté de faire un EP sans compromis, même si je continue bien sûr de demander des avis autour de moi et que certains me font faire des changements. J’entends tout, chaque remarque me fait cogiter, mais il n’empêche que je voulais cette fois-ci aller tout au bout de mon délire. C’est vrai que jusqu’ici, j’ai toujours fait partie de groupes, pour lesquels j’ai énormément bossé, du coup mon nom a souvent été caché derrière l’étiquette des groupes, donc j’avais aussi envie de montrer que j’étais capable de faire quelque chose qui tient la route tout seul. Mon ambition est de sortir si possible d’autres EP ponctuels, dès que j’aurai accumulé assez de titres de qualité, sans trop de pression, mais pour décliner cette idée des motifs sur plusieurs disques.

« J’avais aussi envie de montrer que j’étais capable de faire quelque chose qui tient la route tout seul. »


On a appris que tu bossais en parallèle sur un autre projet, Alltta, en duo avec Mr. J de The Procussions. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Ça doit faire au moins cinq ou six ans qu’on parle avec J de créer un truc tous les deux, mais on n’arrive jamais à trouver le temps de se retrouver en studio. Mais il y a quelques mois, il est arrivé avec cette idée de nom, AllttA, moi j’ai sorti quelques visuels qui, graphiquement, me plaisaient, et puis j’ai toujours kiffé ce que J faisait musicalement, qui est notamment très impressionnant niveau écriture. On a donc fini par se lancer, je lui ai envoyé des prods, il a sélectionné celles qu’il aimait le plus, et récemment, il est venu depuis Los Angeles pour passer huit jours à Nantes, dans mon studio. On a ainsi pu enregistrer non-stop et aujourd’hui on a neuf titres en boite, sur lesquels il y a du boulot bien sûr, mais ce qu’il a pu proposé niveau écriture est assez ouf. J’ai encore du mal à tout saisir tellement ses couplets sont riches en métaphores, en double et triple-sens, ses patterns de rimes sont aussi ultra complexes. C’est si impressionnant que je lui ai dit qu’il devrait carrément faire des cours sur Rap Genius pour expliquer ses concepts et à quel point ça va loin. Ce qu’il développe dans ses textes est hyper intéressant, je n’avais jamais vu une écriture aussi pointue et référencée en termes d’Histoire ou de cinéma. Il a par exemple un couplet de 60 mesures, avec un son qui monte en puissance en parallèle, assez dingue. C’est donc un projet à suivre de près car, à la fois j’ai poussé J dans ses retranchements avec des rythmiques sur lesquelles il n’a pas forcément l’habitude d’écrire et de rapper, et lui, avec le contenu et la puissance de ce qu’il raconte, m’a aussi poussé loin dans ce que j’ai à faire niveau arrangements pour mettre en valeur ses parties vocales. Un beau travail d’échange en somme.

D’où vient le nom AllttA ?

J l’explique sûrement mieux que moi, car cela va avec les concepts qu’il développe dans ses textes, mais AllttA signifie “A little lower than the Angels”, ce qui signifie “un petit peu plus bas que les anges”. C’est une métaphore d’humilité. Il faut savoir que J est pas mal dans un délire spirituel, à tel point que The Procussions étaient considérés à leur début comme un groupe de “Christian Rap” (“Rap Chrétien”) aux États-Unis. Il s’est depuis détaché de ceci, mais a tout de même gardé une certaine philosophie fortement empreinte de spiritualité, ce qui se ressent dans ses textes ou dans ce nom AllttA. Même si je ne suis pas forcément dans le même délire, j’ai bien apprécié ce concept et je trouvais que l’image était assez forte.

Revenons sur l’épopée C2C : on imagine par exemple que la tournée de C2C a dû être quelque chose d’assez incroyable non ?

La tournée US de C2C fut une vraie aventure. C’était assez fou de traverser tout le pays et de faire partie d’événements mythiques tels que Coachella, mais aussi de pouvoir jouer à New York ou Montréal, où l’ambiance était carrément dingue. On voyait que C2C commençait un peu à frémir aux États-Unis, qu’il se passait quelque chose vu les retours très positifs, mais on n’a jamais réussi à faire décoller le truc comme en France. Je ne sais pas ce qui a manqué, mais on n’était vraiment pas loin. Ça reste malgré tout de purs souvenirs !

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Crédit photo : Yann Bigay

Te faire un nom là-bas, en tant que producteur pour les rappeurs US par exemple, fait-il partie de tes objectifs ?

Non, ce n’est pas un objectif. Ça fait forcément partie de l’évolution lorsque tu t’imposes en tant que beatmaker, j’ai d’ailleurs déjà pas mal de demandes, j’envoie quelques sons…mais mon problème c’est que j’ai tendance à garder mes meilleurs sons pour moi. L’idée me faisait plus rêver il y a dix ans que maintenant, car je réalise que bosser avec des mecs qui étaient ou sont mes idoles n’est pas forcément la meilleure chose à faire. Je préfère aujourd’hui travailler avec des gens avec qui j’ai eu un vrai feeling artistique, qui sont autant à fond dans un projet que moi. Tu peux connaître de petites désillusions en collaborant avec de gros artistes ou des mecs qui viennent juste pour prendre un chèque.

Et un retour d’Hocus Pocus, c’est possible ou pas ?

Tout est envisageable, que ce soit du côté d’Hocus Pocus ou de C2C. Il faut juste que l’envie et l’inspiration soient là. Personnellement, en terme d’écriture, ce n’est pas forcément le cas pour l’instant car le concept d’Hocus demande que j’écrive de manière assez intensive pour sortir un album, ce qui me paraît difficile actuellement. En ce moment, je préfères plutôt écrire des couplets ici et là pour des projets de potes, je ne me vois pas trop faire un album complet en tant qu’auteur. De plus, faire des sons, des prods, me fait beaucoup plus marrer que d’écrire des textes. Pour moi, faire un album d’Hocus c’est comme faire un album de rappeur solo, ce qui représente un boulot énorme…

On vous laisse avec le très bon « Hypetrak mix » de 20syl, posté il y a quelques jours par le Nantais et qui vous donne entre autres un petit aperçu de son EP Motifs, mais aussi du projet AllttA, dont il nous a parlé en détails dans cet entretien.

Stay tuned pour la seconde partie de l’interview, qui sera publiée mardi 17 Juin, au lendemain de la sortie de son EP Motifs.