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REASON – New Beginnings

Un rêve devenu réalité

REASON, aka Robert Lee Gill, Jr. a grandi à Carson en Californie. Élevé dans la violence d’un univers dangereux, et forcé d’y contribuer pour survivre, il a connu des jours sombres. Dealer, membre du gang des Crips, ce n’est que sur le tard que l’artiste se tourne vers la musique. Les débuts sont difficiles et REASON manque d’abandonner plusieurs fois. Allant de Charybde en Sylla, l’histoire raconte qu’il misa ses 100 derniers dollars dans un rap contest… Qu’il perdit. A deux doigts de voir s‘évaporer ce rêve qu’il poursuit, son frère lui prête 500 dollars que REASON utilise à bon escient.

“I got robbed out of the rap contest” — “I was broke. Literally, no money in my account. My brother loaned me 500 dollars. If he didn’t loan me that money I would’ve gave up” explique REASON dans une interview accordée à DJ Booth.

Le soutien de ses proches et la détermination du rappeur permettent à son premier projet, « There You Have It » de voir le jour, accouché dans la douleur.

Bien qu’ayant perdu ses derniers dimes durant un Rap-Battle, c’est tout de même sur scène que REASON sera repéré en 2017 par Moosa Tiffith, le fils d’Anthony « Top Dawg » Tiffith, fondateur et dirigeant du prestigieux label Top Dawg Entertainment. De fil en aiguille, le projet There you have it  tombe entre les mains du CEO qui décidera de signer le rookie. REASON rejoint donc l’escadron des 9 artisans du mic parmi les plus en vogue du moment, ainsi qu’une équipe de production de haut vol. Un rêve qui se réalise enfin.

L’heure de la consécration ?

Un mois après la signature du contrat sera réédité son premier projet  There you have it . L’intention du label était surtout de montrer qu’avec peu de moyens mais avec une grande détermination, on peut faire beaucoup. En effet, TYHI est un ensemble de 12 morceaux que REASON a autoproduits, en cherchant des beats sur YouTube et en poursuivant en parallèle son job alimentaire. Il participera par la suite à la bande original du film Black Panther chapeauté par Kendrick Lamar sur le son « Seasons », puis collaborera avec ses amis et idoles de l’enseigne Dreamville sur le projet encensé Revenge Of The Dreamers III.

Mais l’heure de la mise à l’épreuve au travers du premier LP vient à grand pas. New Beginnings, initialement prévu en mars 2020, a été reporté jusqu’en octobre. En cause, la pandémie COVID-19 mais aussi la pression ressentie par l’artiste à sortir le premier projet du label en 2020.

I had to get rid of every fear, anxiety, doubt, and negative mindset to make this project

explique t-il sur sa page Instagram.

Du charme et du talent….

Les atouts de REASON sont inscrits sur sa carte de visite. Si Top Dawg l’a signé, c’est avant tout pour son art du storytelling. L’introduction de l’album, « Something More » illustre à merveille l’aisance du rappeur pour construire un trame narrative poignante. Il y relate des bribes de son passé, décrit la route jalonnée d’obstacles et de sacrifices qu’il a dû emprunter pour embrasser ses rêves. Il s’exprime sans fard, la rage au ventre, le cœur au bord des lèvres.

Sur l’émouvant et féministe “Fall”, REASON dénonce une industrie musicale sexiste et en proie à la pornographisation. Son premier couplet est un hommage à son amie Rapsody, rappeuse acclamée par la critique mais victime d’un manque d’exposition médiatique par refus de s’inscrire dans la lignée des standards de beauté hypersexualisés.

Plus loin, il continue à manifester sa rupture avec une industrie qui broie les jeunes artistes, les asservissant à une image de marque au lieu de promouvoir leur individualité.

A couple cars, some jewelry, make your stacks bigger
Then one day you could become the next Mac Miller
Here’s your chance, nigga, sign here

Les émotions véhiculées par REASON s’accordent harmonieusement avec les instrumentales soulful et atmosphériques de ces morceaux, et il faut féliciter là le travail de Kal Banx, producteur magicien signé chez TDE, en charge de 8 des 14 sons de l’album. L’élaboration de l’album s’est notamment faite par de nombreuses et longues sessions studio entre les deux artistes.

Cette collaboration fructueuse permet à REASON d’exceller dans ses tergiversations introspectives, à l’image du point culminant de l’album « Windows Cry ». Véritable catharsis, REASON y divulgue sa méfiance vis à vis de son label avec honnêteté, craignant de n’être qu’un phénomène éphémère de plus dans un paysage soucieux de rentabilité. Le morceau, épineux tant il confronte l’artiste et son label, a été accueilli avec bienveillance par Anthony « Top Dawg » Tiffith. C’est même ce dernier qui a conseillé à REASON de s’en servir afin de clôturer l’album. Preuve que TDE, c’est avant tout une famille.

… mais un manque criant de personnalité

REASON peut être captivant par la profondeur qu’il donne à ses morceaux quand il officie seul. Néanmoins, il se révèle quasi-inexistant sur ses collaborations. Une des intentions première de REASON sur cet album était de se comporter comme un fan : il a choisi les invité.e.s de son album en adoptant la perspective d’un admirateur. A ça s’ajoute le carnet d’adresse de Top Dawg, qui permet à REASON d’échanger des rimes avec les MC’s les plus convoités du moment. Mais trop souvent, l’artiste se fait éclipser par la prestation de ses pairs, à la fois parce qu’il dégaine des couplets arides et ternes, et également parce qu’il s’aventure sur des terrains sur lesquels il n’excelle pas. On citera par exemple « Pop Shit » avec Schoolboy Q, qui n’aurait pas fait tache sur son CrasH Talk de l’année dernière. L’agilité de Schoolboy Q est manifeste sur une instrumentale appartenant à son univers, tandis que REASON offre une piètre performance.

Les mêmes constatations sont évidentes sur un « Flick It Up » avec un Ab-Soul survolté surfant avec habileté sur une production qui lui colle à la glotte tandis que REASON manque à l’appel. Contrairement à ses dires, le rappeur a tout sauf la « Sauce » sur son duo avec Vince Staples… La moitié de l’album est portée par ses invité.e.s et une production de haut vol avec un REASON qui semble ne pas encore avoir trouvé sa véritable identité, singeant parfois à l’extrême ses compères du label ou s’appropriant leurs plates-bandes…

New Beginnings est donc un album mitigé, saluant les capacités d’introspection et de storytelling du rappeur de Carson mais pêchant par les difficultés qu’il a à bâtir avec solidité son univers propre au sein d’un label ayant déjà un certain pédigrée. On espère secrètement que REASON saura véritablement incarner son prochain album en y dépeignant un peu mieux sa propre réalité.

Quentin Alimi

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