Tortoz – Roze

roze-tortoz
mai 2019

Tortoz

Roze

Note :

Roze, une seule couleur pour définir un album qui présente pourtant une large palette de nuances… En effet, si l’esthétique fuchsia et fluffy de la pochette induit une ambiance plutôt légère de prime abord, le jeune Grenoblois nous conte en réalité un récit introspectif plus souvent noir que rose. Chronique et rencontre avec l’intéressé.

« Tout est bre-som, j’impose la rançon »

Pour son deuxième album studio, Tortoz annonce d’emblée la couleur et elle est loin d’être pink contrairement à ce que scande son premier titre. Sur la prod lugubre de SCXTT et les sonneries de téléphones, le rappeur grenoblois pose un egotrip froid qui dresse le bilan de sa vie et les bases de son ambition. Le plan est clairement à l’ascension sociale et ce, grâce à la musique. Rien d’original jusqu’ici mais le besoin de se faire de l’argent vire à l’obsession tant il est présent dans les lyrics, disséminé dans un grand nombre de morceaux. Mais nous y reviendrons.

Si les comptes bancaires ne semblent pas au beau fixe, Tortoz possède tout de même son propre label Full G et montre à quel point il maîtrise la DA de son projet.

A l’image de ses premiers EP, Tortoz est quelqu’un qui travaille avec son cercle proche, voir presque une équipe d’habitués. Sur les prods de Roze, on retrouve bien sûr les fidèles Dioscures, MingoSCXTT, le Hollandais Mikuda et le prestigieux High Klassified avec qui il avait déjà travaillé sur New Ventura.

Néanmoins, ce dernier a fait l’effort sur ce nouvel opus de s’ouvrir à d’autres horizons avec de nouveaux collaborateurs comme l’excellent Benjay (« 60 années » et « Festival de rêve » de Damso),  et le génial duo Da-P qui travaille régulièrement avec des artistes qu’on aime beaucoup chez BACKPACKERZ comme Mick Jenkins, VanJess ou Little Simz.

Pour Roze, j’ai travaillé avec beaucoup de monde et je trouve que c’est mon meilleur projet en partie grâce à ça.

© JuPi

Côté featuring, les choix sont vraiment judicieux. D’abord avec Cheu-B qui effectue un contre-pied à son dernier projet Icône, très trap, en se calquant parfaitement à l’ambiance hispanique, chère à Tortoz, de « Calle ». Même bail avec Yaro sur le titre « Desperado », délicieusement entraînant. D’ailleurs, pour l’anecdote, le featuring et la rencontre avec ce dernier se sont faits à la suite du Planète Rap de PLK qui avait visiblement séduit Yaro.

Sur l’avant-dernier titre « Zone », on retrouve les deux frères Marocains, Shobee et Madd, qui avaient fait grand bruit l’année dernière avec le titre « Money call » de Laylow. « Zone » n’est peut-être pas la track la plus marquante de l’album mais elle a le mérite de mettre en lumière ces deux artistes encore en plein développement et qui devraient continuer à faire parler d’eux dans les mois à venir.

Mais le plus étonnant est probablement la collaboration avec ses potes Slimka et Di-meh sur le titre électrique « H/H », enregistré en quelques heures après un concert à Grenoble. Le feat ne semblait pas évident à première vue et tape pourtant dans le mille à l’écoute ! En effet, le Grenoblois donne aux flows surexcités des deux Suisses une belle contre-balance qui donne

envie de danser avec les loups comme Kevin Costner

« Gris comme mes écrits »

Si on compte quelques titres d’ambiance comme « Vixen », l’ensemble est extrêmement mélancolique surtout lorsque l’on se penche sur les textes. Trois choses semblent peser au Grenoblois, à savoir l’amour, la drogue et l’argent.

L’amour c’est compliqué de manière générale, et plus spécifiquement pour Tortoz qui ne semble pas y trouver son équilibre. S’il l’évoque succinctement dans « Blue Magic », c’est dans le titre « Desperados » qu’il explique son besoin de tracer sa route et définir son destin seul sans qu’une distraction sentimentale vienne l’obstruer.

On a commencé à deux mais pour faire la route seul j’lui ai tiré dans le cœur comme dans Desperado

© JuPi

Comme dans le film de Robert Rodriguez auquel il fait référence, Tortoz perd l’être aimé mais, a contrario d’El Mariachi, c’est lui qui appuie sur la gâchette. On pourrait se dire que l’envie de réussir est tellement grande qu’il a décidé de ne s’attacher à personne mais on comprend dans « La vie en rose » que le problème est peut-être ailleurs. Pour voir la vie en rose, Tortoz a besoin d’effluves de whisky pour baisser la garde et s’abandonner quelques heures aux sentiments. On imagine qu’une fois les effets dissipés, le cœur  de pierre fait malheureusement son retour.

L’alcool n’est pas le seul psychotrope consommé comme l’expriment très explicitement les tracks « Blue Magic » et « 3020 (Sous codéine) » qui se suivent dans la tracklist. Dans la première, tout porte à croire qu’il s’agit d’une référence au premier extrait du dixième album studio de Jay-ZAmerican Gangster. Le nom « Blue Magic » faisant alors référence à une puissante forme d’héroïne vendue par Frank Lucas au plus fort de son trafic de drogue à Harlem. Le Grenoblois lui rend un bel hommage et y allie une fois de plus une histoire d’amour dont il est difficile de dire s’il s’agit d’une métaphore ou d’un astucieux mélange des genres !

Concernant le titre « 30/20 (Sous codéine) », pas de place au doute sur la prise de lean, mais il explique la prendre quand il est en colère ; en colère ou pour fuir un quotidien qui ne semble plus le satisfaire.

Ce quotidien, il en parle d’abord dans « Couleur Miel » qui, à première vue, raconte l’histoire d’un Bonnie and Clyde des temps modernes (en tout cas dans le clip). En réalité, elle a directement été inspirée d’une bavure policière ayant eu lieu en début d’année à quelques mètres de son studio.

Y’a rien d’attirant dans la fame, mon ego dragué par un fake

– Couleur Miel

On y comprend d’ailleurs que sa vraie motivation n’est pas la gloire… C’est dans « Moins qu’hier » qu’on identifie que ce qu’il souhaite par-dessus tout c’est de rendre fier ses parents et les mettre à l’abri du besoin. Sauf qu’il semble voir le verre à moitié vide et pense que les choses vont de mal en pis de manière inéluctable.

Mais il faut attendre le dernier titre « Fuego«  pour entendre son ultime confidence. Dans un piano/guitare/violon /voix, Tortoz se livre sans fard sur ses maux et c’est extrêmement touchant. Ce titre, il a failli ne jamais le publier et le proposer en topline à la chanteuse Louane mais ses proches l’ont convaincu du contraire.

Pour conclure, on peut avoir l’impression au premier abord qu’il s’agit d’un album en surface… Mais c’est au bout de plusieurs écoutes que l’on découvre que Roze est profondément impudique. Rose de l’extérieur, noir à l’intérieur… Doté d’une sincérité désarmante qui en touchera probablement beaucoup, mais permettra surtout de mieux connaître Tortoz puisque rares sont les projets qui ressemblent autant à leur auteur.