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Médine en featuring avec lui-même

Nous avions laissé Médine avec l’album Grand Médine, projet résolument tourné vers l’extérieur, comprenant un grand nombre d’invités (Oxmo Puccino, Koba LaD, Soso Maness ou encore Bigflo & Oli) démontrant alors la volonté du rappeur de s’ouvrir au plus grand nombre. Maîtrisant l’art du contre-pied, Médine nous revient aujourd’hui avec Médine France, soit le juste opposé : un album introspectif, sans aucun featuring, contrastant avec la démarche entamée par l’artiste depuis quelques albums. Le propos est ferme, mesuré et équilibré, apportant cohérence et crédibilité à l’ensemble. L’album s’écoute à la fois comme un discours “politique” et une autobiographie critique, tant l’artiste se livre tout au long de ces 14 titres.

Afin de mieux appréhender cette nouvelle pièce au tableau déjà bien rempli du havrais et pour faire échos à notre précédent échange datant de quatre ans déjà, nous sommes retourné échanger avec Médine. Et comme à chaque rencontre, l’artiste n’a pas été avare en temps et en paroles pour nous offrir une conversation d’une grande qualité dont lui seul à le secret.


Le premier contact avec un album se fait souvent par la cover. La direction artistique y est ici sobre, froide, la cover présentant la pièce d’identité de l’artiste apparaissant ici comme un symbole. Cette pièce d’identité renvoie Médine à son identité d’homme français, issu de l’immigration. Médine nous apporte sa clé de lecture : “Cela conteste le regard que les gens ont porté à ma carrière depuis mes débuts, cela conteste le regard que la société a sur une personne issue de l’immigration algérienne, musulman, en 2022. Les papiers français à proprement parler, c’est quelque chose qu’on t’impose, une mesure policière à visée de contrôle. Je pars de ce postulat pour définir qui je suis car je me sens étriqué dans cette carte de quelques centimètres carrés, dans cette représentation et ainsi montrer comment je suis en réalité en marge de cette identité, comment j’arrive à confectionner ma propre identité autour de cela.”

Un autre élément frappant se trouve cette fois au verso de la cover. En découvrant la tracklist on constate l’absence totale de featuring (à l’exception du remix du titre “La Puissance du Port du Havre” uniquement présent sur la version physique de l’album). Médine a donc adopté le parti pris de s’exprimer seul, comme pour mieux exposer ses propos, ne pas les diluer aux côtés d’autres artistes. Un choix fort qui en dit long sur la détermination du havrais à frapper un grand coup avec cet album : “Le fait qu’il n’y ait pas de feat est moins parasitant pour le propos. Je peux ainsi m’adresser à des moments de ma vie où j’étais différent, me placer dans une réflexion sur le Médine que je serai dans 10-15 ans. C’est moi en featuring avec moi-même. Cela  donne un côté plus personnel, introspectif, aucune voix ne vient sortir les propos de leur contexte.”

Au-delà de la cover même, cet album sonne dès la première écoute comme une carte d’identité, une pièce d’art pour mieux comprendre et appréhender la personnalité du havrais. Chaque titre décrivant tour à tour le passé de l’artiste, ses frustrations, ses regrets mais également sa vision de la société et ses dérives ou encore l’amour inconditionnel envers sa femme. Ce ressenti à l’écoute, Médine nous le confirme : “C’est une bonne photographie de mon état d’esprit du moment. Je parle de mon enfance, mon adolescence, de ma vie d’adulte, des complexes que j’ai eu, comment je m’en suis défait.”

Au-delà de la notion d’identité, cet album ressemble par certains aspects à un programme politique, Médine s’amusant à reprendre largement le vocabulaire associé comme avec le titre “La France au rap français” ou certaines phrase comme “je ne fais pas de concert je fais des meetings, je suis le candidat le plus légitime”. De la politique, Médine n’a eu de cesse d’en faire au travers sa musique et ses positions, pour autant il tient à nuancer son approche de la politique : “Pour moi, la meilleure façon de faire de la politique c’est de ne pas en faire justement, c’est de l’incarner, d’avoir des actions qui fédèrent, de remettre les valeurs au centre du débat, d’être dans une démarche de solidarité. En ce sens, oui cet album est un album politique. La meilleure manière de diriger pour moi c’est de donner le pouvoir à ceux qui ne le veulent pas. Comme dans le film Gladiator, Marc-Aurel veut donner le pouvoir à Maximus car il estime que ce dernier n’est pas avide de pouvoir et qu’il saura donc le restituer au bon groupe de personnes”.

A la question de savoir si Médine compte s’investir un jour en politique comme il le suggère au détour d’une phrase dans le titre “Grenier à Seum”, ce dernier balaie l’idée d’un revers de main : “Tout ça n’est qu’une esthétique qui est dans l’imaginaire populaire, je me l’approprie, je la détourne, je me confronte à cet univers-là. Je n’ai aucune ambition politique au sens institutionnelle du terme mais lorsque je dois prendre mes responsabilités sur un combat comme aujourd’hui exprimer publiquement pour qui je vote et pour qui je ne vote pas.”

@JuPi

Des prises de positions publiques sur des sujets primordiaux comme les élections du second tour en France, Médine les assume à 100%. Récemment, Mediapart lui donnait la parole pour savoir quels étaient son état d’esprit et son raisonnement à l’approche du vote : le havrais n’a alors pas hésité à expliquer clairement pour qui il comptait voter ou plutôt contre qui il votait. Plein de pragmatisme et de lucidité, Médine nous explique ce qui l’a poussé une fois encore à dire ce qu’il pensait publiquement : “C’est important pour moi de ne pas être un lâche lorsqu’on me tend un micro et que j’ai cette dimension publique. Ne pas fuir ses responsabilités lorsqu’on me demande de m’exprimer dans l’entre deux tours c’est très important pour moi. Tout le monde se cache plus ou moins, en ayant peur pour son petit commerce. Ce n’est pas mon état d’esprit, la première chose à laquelle je pense : ne pas fuir, exprimer mon regard, si cela peut aider des personnes qui sont un peu dans le brouillard comme j’ai pu l’être moi-même c’est tant mieux.”

Au silence retentissant du milieu rap lors de l’entre-deux tours, qui s’oppose à des périodes de l’histoire du rap français où les rappeurs se mobilisaient en masse contre l’extrême droite et le racisme au sens large comme dans le titre “11’30 contre le Racisme”, Médine semble comprendre ceux qui aujourd’hui ont fait le choix de ne pas s’exprimer sur le sujet : “Les deux postures se comprennent et s’expliquent. Certains sont désabusés et ont peur de la récupération. La gauche l’a longtemps fait, en récupérant des artistes pour viser un électorat dit des quartiers et issus de l’immigration. Tout cela est très malsain et je peux comprendre que certains artistes désabusés ne souhaitent plus être instrumentalisés. Mon combat c’est de combattre un ennemi après l’autre, cela signifie lutter contre un racisme d’Etat qui s’installerait définitivement. C’est pour moi la priorité absolue.”

Pour autant, force est de constater que la voix de Médine contre l’extrême droite est une des rares que l’on entendit alors. Quelque peu résigné, le rappeur avoue : “Oui je me sens un peu seul comme je l’ai souvent été. Pour autant mon but n’est pas de pointer du doigt les artistes qui ne se prononcent pas. Mes ennemis sont  politiques, ceux qui normalisent une parole raciste, islamophobe. S’il y a des artistes qui veulent rejoindre cette lutte, tant mieux, sinon tant pis. Je me suis senti seul sur plein de sujets et je ne crains plus la solitude dorénavant. A l’inverse, je suis beaucoup moins seul lorsque je me tourne vers le milieu militant, qui est très organisé et qui n’a aucunement besoin des artistes pour porter leur message.”

Dans le titre “Medicis”, Médine fustige la disparition du rap qui dit quelque chose alors même que le havrais s’est récemment époumoné pour ne pas que les auditeurs tombent dans cette dualité rap conscient / rap de divertissement. Dans ses projets récents, l’artiste semblait même vouloir faire lui-même le pont entre ces deux façons d’appréhender le rap. Pourtant ici, le titre semble vouloir prendre davantage position :“ C’est avant tout de l’égotrip, ce qui a toujours été pour moi une forme intéressante à développer dans mes albums. Bien sûr je trouve qu’il y a beaucoup moins de sens dans ce que j’écoute aujourd’hui même si la forme me challenge plus, j’y trouve quand même mon compte, nous sommes dans une ère où les artistes se creusent plus sur les instrus, les mélodies et où l’on peut donc trouver du sens, de l’esprit. C’est cela que je cherche au final, de l’esprit, pas forcément de l’engagement.”

Autre élément constituant la fiche d’identité de Médine : son origine havraise qu’il n’a eu de cesse de clamer durant sa carrière. Avec le titre “La puissance du port du Havre”, l’artiste signe ici une sorte de nouveau “Grand Paris” recentré sur sa ville, rassemblant sur la version remix un certain nombre d’artistes de la scène locale. Une véritable déclaration d’attachement à cette ville portuaire qui n’eut de cesse de forger ce qu’est Médine :  “Ce ne sont que des gars des différents quartiers du Havre. La puissance du port du Havre a longtemps été un slogan porté par le film La Beuze qui nous a beaucoup fait souffrir. Etre un rappeur venant du Havre dans les années 2000-2004, ça a été nocif, on avait une étiquette de provincial qui nous a fait beaucoup de mal. Aujourd’hui, reprendre le titre et en faire un gros morceau de trap produit par Junior Alaprod, c’est une sorte de pied de nez. Entouré de tous mes gars des quartiers de la ville, parler de cette ville, de son port et de toutes ses dérives, notamment les trafics, c’est quelque chose de fort et d’important pour nous.”

Je suis comme un psychologue dans une boîte de spriptease,  je regarde le public

L’artiste, qui a toujours revendiqué son appartenance française, passe un cap en se réappropriant dans cet album l’hymne national sur le titre “Allons Zenfants”, lui qui déclarait dans son titre “HLM” que la Marseillaise, même en gospel l’a toujours fait dégueuler. Un exercice nécessaire selon l’auteur et qui traduit sa vision actuelle des choses : “C’est assez représentatif de l’état d’esprit politique et artistique dans lequel je suis en ce moment. J’ai longtemps utilisé la provocation, ça a eu ses effets, parfois positif, parfois négatif et là c’est de la transgression. Se réapproprier les codes, les réécrire, pour qu’ils me correspondent et pas l’inverse. Je n’essaie pas de correspondre à la Marseillaise, je veux que l’hymne qui me représente me corresponde, pour encore mieux m’enraciner dans ce pays.”

Comme Gainsbourg avant lui, Médine casse les codes, adapte le message, comme pour mieux se sentir représenté par cette hymne, même si selon lui, le parallèle avec l’homme à la tête de choux à ses limites : “Gainsbourg avait été plus loin, avait racheté les feuilles de Rouget de Lisle. On ne part pas du même postulat, il s’appelait Serge Gainsbourg, je m’appelle Medine Zaouiche. Si moi je me mets à faire ça, ça a une autre connotation, une autre signification.

Médine, havrais, français, mais aussi époux et père de famille. Son épouse justement, Médine ne rate jamais une occasion pour lui déclarer tout l’amour qu’il a pour elle. Une nouvelle fois dans cet album, il ne déroge pas à la règle avec le titre “Houri”. Faisant référence à ce personnage céleste, récompense attendue au paradis en Islam, Médine nous confie ainsi que son épouse est tombée du ciel et qu’il vit donc sur terre avec elle. Médine revient pour nous sur cette nouvelle déclaration d’amour : “C’est un des meilleurs engagements de cet album. J’ai osé dire durant un interview que c’était une femme du paradis et je me suis pris un shitstorm de personnes me disant que je ne pouvais pas dire qu’elle venait du paradis, que c’était un blasphème. Je trouve ça drôle de voir comment les gens s’offensent face au bonheur d’autrui. C’est assez symptomatique de notre époque et ça en dit beaucoup.”

Aujourd’hui, son épouse, Cheez Nan, possède sa propre carrière et a sorti il y a peu un livre de recettes qui a rencontré un énorme succès. Leur carrière respective, le couple semble le gérer en famille, là où souvent les couples préfèrent compartimenter. Une organisation logique quand on connait la force de ce couple : “Ma femme c’est mon meilleur feat de toujours. Elle était là quand c’était la Hess pour moi donc c’est normal que je sois là pour elle et pour soutenir ses projets aujourd’hui. Elle intervient dans le conseil, au travers de sa bienveillance, sans craindre pour l’image extérieure. Elle va me conseiller pour le bien-être du foyer. L’idée c’est de s’accompagner sur tous les sujets et de ne pas être assignés à nos rôles. Dans beaucoup de couples, chacun est assigné à ses tâches et le couple ne se retrouve que pour le dîner ou autre.  Cela fonctionne entre nous depuis 24 ans, je viens de renouveler mes vœux à Las Vegas face à Elvis Presley dont je peux dire que si cela ne fonctionnait pas je n’aurais pas fait ça face au prince du rock.”

Les 3 enfants de Médine et Cheez Nan ont bien grandi, deux sont aujourd’hui adolescents. Omniprésents dans la vie du rappeur, sur ses réseaux et dans sa musique. L’occasion pour nous de lui demander si leur regard sur sa musique, ses engagements, a changé en grandissant : “Ils ont un nouveau regard, comme mes deux plus grands deviennent des adolescents. Ce sont souvent des interrogations liées aux choix que j’ai fait. Pourquoi j’ai choisi de faire de ma musique un message, c’est une question qui revient souvent et je me moque d’eux en leur répondant qu’ils écoutent de la merde et que je suis le seul à faire de la vraie musique. Ils sont dans le comparatif, je suis souvent dans une pédagogie où je leur explique que chacun à son histoire, certains ont une direction artistique teintée de légèreté, d’autres, comme moi, d’engagement. C’est nouveau pour moi, je dois leur expliquer pourquoi je suis critiqué, pourquoi j’ai des détracteurs si violents, aussi bien politiques que religieux. Pour eux, un artiste c’est un amuseur public, qui n’a pas de problème. C’est un peu contradictoire dans leur esprit, on vit quelque chose de très décomplexé ensemble, ils sont là aujourd’hui encore pour m’accompagner sur ma date de concert, ils sont là dans les meilleurs moments de mon travail et me voient de temps en temps me crêper le chignon avec des députés, me voient en bas de tracts du Rassemblement National en ouvrant la boîte aux lettres. Ils s’interrogent sur ça, mais face à eux je bombe le torse, j’ai des idées, je les défends, tant bien même que cela porte préjudice à la notoriété que je peux avoir, le plus important pour moi c’est d’avoir des idées, de les défendre, même si cela va à l’encontre du confort familial. Je trouve que c’est une bonne forme d’éducation en un sens.”

La vie est un enseignement, tu finis par remettre en question des choses que tu as défendu bec et ongles durant des années

L’auteur, qui évoquait dans le titre “Enfants forts” sa vision de l’éducation et comment il protégeait ses enfants des menaces reçues de ses détracteurs, via les réseaux sociaux notamment, semble aujourd’hui moins à même de faire rempart comme il nous l’avoue : “J’y arrive encore un peu mais cela va finir par s’estomper, le muscle de l’esprit commence à être bien gainé.”

Les réseaux sociaux justement, depuis quelques années ont été pour Médine un véritable moyen de casser cette image que certains médias et personnalités lui ont affublée. Le revers de la médaille sont ces centaines de messages envoyés par des membres anonymes d’Instagram ou de Twitter qui se déchainent sur Médine, prétendant lui inculquer les “vraies valeurs” de l’Islam ou tout simplement le menacer, lui et sa famille. Médine a pris l’habitude de se jouer de ses menaces en les publiant en story, afin d’en rire, exorcisant ainsi la violence de certains d’entre eux. Avec le titre “Perles d’Insta”, le rappeur, qui ne cesse d’agacer les extrêmes, met en musique cette haine, dressant des portraits types de ses détracteurs dans un texte à la fois drôle et glaçant. Médine nous explique la démarche ayant motivé ce nouveau titre : “J’ai toujours fait des titres sur les attaques de mes détracteurs: “Hotmail” et “Fegafatwa”. Cela a toujours été une gymnastique intéressante d’utiliser, comme au judo, la force de l’adversaire contre lui. Les attaques dont je fais l’objet, ainsi que ma femme et mes enfants, sur mon mode d’éducation ou encore sur le côté décomplexé que je peux avoir, ça dit beaucoup sur la santé mentale de notre jeunesse. J’ai souvent l’impression que ce sont des gens qui ont un terrain psychologique fragile, qui ont eu eux-mêmes des enfances difficiles, qui se sont fait ceinturés par leur père et qui aimerait que j’ai la même posture, cela les rassurerait dans le mode d’éducation qu’ils estiment devoir donner à leurs propres enfants. Ce serait donc une espèce de schéma qui se répète à l’infini. J’ai décidé de casser ce schéma, pour moi l’éducation c’est du dialogue, beaucoup de lâcher prise, savoir réagir dans l’instant plutôt que d’être dans l’anticipation catastrophiste. C’est un vrai parti pris, je suis beaucoup critiqué pour cela. Je sors à peine d’une tempête de messages parce que je me moquais de mon fils pour un chewing-gum dans ses cheveux, il s’est mis à me boxer et m’insulter. Certaines personnes ont fait de cette scène un pamphlet contre mon éducation. Au final, je suis comme un psychologue dans une boîte de striptease,  je regarde le public et c’est le plus intéressant sociologiquement, politiquement et psychologiquement. Je me nourris de cela, pour savoir comment ne pas être et pour en faire des titres, des livres. Ca exorcise assez bien la période dans laquelle on est où tout le monde se permet de critiquer tout le monde, j’en fait un titre pour pouvoir ensuite en débattre avec les journalistes et mon public.”

A la fin du titre, Médine dit justement envisager en faire un livre, comme un pied de nez ultime à ses détracteurs : faire de l’argent en vendant un livre sur leur propre bêtise, leur propre haine. Un programme qui semble réellement intéresser l’auteur qui ne manque pas d’anecdotes aussi drôles qu’absurdes : “J’y ai pensé, sous forme de lettres de menaces compilées, je raconterais tout ça, j’y apporterais mes réponses, en rappelant le contexte. J’ évoquerais les trucs les plus absurdes qui me sont arrivés comme la fois où j’ai porté plaintes contre deux mecs qui menaçaient de se faire exploser devant l’école de ma fille. Au final je me retrouve au tribunal du Havre un mardi matin à 11 heures, je m’assois à côté du mec sans savoir que c’est lui, il finit par passer à la barre et dire qu’ils voulaient juste rigoler, qu’ils sont fan de moi, qu’ils ont tous mes albums et qu’on finisse l’audience après qu’ils aient pris une peine de 1 mois avec sursis en me réclamant un selfie. Ça peut largement finir dans un bouquin qui s’appellerait Perles d’Insta.”

Dans ce nouvel album, le havrais délivre des textes poignants, comme “Grenier à Seum”, dans lequel l’artiste règle frontalement ses comptes avec ceux qui lui ont mis des bâtons dans les roues depuis sa tendre enfance. Lui qui a toujours pris ce genre de sujets avec recul et légèreté, sûrement pour te protéger, affiche à travers ce texte une véritable amertume sur ces frustrations passées. Corps professoral, élus locaux, salles de concert et label, tout le monde y passe et l’on constate alors l’ampleur de l’acharnement dont fut victime l’artiste et l’homme tout au long de sa vie. Un texte comme une thérapie donc, où l’annulation de ses dates prévues au Bataclan est évoquée en surface dans le refrain : “Ce sont de vraies blessures. J’ai mis un pansement sur le Bataclan. Le Bataclan est ma plus grosse blessure symbolique, mais pas la plus grosse blessure qui a blessé l’individu que je suis. Les vexations par les professeurs qui sont censés te former, par des élus de ville, sont des blessures plus douloureuses car elles ne se sont jamais refermées. J’étais un enfant ou un ado à ce moment-là et je n’ai pas su trouver le chemin pour les panser correctement. Le Bataclan j’étais adulte, j’ai fait un Zénith derrière. En réalité, empêcher un artiste d’aller se produire dans une salle, en ayant fait un titre hommage à cette même salle, c’est une dinguerie. Les greniers ça sert à ça, ça ne sort jamais. peut-être que dans quelques années, je vais retourner dans mon grenier à seum, je vais rouvrir le carton du Bataclan et je vais prendre un seum intercontinental. Les blessures ça réagit aux saisons, au contexte.”

Je me suis senti seul sur plein de sujets et je ne crains plus la solitude dorénavant

Autre titre mémorable, “Hier c’est Proche” permet à l’artiste de réaliser un nouveau travail introspectif en portant un regard sans concession sur l’adolescent puis l’homme qu’il fut. notamment sur sa trajectoire spirituelle.  Un exercice que l’auteur maîtrise à la perfection avec des titres comme “Global” ou encore “Le jour où j’ai arrêté le rap”. “Hier c’est proche” fait échos au titre fleuve d’IAM “Demain c’est loin” et embarque des notes de pianos très proches de celles du titre d’Aznavour “Hier encore”. C’est un titre dense, fort, en forme de prière, qui ne laissera aucun auditeur indemne, tant l’auteur se livre avec une sincérité touchante.

La question peut se poser de savoir pourquoi Médine réalise un nouveau retour en arrière sur le sujet. Celui-ci nous explique ce qui l’a motivé de nouveau : “Je rencontre beaucoup de gens qui sont comme je l’ai été : fermes dans leurs principes, très jeunes, très arrêtés dans leurs idées. L’information première est dans le titre : “Hier c’est proche”, tu vas forcément revenir sur ces certitudes, ne vas pas trop loin dans ces engagements que tu embrasses jeune sous le coup de la folie, sois mesuré. C’est tout cela qui motive ce genre de morceaux, je me vois dans le miroir de ces nombreuses personnes et cela m’effraie pour eux. Je me dis qu’ils vont dans une impasse, j’ai aussi vu des gens plus âgés que moi qui ne sont jamais sortis de cette impasse, qui ont fini par mourir avec leurs principes. La frontière est très mince entre avoir des principes et être un sale con pour citer Orelsan. C’est un regard que j’aurais pu porter sur moi-même avec mon regard d’aujourd’hui, je me serais sûrement détesté. La vie est un enseignement, tu finis par remettre en question des choses que tu as défendu bec et ongles durant des années”.

@JuPi

Médine souligne alors l’importance de notre environnement, qui même sans que l’on s’en rende compte, influe sur nous et notre état d’esprit : “Lors de ma jeunesse, lorsque justement j’étais arc-bouté sur mes principes, je croisais des gens qui me donnaient une leçon sans me la donner. C’était le plus intéressant pour moi, je prends un exemple: mes beaux-parents, ne sachant pas lire et parler le français, m’ont donné des leçons pendant vingt ans avant de le réaliser. Des leçons d’humilité, de savoir être, de bienveillance, sans pour autant partager ma vision philosophique, sans être du même milieu social. Ça remet en question la prétention d’avoir des certitudes à 16 ans, 25 ans. Bien sûr, chacun doit avoir son cheminement, mais il y a des éléments sur ton chemin qui sont indispensables pour se remettre en question. Se remettre en question à 21 ans ce n’est pas se remettre en question à 65 ans. J’appréhende beaucoup de choses, j’appréhende la posture que mon fils va prendre. J’aimerais qu’il écoute ce titre, qu’il se dise que son père a connu une évolution certaine. La clé de lecture c’est de remettre en question régulièrement.”

Dans le titre “Heureux comme un arabe en France”, Médine revient sur la place des arabes en France en 2022, souvent relégués au second plan par une société encore bien trop discriminante. Malgré un apparent fatalisme dans le propos, le titre se veut en réalité bien plus optimiste qu’il n’y paraît : “Ce n’est pas vraiment fataliste, je dis qu’on ne va pas détruire la Chapelle Sixtine car la chapelle est abîmée. Il faut rester optimiste. C’est un titre qui reprend un proverbe qui dit “Heureux comme un juif en France” et qui dépeint un certain âge d’or d’une France accueillante, permettant l’intégration des populations en difficultés, en les accueillant dignement. C’est un peu un idéal et le contraste par rapport à cet idéal qui se retrouvent dans ce titre. Les arabes voudraient aussi s’intégrer à ce proverbe, ils ont certainement pu le dire à un moment, j’espère qu’on pourra le redire, qu’il y a une vraie inclusion et qu’on ne regardera plus le profil de la personne. Que cette phrase ne soit plus qu’un proverbe, que la France redevienne une terre accueillante, bienveillante et que nous ne soyons plus dans le jugement. C’est presque le titre le plus optimiste malgré son cynisme.”

C’est important pour moi de ne pas être un lâche lorsqu’on me tend un micro

Côté musique, Médine a souhaité insuffler un vent de nouveauté dans sa musique en se tournant vers d’avantages de producteurs. Ses compères de toujours ne signent de ce fait que deux titres du projet : General et Tiers sur “L’Ecole 2 la vie” et Proof immanquablement pour le nouveau volet de ‘Enfant du Destin”. Pour le reste, il fait le choix de l’ouverture autour d’une équipe élargie et éclectique composée de Wladimir Pariente, Tortoz, Redzol, Junior Alaprod, Le Motif tout en confiant la réalisation artistique à Kaonefy. Médine nous évoque cette nouvelle équipe remaniée : “C’est à la fois du fait de l’agenda de Proof qui est plus dans la musique à l’image et le sound design aujourd’hui mais aussi une réelle volonté de m’ouvrir. Le vrai changement de cet album, c’est au niveau de la réalisation. Avant c’étaient Proof et Salsa qui réalisaient mes albums, aujourd’hui c’est Kaonefy, un  jeune réalisateur qui a commencé ingé au studio Grand Paris et qui aujourd’hui réalise tout l’album, il a su capter mes attentes, il ‘ma donné les bonnes références, il a su me faire prendre des risques sur des prods, le dialogue était fluide au studio. Il y a une homogénéité flagrante, il a diggé pleins de choses, repris des samples du premier album pour les dissimuler tout au long de cet album, on retrouve les samples de “Premier Sang” dans le titre “Médine France” par exemple. Mais “Enfant du Destin” je ne pouvais pas le faire sans Proof, j’ai dû attendre qu’il ait une dispos pour travailler sur ce titre, on en a sorti un titre de 6 minutes j’en suis vraiment très content.”

Sur ce titre enfin, véritable épopée tragique d’un destin voué à une fin funeste, Médine conte le parcours de Yasser, originaire du Soudan, fuyant sa terre d’origine pour trouver une vie plus décente au Royaume-Uni. Le travail d’habillage sonore de Proof nous fait une fois encore plonger au cœur de cet enfer. Ainsi, l’auditeur subit avec Yasser la pression douanière, respire les pots d’échappement des camions, suffoque dans les vagues de la Manche avant d’observer la dépouille mortelle de Yasser et ses malheureux compères de traversée. Médine démontre ici encore cette capacité unique qu’il a de transcender des récits, pour mettre le projecteur là où l’occident a trop souvent tendance à détourner le regard. A noter que la traversée de Yasser prend fin dans la Manche, non loin du Havre de Médine, faisant une fois de plus le lien avec l’artiste. Médine nous parle des motivations derrière ce nouveau texte poignant : “Le contraste avec la guerre en Ukraine et le traitement, totalement légitime, qui est fait aux réfugiés ukrainiens mais qui met en contraste le traitement fait aux réfugiés syriens ou encore irakiens. Le sujet des migrants me trotte dans la tête depuis un moment, j’habite proche de la Manche, je vois les associations qui s’organisent, les sujets que ça crée dans ma localité et les régions voisines. Comme c’est un album qui traite de moi et de mon environnement, je voulais traiter un sujet faisant partie de mon quotidien.”

Avec cette nouvelle équipe, cette nouvelle approche dans sa musique, Médine signe sans doute son album le plus abouti, le plus équilibré, représentant au mieux l’homme et l’artiste qu’il est aujourd’hui. La scène du Casino de Paris ne sera pas de trop pour accueillir celui qui, depuis ses débuts, a (pour le citer) « été constant dans ses prises de risques ». Pour notre plus grand plaisir.

JuPi

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