Avec ce nouvel opus, le rappeur souhaite apporter un peu plus de magie dans cette année musicale déjà bien fournie. Assistons-nous à un simple tour de passe-passe ou à un numéro réussi ? Analyse.
McKinley Dixon est un artiste de 29 ans résidant dans la fameuse ville du vent qu’est Chicago, une terre plutôt fertile pour son vivier de talents exceptionnels allant de Kanye West et Common à des Chief Keef ou Chance The Rapper pour ne citer qu’eux.
Pourtant, c’est loin du froid de l’Illinois qu’il a fait ses classes puisque le natif d’Annapolis a surtout développé sa verve artistique à Richmond en Virginie, un état tout aussi important d’un point de vue musical puisqu’il a donné naissance à quelques uns de ses plus illustres profils musicaux à ce jour, à l’instar des Clipse.
Son parcours est peut-être passé inaperçu dans nos vertes contrées mais il a déjà eu l’occasion de faire ses preuves aux États-Unis en sortant quelques projets remarqués tels que Who Taught You to Hate Yourself?, The Importance of Self Belief, For My Mama And Anyone Who Look Like Her ainsi que Beloved! Paradise! Jazz!? dont l’accueil critique a été nettement dithyrambique.
La valeur de la reconnaissance des spécialistes est certes on ne peut plus importante pour tout artiste souhaitant obtenir une part de légitimité auprès d’un pan du public mais est-ce un plafond de verre pour le principal intéressé ?
En effet, ce n’est peut-être qu’une question qui taraude les analystes de la musique puisqu’ avec Magic, Alive!, Dixon semble vouloir passer à la vitesse supérieure sans trahir ses ambitions qui s’établissent sur la pureté de l’amusement.
Est-ce utopique de vouloir désacraliser l’imagerie du rap en 2025 ? C’est à cette problématique que Dixon nous offre en tout cas sa réponse.
La formule magique
Avec ce nouvel opus, Dixon continue dans la lignée de ce qu’il avait pu proposer auparavant avec son savant mélange de jazz et de rap.
Cette fusion loin d’être inédite subit automatiquement la comparaison avec son homologue de Compton qui a pris d’assaut l’année 2015 grâce à To Pimp A Butterfly, un album totem qui sert jusqu’à aujourd’hui de point de référence contemporain pour le genre.
Cette dite comparaison peut sembler logique mais elle a le don d’irriter l’artiste : « To Pimp A Butterfly existe, impossible de l’ignorer. C’est un album concept de très haut niveau, vous voyez ? Mais mes intentions réelles et les artistes que j’ai toujours écoutés et dont j’ai toujours été fan sont Quelle Chris, Black Milk et Oddisee. » [Source : Stereogum, 2025]
Certes, cet album est loin de pratiquer un mimétisme absolu tant dans le fond que la forme mais Dixon invoque tout de même certains des plus illustres architectes du chef d’œuvre de Kendrick Lamar, ce qui n’est pas pour nous déplaire. À l’écoute du projet, on ressent une véritable passion de la part de McKinley qui a étudié toutes ces influences dans le but de faire jaillir un feu d’artifices teinté de couleurs diverses et variées.
Si la patte Brainfeeder de Kamasi Washington et Flying Lotus se fait le plus ressentir sur cet album (“Magic, Alive!”, “Listen Gentle”), nous pouvons également entendre la folie d’Outkast, la maîtrise d’un Mos Def mêlée au groove feutré des Soulquarians (“We’re Outside, Rejoice!”, “All the Loved Ones (What Would We Do???)”).
Bien que cela puisse être interprété comme un décorum plutôt pompeux au premier abord, il n’en résulte pas moins d’une immense réussite orchestrée par la vision de son producteur Sam Yamaha qui a su caractériser l’immense terrain de jeu créatif dans lequel Dixon souhaitait nous emmener.
Aucun morceau n’est prévisible ou linéaire, comme si Dixon désirait que l’auditeur·ice se prenne lui aussi au jeu du lâcher-prise pour mieux se laisser porter par les vagues de mélodies.
Cette liberté qui nous est octroyée et malheureusement trop souvent accordée volontiers au monde de l’enfance est le moteur de l’artiste qui en fait son leitmotiv permanent : « Pour moi, cela signifiait créer quelque chose qui plaise à l’enfant qui est en nous. « Fist Full of Light » [« FFOL »] a une section breakdown déjantée. Je ris au milieu, puis soudain, la musique bascule dans un moment très calme où les paroles me décrivent avec un arc et des flèches. On dirait Max et les Maximonstres » [Source : BOMB Magazine, 2025]
Entendre un rappeur s’appuyer sur un ouvrage destiné aux enfants comme point d’ancrage de sa réflexion peut sembler déroutant mais c’est pourtant ce qui va cultiver la richesse de son tour de magie.
McKinley à l’école des sorciers
Cet émerveillement onirique est la pierre angulaire de la réflexion de l’artiste qui y voit un grand moyen de revitaliser le genre. Plutôt que d’y penser, pourquoi ne pas l’utiliser et en faire des miracles ?
Elle est là toute la thèse du projet dans lequel le rappeur décide de juxtaposer les éléments du quotidien avec ceux du surnaturel pour défier les repères du public.
Si l’on pense aisément au genre littéraire du réalisme magique et de facto à ses illustres ambassadeur·ices tel·les que Julio Cortázar, Jorge Luis Borges ou encore Laura Esquivel (qui a inspiré l’album Like Water For Chocolate de Common) comme influences notables, Dixon va surtout puiser du côté du monde de l’animation afin de nourrir son imaginaire foisonnant d’idées : « Je puise essentiellement mes inspirations de personnes telles que Satoshi Kon. Il mêle l’imagination et la réalité au point où tu ne sais plus démêler le vrai du faux. » [Source : BOMB Magazine, 2025]
Sur “Watch My Hands”, il nous narre à la manière d’un conte la situation initiale de l’histoire concernant la mort d’un proche en laissant le soin de conserver toutes les balises de compréhension possibles pouvant nous accrocher à un semblant de réalité… avant de nous les ôter morceau après morceau.
En effet, le morceau suivant “Sugar Water” approfondit la caractérisation de l’histoire en apportant plus de relief et d’audace via la personnification du soleil comme menace potentielle :
“Sun been gettin’ its revenge, feel the heat, you hear it buzzin’
(…)
The sunlight gon’ take us back one day (We hopin’ that it doesn’t)”
avant d’amener son lot de péripéties sur “Crooked Stick” à travers la résurrection de son ami désormais omnipotent :
“Touchin’ my face, shit, man, I guess I survived
Turned to my niggas and I yell, « It seems the curse been defied » (What?)
My skin can make the living dead or dead come alive”
Toutefois, divulguer toute l’intrigue ainsi que son dénouement serait cruel tant le récit se tient de bout en bout grâce à un séquençage astucieux et une interprétation bluffante de la part de l’artiste ainsi que des invités présents sur ce disque (Quelle Chris, Pink Siifu…).
Ce souci de valorisation des textes est d’une importance capitale pour l’artiste qui y voue une attention toute particulière depuis son plus jeune âge : « J’ai toujours fait des discours en public comme l’a fait ma mère. Je me souviens qu’on m’a demandé d’apprendre un poème à l’école et j’ai choisi parmi les textes de Maya Angelou. J’ai appris ça à l’église, la façon dont on contrôle la foule et les rendre attentifs à tout ce que tu dis à travers une chanson. » [Source : The Line Of Best Fit, 2025]
À l’heure où les concepts d’albums reculent au profit d’une collection de morceaux se succédant parfois sans alchimie, réussir à embarquer le public de cette manière est certainement la plus grande réussite de ce disque.
L’autre tour de force est sans doute sa capacité à évoquer les sujets les plus vifs dans cette légèreté superficielle.
Le pansement de la créativité
Comme sur ses projets précédents, Dixon porte dans cette œuvre sa verve revendicatrice et va utiliser le prétexte de la magie et la littérature pour étayer ses propos : « J’ai l’impression que l’art et plus particulièrement la musique reflètent actuellement cette période sombre. Me tourner vers la magie est pour moi une nouvelle façon de réfléchir à ce que je vois au quotidien. Quel que soit le concept, il fallait qu’il soit pertinent de le confronter à la vie quotidienne, et la magie me semblait un excellent contrepoint. » [Source : DIY Magazine, 2025]
S’il s’était déjà appuyé sur Toni Morrison avec son opus précédent, il va étendre le fil conducteur jusqu’ici avec le morceau “Recitatif” s’inspirant d’un récit de l’autrice concernant les défis auxquels font face les afro-américains.
On louait un peu plus haut l’apport des invités et c’est notamment sur ce titre que Teller Bank$ va se distinguer avec un couplet traitant de la froideur des actes pouvant être commis au sein de leur propre communauté :
“Yeah, ride with them locusts, bro, we ain’t no civilians
Ride with it on me, if it’s smoke, then it’s fire, we drillin’
Tried told niggas, nah, I don’t wanna kill ’em
Don’t no lives matter to me when I get in my feelings”
qui s’ajoute aux craintes partagées sur la violence d’un environnement hostile sur le titre éponyme :
“How I know all off these boys, we grew up where the windows stained
With a phoenix on his shoulder, ironic the boy got flamed
It’s the summertime, niggas gon’ die if your ankles sprained”
Sans dépeindre une image purement négative, il équilibre sa critique avec des notes d’espoir disséminées ici et là qui se basent sur un autre type de magie : celle de l’amour qui se décline par celui des siens ou celui de soi-même, telle une synthèse de l’ensemble de son travail. (“All The Loved Ones (What Would We Do???)”, “Could’ve Been Different”)
À travers cet opus, il nous prouve qu’il est encore possible de raconter des histoires, de défier le confort des auditeur·ices ainsi que les algorithmes dictant la manière dont les albums devraient être conçus aujourd’hui.
Il nous livre une œuvre pleine, riche et brillante d’originalité tout en réussissant à délivrer des messages forts sous le prisme de la métaphore et de la poésie. Parmi les quelques enseignements de cette écoute, voici sans nul doute le plus important à conserver : ne jamais cesser de garder intacte son âme d’enfant dans un monde en proie au doute.
Plus que jamais, nous avions besoin de cette fantaisie signée McKinley Dixon.
