3 Du Mat, le cri dans la nuit de Lefa et MKL

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Native Instruments

3 Du Mat, le cri dans la nuit de Lefa et MKL

Nocturne. Le seul mot qui décrit avec exactitude 3 Du Mat, l’album de Lefa. L’ex-membre de la Sexion d’Assaut, qui s’écarte de la lumière sitôt qu’il s’en approche, revient par la fenêtre avec le producteur MKL, pour livrer son meilleur disque jusqu’ici.

L’histoire de 3 Du Mat, c’est celle d’une rencontre. Entre Karim Fall, parisien né d’un père jazzman sénégalais et d’une mère française chorégraphe, qui a connu le succès avec le collectif Sexion d’Assaut, puis en solo sous le nom de Lefa ; et MKL, producer et ingénieur du son, qui a jadis côtoyé le micro avant d’opérer derrière les machines. Deux musiciens qui se vouent un respect mutuel. Qui volent tous deux près des projecteurs, jamais en pleine lumière. Comme si le vif éclat des flashs avait le pouvoir de brûler les ailes de ces papillons de nuit.

Trouver son rythme

Fin deux mille dix sept, Lefa cherche un réalisateur avec qui enregistrer son nouvel album. Un chef d’orchestre, en mesure de donner à ce disque une cohérence et de le réaliser de A à Z. Une séance en studio le persuade d’offrir ce rôle à MKL. « Un beau jour de novembre, tu as Lefa qui te dit : viens, tu vas faire l’album avec oim », raconte le producteur. « Là, tu te dis : t’es avec l’un des meilleurs lyricistes du rap en France, il faut être bon. Historiquement, je l’écoute depuis le lycée. » L’alchimie fonctionne et, très vite, le binôme planche sur un premier titre commun. En deux mille dix-huit, les choses s’accélèrent. « À la base, je pensais faire une mixtape », explique Lefa. Vu qu’on avait six ou sept titres, on s’est dit : pourquoi pas faire un album ! Là, on s’est enfermés en studio presque tous les jours. »

Leur méthode est simple : un processus itératif basé sur une mélodie puissante, validée en amont de l’écriture. « La première chose, c’est la rythmique. Après, on cherche la bonne boucle. Enfin, MKL fait les arrangements », décrit Lefa. Pour ça, MKL a ses instruments favoris : « J’utilise beaucoup Native Instruments, tout ce qu’il y a dans Komplete. Le système de tag et la pré-écoute qu’ils ont mis à jour pendant l’album a beaucoup servi. Ils permettent de pré-écouter les sons d’une même banque sans avoir à les charger un par un, ce qui fait gagner un temps fou. Par exemple, le son de « Maux De Tête » vient d’un synthé qui s’appelle Form, que je n’aurais jamais trouvé sans ce système. » Un rythme et une boucle épurés qui fonctionnent, c’est donc la recette du tandem.

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MKL, producer de Lefa © Randy

La nuit, tous les raps sont gris

À force, Lefa et MKL trouvent une couleur propre. « J’ai voulu un album très rap, plus sombre que mes précédents », explique Lefa. « Une continuité de Visionnaire, plus axé sur l’écriture, avec un propos plus cru, plus dur, plus profond. » En plus d’apporter à cet album une touche mélodieuse sur les huit morceaux qu’il a produits, MKL a coordonné et mixé l’ensemble des compositeurs invités sur le projet : Zeg P, Benjay, Nyadjiko, Jo A Touch, Bersa, DJ Titaï, Biggie Jo et l’inénarrable Dany Synthé. « Quand le concept de nuit a été exposé, j’ai eu une direction claire, qui m’a permis de réaliser l’album, au-delà de l’aspect purement technique », relate le producer.

J’ai voulu un album très rap, plus sombre que mes précédents

La nuit est le point de départ du disque. Son ambiance crépusculaire dépeint le mode de vie que mène alors Lefa, un « mec de la nuit », comme il se décrit lui-même. Trois heures du matin, c’est l’heure à laquelle il réalise qu’il est tard et qu’il n’est toujours pas rentré. Celle où il rejoint Le Brébant, son restaurant fétiche à Grands Boulevards, dont la cuisine est ouverte jusqu’à cinq heures. Quand il n’est pas encore devant le micro ou derrière les consoles ! Le titre de l’album, soufflé par H Magnum, s’est donc imposé comme une évidence.

Lorsqu’il estime avoir déjà tout dit sur un morceau, Lefa imagine un featuring pour le compléter. Une nouveauté, pour qui se mélange peu d’habitude. Ici, le rappeur élargit ses horizons et varie les genres avec l’aide précieuse d’Orelsan, Sneazzy, Lomepal, S.Pri Noir, Dadju ou encore Abou Tall. « Les featurings, j’en suis assez fier, car je les trouve bien choisis. Artistiquement, ils sont tous cohérents », remarque-il avec justesse. Grâce à son recul, l’ex-membre de la Sexion d’Assaut parvient à lier stratégie et coup de coeur. « Paradise », single par excellence, offre ainsi la part belle à Lomepal, fraîchement propulsé à la tête des charts. « J’ai pensé à lui en parlant avec S.Pri Noir. Le feeling est passé direct, on est devenus potes et on a fait le clip à Los Angeles. Bête de délire, j’en suis trop content. » Pour les curieux, MKL a dévoilé comment il avait construit ce hit lors d’une Native Session mémorable à La Place :

Minute, papillon !

Finalement, cet album est peut-être le premier de Lefa. Celui où il réussit à prendre son temps pour perfectionner son style, nourri par un goût affuté de la rime et quelques bonnes références américaines. Lors d’une écoute attentive, on réalise en effet que « Paradise » s’inspire librement de « Tempted » de Jazz Cartier. Ou que « Santé » reprend le phrasé hypnotique de Drake et Future sur « Jumpman ». Selon MKL, la confiance que lui a accordé Lefa est la clé d’un tel succès : « À partir du moment où tu es un binôme, l’égo n’existe plus et on devient une équipe. C’est pas comme ça avec tous les artistes. » Et Lefa de renchérir : « On s’écoute. S’il y a un truc que je sens pas, il va tâcher de comprendre pourquoi et inversement. Tout ce qu’on fait est au service du son. »

À partir du moment où tu es un binôme, l’égo n’existe plus et on devient une équipe.

Grâce à l’énergie insufflée par MKL, une page nouvelle s’écrit pour Lefa. « Personnellement, c’est le début d’une histoire », analyse l’intéressé. « Depuis que je me suis lancé, c’est mon troisième album. Le premier a un problème d’identité, il reste sur les recettes Sexion d’Assaut : montrer qu’on est des artistes éclectiques, qui savent tout faire. Quand Maître Gims a continué de faire la même chose, ça a marché. Pour les autres, il a fallu se trouver, comprendre sa force au sein du groupe et l’isoler pour en faire un monde. » Monsieur Fall, déjà sorti de sa chrysalide il y a fort longtemps, a mis du temps avant de redéfinir les contours de son identité. C’est chose faite avec 3 Du Mat. « À la fois l’aboutissement et le début de quelque chose. »

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