Azizi Gibson, le secret le mieux gardé de la West Coast

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Azizi Gibson, le secret le mieux gardé de la West Coast

Talent hors du commun, énergie débordante Azizi Gibson (à prononcer (Eu)zizi Bitch !) est un artiste encore sous-coté. Retour sur l’ascension d’un rappeur West Coast qui pourrait bien tout dynamiter d’ici quelques années.

Flying Lotus, la mise en orbite

Azizi Gibson est né à Francfort (Allemagne) d’un père et d’une mère américains, respectivement originaires de Harlem (NY) et de Baltimore (Maryland). Si aujourd’hui le rappeur a pris ses quartiers dans la cité des anges, il a eu le temps de rouler sa bosse aux quatre coins du monde pendant son enfance. Aussi, après un passage à Singapour et en Thaïlande, où ses parents officiaient pour l’armée, Azizi Gibson revient aux USA à 11 ans et débarque à 20 ans à Los Angeles.

À ce moment-là, « Z » se consacre à plein temps au rap et s’inspire d’artistes tels qu’Outkast, Eminem et Slim Shady tout en écoutant du  jazz sous l’influence paternelle. Pour se faire un peu d’argent, il travaille chez Walmart en soirée et continue à bosser d’arrache-pied ses projets. Enfin comme un heureux coup de poker, il est approché en 2012, par le label de Flying Lotus (Brainfeeder Records) sur lequel signent déjà des figures hip hop comme The Underachievers ou Thundercat. Aussi, la roue est lancée, et Azizi Gibson met les gaz sur toute une série de projets comme la mixtape Ghost In The Shell (2013) ou encore l’album Backward Books. Brainfeeder Records devient une rampe de lancement, et le haut parrainage de Flying Lotus lui assure une place au soleil jusqu’en 2015, date à laquelle  il choisit délibérément de  mettre fin à sa collaboration.

Galvanisé par une volonté d’indépendance, « Z » justifie son retrait du label par des divergences  entre sa vision et celle de Brainfeeder. Officiant seul, il dégaine avec l’EP The Last et commence à se faire un public à part entière, jusqu’à créer sa propre marque de fabrique : le concept preHISTORIC.

PreHistoric, la construction du mythe

Si Azizi Gibson a lancé ce concept bien à lui, et ainsi sa propre marque de fabrique sous le nom de preHISTORIC, la démarche et l’idée sont fortes. Ainsi, sa période preHISTORIC est annonciatrice de la construction d’un mythe fondateur où il serait question d’agréger une multitude d’expériences relevant de l’apprentissage, avec l’idée que celles-ci précèderaient l’histoire avec un grand « H » et par conséquent LE succès. Et quand Gibson est interrogé sur ce concept de l’âge de pierre, il se plaît à déclarer en boucle « It’s before we make history » un peu comme s’il voulait moucher les attentes du public par un « The best is yet to come« .

Une vision prospective, un pied dans le futur et la tête sur la lune, Gibson ne laisse aucune place au doute, là où certains détracteurs pourraient le taxer de mégalo tant il ne cesse de s’adonner au story-telling et nourrit sa propre légende. Si preHISTORIC devait trouver son pendant, il serait comparable à ce qu’est aujourd’hui le thème du college chez Kanye West, à l’époque où il a bâti sa notoriété avec des albums hissés au panthéon des classiques. C’est notamment le cas pour The College Dropout et la récurrence de la mascotte de l’ours, que l’on retrouve en cover de Can’t Tell Me Nothing alors que Kanye West avait déjà bien entamé sa mue vers la gloire.

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© HipHopDX

Si cette étape est fondatrice dans la carrière du « Z », elle devait être nécessairement incarnée. Le 5 octobre 2015, jour de son anniversaire, il sort son album preHISTORIC Till Death dans lequel il réalise sa profession de foi. Bien loin d’être une redite des précédents projets, cet album révèle une certaine maturité sur le plan instrumental et technique, même si les sujets y sont légers.

Sur le morceau érotique  « Ass » sur lequel Azizi Gibson révèle ses standards féminins, il débute avec cette déclaration sans détour  « I only fuck with women with ass » qui ponctue à intervalle régulier le morceau, sur fond  des cris de jouissance de l’actrice porno américaine Cherokee Dass. Dans le même esprit sur « Party Man », le rappeur dessine les contours de sa vie de patachon, qu’il résume en ces termes « doing drugs, giving hugs, and a bunch of silly stuff ».

Déjà à cette époque, et avant New Life, il cumule les références à la mort comme sur « Grim Guide » et sur « Party Man » sur lesquels il va jusqu’à personnifier la mort, en mettant en scène une conversation imaginaire avec elle. Sur ce morceau, comme un couperet tombé net, la mort est comme prête à l’arracher et murmure à sa proie « But tonight, I’m specifically here to guide you to your death », pour enfin voir cet échange se clôturer avec humour lorsqu’une voix off s’immisce pour critiquer le manque de tact de la grande faucheuse.

Mais s’il y a bien un titre qu’il conviendra de retenir sur cet album, il s’agit de « Slave Ship » (feat.Wacka Flocka). Un texte fort et entêtant, qui condamne l’Amérique raciste et qui porte au grand jour un duo à succès. Si l’on prend de la hauteur, il est certain que « Z » est dans l’introspection dans la plupart de ses albums et se révèle obsédé par la mort. Perdu et comme bouleversé par ses pulsions de mort, il va jusqu’à interroger SIRI sur sa durée de vie sur « Grim Guide ».

L’univers made in « Z » ou le syndrome de Peter Pan

Sur papier glacé et dans la vie, Azizi Gibson en impose. D’abord par sa présence physique imposante, son regard « croco » ensorceleur,  et son côté « tough guy » avec un signe disctinctif : son anneau dans le nez. Mais le grand gaillard intimidant n’a pas coupé le cordon avec son imagerie adolescente comme le laisse entendre les  références à Harry Potter, aux mangas et aux jeux vidéos (comme sur « Nintendo King » en featuring avec Tuka et 8sho sur Memoirs Of The Reaper). Aussi sur les titres « Bass » et « Winners Circle »,  il évoque sa cape d’invisibilité « Got my invisibility cloak » ou va jusqu’à comparer sa chambre d’ado, à celle de l’apprenti sorcier « Harry potter room I was livin’ under there, Nigga ».

De fait, Azizi Gibson s’inscrit dans un projet anti-conventionnel. Un univers où  les gros durs peuvent parfois être des grands gamins  et évoquer J.K Rowlings sans avoir à en rougir ou se pavaner sur Insta avec ses chaussettes roses estampillées Gucci, là où certains parlent dollars, guns et bitches.

Globalement et sur l’ensemble de ses projets, ses thèmes restent les mêmes, parmi lesquels : les femmes, la musique, sa nintendo, ses mangas et la mort. Aussi dans son dernier projet, Azizi Gibson ressuscite ses souvenirs de gosse avec l’album Backwards Books 2 dans lequel il met l’Asie à l’honneur, sorte de révérence et d’énième réminiscence de son enfance. « Z » comme atteint du syndrome de Peter Pan ne semble pas vouloir  honorer ses responsabilités d’adulte, et appréhende la musique comme un espace de création, de contemplation -vraie thérapie ou terrain de jeu- loin des considérations adultes.

Vous l’aurez compris, Azizi Gibson est sans doute le poulain sur lequel il fait bon parier. Depuis plus de cinq ans, il dope ses projets avec des prods toujours excellentes, travaille à un rythme effréné et sort en moyenne deux projets par an, sans qu’aucun ou presque ne déçoive la critique.

Figure mystique du rap, tantôt cynique, tantôt rieur, il cultive une simplicité et une philosophie qui rend son univers encore plus attrayant. Bref, il convient de garder un oeil sur ce qui pourrait bien devenir la nouvelle coqueluche West Coast de demain. En attendant, on vous a concocté une playlist des 10 sons incontournables du « Z ».

Playlist : Azizi Gibson en 10 tracks