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Lomepal – Mauvais Ordre

15 septembre 2022

Lomepal

Mauvais Ordre

Note :

Après presque quatre ans de silence, Lomepal fait son retour avec un projet à  l’ambiance éclectique et électrique. Tant dans le verbe que dans la musicalité du projet. Analyse.

« J’ai envie d’essayer de retrouver quelque chose d’un peu plus brut, un peu plus rock », confie Lomepal dans une interview avec Léa Salamé en 2021. Obsédé par les guitares distordues de son adolescence, le 16 septembre 2022, l’artiste honore sa promesse avec Mauvais ordre.

En 2017, Lomepal sort Flip. Le rappeur étonne par son attache aux refrains chantés, combinés avec des influences hip-hop, au point que son album est considéré comme un chef d’œuvre. Un an plus tard, l’artiste s’oriente vers des sonorités variété avec Jeannine. C’est l’époque où Lomepal est déjà attiré par les instruments bruts : Flip, ainsi qu’Amina, la réédition de Jeannine, comportent de nombreux morceaux en version acoustique. Cet amour se confirme à travers son single « Tee », sorti le 3 juin 2022 où le rappeur clame son besoin de retourner au genre de son adolescence : « Envie d’planter quelques tomates et faire du son sans ordi . » Après une pause sans ordinateur c’est sûr, sans réseaux sociaux non plus, le style de Lomepal prend une tournure nouvelle, dont les jalons avaient été plantés tout au long de sa carrière.

ENTRE PERSONNAGE FICTIF ET AUTOBIOGRAPHIE

La couverture de Mauvais Ordre, c’est la photo grand format de Souheila Yacoub. Encore une création de  raegular, déroutante et culottée. Mais cette image, au-delà de la représentation de la bien-aimée du rappeur, met en scène une muse inventée qui le suivra pendant tout l’album :

Y’a une seule meuf qui revient, et on sait pas si c’est son ex, son idéal ou son amour d’enfance.

précise l’artiste dans son morceau « Skit il ». Lomepal passera par les étapes majeures d’une relation amoureuse, depuis la rencontre « Un ange fait trois pas vers moi / Elle me dit dans l’oreille qu’elle préfère les mélodies fausses », dans « Prends ce que tu veux chez moi », jusqu’à ses questionnements sur l’avenir : « J’sais qu’on est fait pour s’aimer/ Mais j’ai quand même peur d’passer à côté de mieux » dans « Tee ». Il devient obsédé non seulement par le regard de cette femme, mais aussi par celui des inconnus, frôlant la paranoïa. Le côté fictif du protagoniste permet à Lomepal d’en exagérer les traits, ceux d’un individu alcoolique, agressif et incarné par l’objet du pistolet, dans le titre « Etna. »

La frontière floue des textes de Lomepal entre l’autobiographie et la fiction traduit ses questionnements sur son identité et sa célébrité. En mêlant des éléments de sa vie aux pensées de son personnage, il fait naître des émotions profondes, comme dans le morceau « Decrescendo », qui a des airs de « Trop beau », dans Jeannine. Pour clôturer le disque, dans son outro « Pour de faux », Lomepal confie avec sincérité ses craintes vis-à-vis de la popularité : « Sauf que c’est moi dans la cour des fauves /Leurs critiques, c’est des boules de feu / J’ai rien senti, pour de faux /J’voudrais tout refaire en mieux »

« MAUVAIS ORDRE », UN ALBUM ROCK ?

Des guitares, une basse et une batterie dominent les instrus de ce nouvel album. Les premières sonorités de Mauvais Ordre se font entendre en juin 2021 dans le Sud de la France, alors que l’artiste s’est entouré de musiciens pour composer. Enregistrés par la suite au studio « La Frette », après avoir joué les titres en live avec un groupe, les morceaux prennent vie. Entre une ballade acoustique pour « Maladie moderne » à la Oasis et de l’Indie rock pour « Crystal », Lomepal, à sa manière, retranscrit les facettes du rock qui l’inspirent. Une maîtrise douce d’un style agressif par essence, comme peuvent le faire des groupes tels que Men I trust, ou les Strokes. Un genre hybride, taillé pour vibrer sur la scène, parfait terrain d’expérimentations pour les concerts fantômes qui ont eu lieu dans toute la France, et se sont achevés le 30 septembre dernier. Tout convergeait vers cela, car ses influences puisées dans le rock and roll sont vastes : Elliott Smith, les Strokes, Nirvana, les Beatles, autant de comparaisons qui le suivent dans ses textes « D’ailleurs laisse-moi te jouer « Strawberry Fields »/ Je joue pas très bien, même quand j’ouvre mes chakras / Mais sois pas gênée, je la chante pas tout seul / Y’a John avec moi dans chaque phrase », dans « Pour de Faux ».

AUTHENTICITÉ

Après plusieurs années de pause, Lomepal parie sur l’authenticité, à la fois à travers les instruments organiques qui le composent, mais aussi dans les thèmes qu’il aborde avec sensibilité. Des sujets qui lui permettent, dans la description de son personnage, de se pencher sur les problèmes de la société. Le rappeur se fait le témoin d’une génération marquée par la dépression, à travers l’image d’un homme qui s’enivre pour survivre : « Le seul hic, c’est que j’en ai un p’tit peu marre de vivre », dans « Maladie moderne ». Dans la forme, il multiplie les références à la chaleur, avec le titre de « 50° », dans « Etna » et « Auburn », qui entrent en contraste avec le froid : « Seul dans une nuit de janvier, congelé / J’tourne en rond dehors comme si j’cherchais quelque chose » dans « Prends ce que tu veux chez moi ». Paradoxes qui montrent les combats qui se mènent dans le cerveau de ce personnage, résumés par l’opposition entre le « Miel et le vinaigre » au track n°6. Ainsi, le protagoniste de Lomepal incarne le mal de son siècle, qu’il formule explicitement dans « Tee » : « Jressemble tellement à ce monde, j’ai les névroses assorties ».

L’authenticité du rappeur se voit aussi dans la manière dont il a composé « Mauvais oOrdre », en live et avec des instruments acoustiques. Le morceau « A peu près » par exemple, avec son riff entêtant à la guitare, s’éloigne vraiment des sons hip hop. A l’image de Luidji qui a créé son propre style chanté aux instrus bossa nova, Lomepal invente un nouveau genre de rap inspiré par la musique de sa jeunesse : dans cette perspective, « Mauvais ordre » se révèle être un bel hommage au rock and roll.

Marjolaine Bérisset