Miki – industry plant

03/10/25

Miki

industry plant

Note :

Alors que le public semble de plus en plus obsédé par l’idée “d’industry plant”, l’artiste franco-coréenne a choisi de retourner ce terme à la mode contre celles et ceux qui le lui collent depuis plus d’un an, avec son premier album sorti le 3 octobre. Taxée par beaucoup de “produit des labels”, accusée d’être trop marketée, trop fausse, elle fait de cette lourde étiquette le titre de ce projet. Sa mission est simple : reprendre le contrôle d’un récit qu’on a écrit à sa place depuis son premier morceau à succès, échec et mat. Analyse. 

Si tu peux, efface tout et on réécrit mon personnage, j’vomis tous les mots qu’on dit de moi sur internet”.

Le public rap (mais pas que) a placé Miki dans une case, et ce très rapidement. En réalité, il l’a fait avant même que la principale concernée ait eu le temps de se défendre. Trop pop, trop excentrique, éloignée du quotidien de la plupart des artistes hip-hop, elle s’est retrouvée, sans qu’on le demande vraiment, propulsée dans nos écouteurs et sur les pages d’accueil de nos plateformes de streaming préférées. En baptisant son premier album industry plant, l’artiste prend un risque assumé ; plutôt que de se détacher du concept une bonne fois pour toute, l’idée serait plutôt de le décortiquer, sans doute pour s’en exorciser. En tout cas c’est ce que l’on conjecture en lançant l’album.

Via le marketing du projet, travaillé dans son label Structure, le concept est poussé très loin ; le livret de paroles du disque est fait en graines plantables (oui, littéralement). On ne peut pas reprocher à Miki de ne pas savoir où elle va ; on peut en revanche émettre des doutes sur la subtilité du message.

Mais c’est en réalité surtout (et presque uniquement) sur « yes », le premier morceau du disque, que Miki évoque la violence de l’exposition médiatique. C’est directement l’un des moments les plus sincères du projet, où l’artiste parle frontalement du harcèlement qu’elle a subi en ligne. C’est d’ailleurs elle-même qui utilise ce mot au micro de Mehdi Maïzi dans l’émission À la régulière sur France Inter, où elle apparaît sincèrement touchée et épuisée mentalement par ce phénomène. La production douce et planante du virtuose LUCASV, qu’on retrouve aux manettes de 8 des 14 titres de ce projet, place la voix de Miki au premier plan, et c’est presque l’une des seules fois où le mix de sa voix est aussi clair. Le morceau se termine sur une note d’espoir rassurante : “rendez-vous dans 2 ans et c’est toi qui chanteras tout par cœur”.

On comprend que Miki connaît bien les règles du jeu de l’industrie ; son rapport à sa propre image est une sorte de lutte constante avec le public entre le rejet et la maîtrise. C’était déjà le thème central d’un morceau comme « échec et mat », titre clivant sorti plus d’un an plus tôt. Ce titre, devenu viral de par son clip et son fameux Buffalo Grill, lui a valu une partie du backlash qu’elle subit encore aujourd’hui, et est devenu une sorte de procès d’intention plutôt injuste.

L’intégration du morceau à la tracklist est cependant fortement discutable, celui-ci datant de juillet 2024 (et surtout déjà présent sur l’EP Graou en mars dernier). Il en va de même pour l’alter ego mal aimé de ce double single, « jtm encore ».

 

 

Je reste une petite fille dans un corps de garce

Après « yes », la suite du disque explore plutôt la relation entre exposition et protection, de manière beaucoup plus introspective. Miki travaille le rapport au corps, à l’image.

L’écoute la plus difficile est sans aucun doute « roger rabbit », un morceau dans lequel Miki aborde de front le sujet de la pédophilie et des violences sexistes et sexuelles, à travers la métaphore du personnage de dessin animé. Un sujet violent, qui plus est traité avec les codes de l’enfance. Les respirations saccadées, les notes modulées, les sons de cartoon déformés créent un univers glauque assez insoutenable. C’est un morceau très pesant que l’on traverse presque plus qu’on ne l’écoute. Beaucoup voudront y dresser un parallèle (mal avisé) avec le très clivant morceau de Damso, « Julien », la différence tenant évidemment ici dans le choix du point de vue, celui de la victime. Un choix louable.

D’autres morceaux abordent des thèmes difficiles par bribes, comme « cartoon sex » : “J’ai un prof de tennis qui m’a touchée là où il fallait pas, depuis j’suis un peu ping-pong ding-dong”. Miki a plusieurs fois expliqué que des textes comme celui de « roger rabbit » n’étaient pas autobiographiques, mais cette performance de la douleur est sans doute sa façon de rejouer le trauma par la fiction.

Le rapport au corps demeure central dans le projet. Par exemple dans « bnf », avec “Jennie de Wish, ils ont dit, dans les commentaires” ; ou dans « hajima », “J’passe des coups de fil depuis l’enfer”. Des phrases qui témoignent d’une fatigue puissante, d’un vide profond.

À bien noter que Miki ne cherche jamais à rendre sa vulnérabilité séduisante : elle la montre telle quelle, brute, parfois dérangeante ou loufoque. industry plant est en cela un disque extrêmement introspectif et observateur.

L’ironie (cruelle) du succès ?

industry plant est un album rempli de débats internes, mais pas que ; il parle aussi énormément des autres.

Dans « particule », qui était déjà sans doute le meilleur single avant d’entamer l’écoute de l’album, Miki scande “J’suis qu’une particule qui orbite autour de toi”. La production de LUCASV sur ce morceau est vraiment brillante, et la performance de Miki est virtuose, notamment sur une fin de refrain extrêmement difficile à chanter, dans lequel la chanteuse a à peine le temps de reprendre sa respiration. C’est ce morceau qu’elle a courageusement interprété sur les divers plateaux pour la promo de l’album. À noter qu’il fut également intégré à sa courte setlist sur la scène de l’Olympia lors du Prix Joséphine le 30 septembre dernier, où elle n’a pas eu à pâlir de sa performance malgré le fait d’être passée juste après une Theodora survoltée. Le morceau connaît un développement presque rave dans la fin de son instrumentation, signe d’un amour de la musique électronique qui transpire dans tout le projet.

« ça pik un peu quand même » semble être un morceau plus léger que le reste de la tracklist ; c’est une petite bulle j-pop, sucrée, insouciante et addictive. Derrière le ton naïf marquent tout de même la solitude et la confusion des débuts de l’âge adulte du point de vue relationnel, sur un morceau qu’on a envie de réécouter dès qu’on l’a découvert.

Un point extrêmement intéressant de l’album est aussi l’enjeu familial, qui se glisse en creux et en filigranes dans plusieurs morceaux de l’album. Dans « switch switch », Miki reprend Souchon avec “Allô maman bobo”. L’artiste explique s’être souvent sentie comme une déception dans le regard d’une mère pourtant extrêmement proche et aimante. Dans « bnf », “j’oublie l’anniv de ma sœur, elle m’en voudra pas”, “Appel de ma mère, merde, elle est en pleurs”. L’industry plant témoigne d’un profond sentiment de déracinement.

Ce disque contient énormément de tendresse, comme dans « hana one », morceau agissant comme une respiration bienvenue au milieu de la tracklist, où l’amitié devient refuge.

De plus, l’album se finit sur une note plutôt douce et positive. Le titre, « aphexion », est un jeu de mots entre “affection” et la légende de la musique électronique Aphex Twin. Il est un excellent point final au propos de l’album ; le décalage entre soi et les autres, l’acceptation de soi-même. De par son titre, on comprend que Miki accomplit peu à peu sa conquête d’elle-même. La production de ce morceau est d’ailleurs extrêmement typique de LUCASV, avec son BPM lent et son break de batterie qui aurait eu sa place sur L’Amour de Disiz, sa basse profonde et ses arpèges nostalgiques.

Vers une pop transcendante

D’un côté purement sonore, industry plant est assez transitionnel dans sa réalisation. Plus on avance, plus la pop se tord, se déforme, laissant entrer le glitch et l’électronique, dans une transition bienvenue, bien amenée et naturelle.

Le pont et le pré-refrain de « poly pocket » sont sensationnels ; à la fin du morceau, dans un crescendo ambiant, il vient tapisser les choeurs puis les cris de Miki en arrière-plan, dans ce qui est sans doute le meilleur morceau de l’album d’un point de vue purement musical. « miki cowboy », malgré son texte faible, sert de défouloir pop jouissif sous vocoder. Le dernier tiers du disque pousse la mutation électro plus loin : « hajima », « bnf », ou « aphexion » marquent un virage vers une pop électronique exigeante. LUCASV, à la production de la plupart des morceaux aux côtés du fidèle binôme de Miki, Tristan Salvati, instigue une grande cohérence au projet, et impose de plus en plus sa patte dans cette frange alternative et indie du paysage musical français.

Tout n’est bien sûr pas parfait ; comme expliqué plus tôt, il y a ce problème des morceaux trop âgés par rapport au reste de l’album. Et de manière plus générale, une tracklist de 14 morceaux dont 7 ont été révélés en tant que singles entre juillet 2024 et septembre 2025 nuit beaucoup à la vraie expérience de première écoute du projet. On sent aussi parfois la précipitation et l’urgence de prouver (peut-être même la volonté de déjà casser des codes auto-attribués dans sa très jeune carrière). Un sentiment que l’on peut peut-être expliquer par le temps de confection de l’album, à savoir 3 mois selon les propres confessions de l’artiste. Mais là encore, ce sont des défauts rendant le disque presque plus humain et attachant.

En conclusion, on sort (agréablement) surpris de ce projet. Il sonne comme un vent d’air frais musicalement, se démarquant des sorties de cette année, ce qui est extrêmement encourageant pour les prochains projets de Miki. Lyricalement, le style parfois flou, absurde ou loufoque de l’artiste nous laisse penser qu’elle a encore beaucoup de choses à penser et à écrire ; le tableau est loin d’être terminé. Cet album mérite tout autant une écoute qu’une réécoute.